À Cuba, Pernod Ricard joue de frugalité et d’ingéniosité locale

Comment innover dans un cadre contraint ? En dépit des lourdeurs administratives et des diverses restrictions économiques touchant Cuba, l’entreprise française Pernod Ricard se démène pour produire Havana Club, la célèbre marque de rhum local. Au programme, innovation frugale et système D à la mode locale… (Cet article est issu de T La Revue n°15 – « Sobriété, frugalité, ingéniosité : comment innover autrement ? »)
Ici, produire du rhum n’a rien d’une sinécure. « C’est un processus long, qui demande de la patience » explique Asbel Morales au milieu des chais. Si plus d’un milliard de verres d’Havana Club sont partagés chaque année dans 130 pays, c’est grâce à un petit miracle renouvelé chaque jour : celui mêlant innovation, low-tech et système D à la cubaine dans le cadre contraint du « bloqueo », cet embargo économique, commercial et financier mis en place depuis 1962 à l’égard de Cuba par les États-Unis.
Ici, produire du rhum n’a rien d’une sinécure. « C’est un processus long, qui demande de la patience » explique Asbel Morales au milieu des chais. Si plus d’un milliard de verres d’Havana Club sont partagés chaque année dans 130 pays, c’est grâce à un petit miracle renouvelé chaque jour : celui mêlant innovation, low-tech et système D à la cubaine dans le cadre contraint du « bloqueo », cet embargo économique, commercial et financier mis en place depuis 1962 à l’égard de Cuba par les États-Unis. (Crédits : Nicolas Garçon)

Depuis le centre de La Havane, il faut une heure de route finissant par de petits chemins cabossés pour se rendre à la Ronera San José, siège de la distillerie Havana Club. C'est là, en pleine nature, au cœur de la province de Mayabeque que la joint-venture unissant l'État cubain à la société Pernod Ricard produit, fait mûrir et embouteille le rhum Havana Club, tout à la fois symbole et meilleur ambassadeur de l'île. Un savoir-faire prisé au point d'avoir été officiellement inscrit, en 2022, au patrimoine immatériel de l'Unesco. Pourtant, à Cuba, produire du rhum n'a rien d'une sinécure. « C'est un processus long, qui demande de la patience » nous explique le maestro Asbel Morales au milieu des chais. Au-delà même de la technique, si plus d'un milliard de verres d'Havana Club sont partagés chaque année dans 130 pays, c'est grâce à un petit miracle renouvelé chaque jour : celui mêlant innovation, low-tech et système D à la cubaine dans le cadre contraint du « bloqueo », cet embargo économique, commercial et financier mis en place depuis 1962 à l'égard de Cuba par les États-Unis à la suite de nationalisations expropriant des compagnies américaines sur l'île. « À l'époque, explique Alain D'Hardemare, directeur des opérations Havana Club, on pâtissait d'un manque d'installation. C'est un exploit de parvenir à faire quelque chose de cette ampleur dans un pays qui passe son temps à bricoler, où les voitures ont soixante années d'ancienneté, où la matière première et la technologie n'est pas accessible aussi facilement qu'ailleurs. Aujourd'hui, l'enjeu pour nous c'est de travailler à Cuba sur nos normes internationales. » Pour ce faire, les équipes de Pernod Ricard se sont retroussé les manches. À l'instar du reste de la population cubaine, celles-ci ont composé avec l'existant, fait avec les moyens du bord, dans une volonté d'utiliser « le maximum de la ressource ». Premier exemple : la canne à sucre. Produit de base permettant de créer le précieux rhum, la canne connaît une seconde vie bienvenue. Une fois le rhum produit, ses résidus non utilisés (appelés « vinasse », NDLR) sont employés dans les champs autour de la distillerie. Une manière efficace et locale de compenser le manque d'engrais chimiques. Les chiffres sont d'ailleurs anecdotiques. Après une phase dite de projet pilote, ce sont aujourd'hui l'équivalent de 1 000 camions de vinasse qui sont distribués gratuitement à quelque 2 000 paysans autour de San José. « On savait que la vinasse pouvait être transformée et réutilisée en tant que fertilisant dans les champs, reprend D'Hardemare. Ce que nos équipes ont découvert après des mois de recherches, c'est également que le bétail raffolait de la matière. Et finalement, tout le monde est gagnant : mes équipes de la distillerie, les populations aux alentours. Il ne faut pas oublier que nous sommes sur une île, c'est un petit écosystème où tout est interdépendant... »

« Ouvrier, construis tes machines ! »

La solution trouvée par les ingénieurs Pernod Ricard pour faire de l'engrais à base de canne à sucre est loin d'être une initiative isolée. Préfigurant d'une certaine manière la vogue du bio et du local, Cuba a su transformer son manque d'approvisionnement et sa cruelle absence des circuits habituels de la mondialisation en une occasion de développer son inventivité. Sur l'île, le « réemploi » est partout, appuyé par quelques slogans hérités de la révolution : des milliers de méthaniseurs, un réseau intranet qui relie des milliers de Cubains les uns aux autres, un génie automobile offrant à des véhicules qui ne roulent plus ailleurs une vie prolongée bien au-delà des prévisions des constructeurs, des centaines de centres de biocontrôle, une agriculture urbaine très développée... « Bien que cela n'ait pas été un choix offert à la population, la nécessité de lutter contre l'obsolescence programmée et de maintenir la vie quotidienne est particulièrement présente à Cuba, écrit l'historienne et politiste Natalia Calderón Beltrán dans « L'intelligence rusée cubaine » (Variations 23 / 2020). De l'extérieur, il est facile d'y voir une image de pays dont les évolutions techniques auraient été congelées dans le temps. Mais à y regarder de plus près, nombre de réponses de terrain proposées face à certains problèmes énergétiques ou encore agricoles pourraient être une source d'inspiration dans d'autres contextes confrontés à un épuisement du modèle productiviste et capitaliste. » Habitués aux pénuries, à l'aléa climatique, aux révolutions et au chaos politique, les Cubains se sont ainsi mis à expérimenter à grande échelle. Ils furent invités, puis contraints en cela par quelques efficaces slogans de propagandes, mots d'ordre répétés de génération en génération jusqu'à devenir une seconde nature. Aujourd'hui encore, on peut lire sur les murs de La Havane : « Obrero construye tu maquinaria » (« Ouvrier, construis tes machines ! » formule que l'on doit, pour l'anecdote, à « Che » Guevara.

En marche vers l'autosuffisance

Retour à la distillerie Havana Club, à San José. Comme indifférents à la chaleur accablante de la mi-journée, les hommes et les machines s'affairent. Ici comme ailleurs, l'énergie est devenue une question capitale et la guerre en Ukraine a hâté la volonté de devenir autosuffisant en la matière. « Une ronera a besoin d'avoir de l'électricité en permanence. La solution la plus simple, c'est donc d'en produire au moins une partie. C'est le sens de l'installation des panneaux solaires que nous avons sur certains toits et que nous continuons à installer sur tout le secteur de la distillerie », explique Alain D'Hardemare. Avouant s'être « battues pour s'émanciper du plan » qui fixe, des années à l'avance, les objectifs énergétiques du pays, les équipes de Havana Club souhaitent, à terme, en finir avec l'utilisation des combustibles fossiles dans le cadre de leurs opérations. Pour ce faire, la société utilise une ressource naturelle présente en abondance tout au long de l'année, la lumière du soleil, et installe pas moins de 2280 panneaux. Objectif de la main-d'œuvre : produire dès à présent 45 % de l'électricité nécessaire au fonctionnement du site et permettre aux employés de rouler avec une flotte de voitures électriques. À court terme, c'est-à-dire en 2024, l'objectif est de devenir autosuffisant pour les activités de la distillerie et même de générer un surplus d'énergie. Sur cette lancée positive, d'autres projets alliant innovation, low-tech, sobriété et défense de l'environnement ont été lancés par Pernod Ricard à Cuba. Prochains chantiers : la réduction du poids en verre (entre 8 à 16 % selon les gammes) des bouteilles de rhum ainsi qu'un ambitieux partenariat de restauration de la mangrove sur les côtes nord et sud de l'île, en lien avec l'union de sociétés coopératives agricoles Invivo. Ou comment faire contre mauvaise fortune bon cœur...

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Commentaire 1
à écrit le 22/07/2023 à 10:53
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