Pietra, première brasserie de Corse, veut apporter « une plus-value écologique »

L’entreprise, dont la bière à la châtaigne – unique au monde – est devenue un emblème de l’île, a créé un pôle environnement qui la rapproche de l’autonomie énergétique. Côté stratégie, elle compte désormais conquérir les marchés européens voisins.
Hugo, Dominique et Armelle Sialelli, fondateurs de la brasserie Pietra.
Hugo, Dominique et Armelle Sialelli, fondateurs de la brasserie Pietra. (Crédits : DR)

La momie du chancelier Nakhti - datant de la XIe dynastie - pourrait en témoigner. Pietra, la première brasserie de Corse, est née d'une visite d'Armelle et Dominique Sialelli au département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Le guide leur a alors expliqué que huit mille ans avant notre ère en Mésopotamie, les céréales, qui constituaient l'alimentation de base, étaient stockées avec de l'eau dans d'immenses jarres en terre cuite pour leur conservation. La fermentation naturelle produisait une sorte de pâte nourricière que l'on appelait, à l'époque, le « pain liquide ». Dans les oreilles du jeune couple corse, en villégiature à Paris, les paroles provoquèrent un déclic.

L'idée de créer une société brassicole avait déjà germé depuis quelques temps déjà. Mais là, le déclic se fait : « C'était comme une connexion spontanée de neurones. Chez nous, l'arbre à pain c'est le châtaignier et notre pain liquide nous nous sommes dit spontanément que nous pourrions le faire en incorporant la farine de châtaigne comme céréale de fermentation. » C'est ainsi qu'en 1996 la toute première bière de Corse, qui demeure aujourd'hui encore le produit phare de la maison et un emblème de l'île, apparaît sur le marché : la « Pietra » - le nom vient de Pietraserena, le village des Sialelli - une bière ambrée, brassée avec un mélange de malts et de farine de châtaigne qui lui donne des arômes boisés. Elle est unique au monde. Parmi les buveurs de renom, le Québécois Robert Charlebois, Jacques Dutronc, résident corse depuis un demi-siècle, et même la famille royale d'Angleterre qui la fait rapidement livrer au Palais de Buckingham...

Une bière qui veut « mousser » à l'international

L'entreprise, Armelle et Dominique, choisissent de la construire sur la commune de Furiani, à un jet de ballon du stade de football du Sporting qui fait le plein à tous les matchs. Le choix du site ne doit rien à la présence massive des supporters, espérés comme des consommateurs à la soif inextinguible, mais au souci de la qualité environnementale, déjà omniprésent dans leur esprit : les bâtiments se situent au-dessus de la source Acqua Bianca, réputée pour la qualité de son eau, un critère fondamental pour fabriquer une bonne bière. La brasserie est entièrement artisanale. Des maîtres brasseurs émérites sont recrutés et les matières premières sélectionnées avec soin auprès de producteurs voisins, particulièrement la farine de châtaigne. D'ailleurs, à la période où le cynips décimait la châtaigneraie, le couple était parmi les plus gros donateurs de la chambre d'agriculture dans sa campagne pour éradiquer le parasite.

Lire aussi« La Corse de l'agriculture est confrontée aux mêmes problèmes puissance 10 ! » (Joseph Colombani, FDSEA Haute-Corse)

Chaque année, la Brasserie Pietra produit 135.000 hectolitres pour une quinzaine de gammes différentes, toutes inspirées du terroir. 40% de la production reste en Corse (grandes surfaces, épiceries, bars, hôtels, restaurants). La Corse, dont ce n'était pas la culture, est même devenue une terre de brasseurs. Aujourd'hui, on y recense une bonne trentaine de brasseries. C'est plus que dans toute la France au moment où la Brasserie Pietra s'est créée...

Sur les 60% qui traversent la mer, seulement 2% sont écoulés à l'étranger, dans quelques pays d'Europe mais aussi le Québec, Taïwan et le Japon. L'entreprise a recruté du personnel dédié à l'exportation. L'idée est de mettre à profit l'attrait touristique de la Corse et de capter l'attention des étrangers qui viennent régulièrement comme les Italiens, les Allemands et les Suisses pour en faire des ambassadeurs une fois rentrés chez eux. En période estivale, l'entreprise fait visiter ses installations et propose des dégustations de ses bières, la Bionda, la Serena, la Colomba, la Rossa (aromatisée à la cerise) et, bien sûr, l'incontournable Pietra. Un catalogue que viennent étoffer chaque année des séries limitées inédites, la dernière en date étant la bière baptisée « Barrel aged » vieillie six mois dans des fûts de vin ou de whisky.

Lire aussiFruit emblématique du territoire, la châtaigne corse en convalescence

« Brasser » les enjeux planétaires

L'arrivée dans l'entreprise il y a cinq ans du fils, Hugo Sialelli, a donné au virage environnemental négocié dès l'origine du projet, la forme irrévocable d'une épingle à cheveu pour l'aligner sur les enjeux planétaires. « Je voulais me projeter sur le long terme, apporter à l'entreprise, qui était déjà labellisée depuis 2010 pour avoir intégré la préoccupation environnementale dans son process, une plus-value écologique encore plus forte pour qu'elle devienne durable dans tous les sens du terme. » Sous l'impulsion d'Hugo, plus de 2 millions d'euros ont été investis et deux postes spécialement créés dans la performance environnementale devenue une priorité pour les dirigeants parmi les tout premiers signataires de la Convention des entreprises pour le climat.

Ainsi, la PME est résolument entrée dans une logique d'autonomie. Elle s'est dotée de capteurs de récupération de CO2 produit par la fermentation, une fois la bière réalisée. Le dioxyde de carbone restant est ensuite réinjecté pour l'assainissement des cuves. La décarbonation de la chaîne de production, c'est l'utilisation de l'eau en circuit fermé et l'installation de panneaux solaires pour l'électricité. À ce jour, pour un litre de bière, le gain énergétique est de l'ordre de 40 %. Par ailleurs, la Brasserie Pietra a planté 50 hectares d'orge brassicole en Plaine orientale : le circuit-court mieux que l'importation.

Le pôle environnement constitué au sein de l'entreprise espère désormais faire l'acquisition d'une micro-méthanisation destinée à fabriquer du biogaz, une énergie verte et non polluante pour alimenter les machines. Forcément, quand on est dans l'univers du « demi », on ne fait pas les choses à moitié.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.