
Depuis la crise de la Covid-19, période durant laquelle ils sont parvenus à acheter 1,5 milliard de masques malgré les réticences du gouvernement, ils se serrent les coudes. Leclerc, Système U et Intermarché s'entendent même parfaitement lorsqu'il s'agit de limiter la hausse des prix alimentaires (+17% actuellement, +20% attendus en juillet) au bénéfice de leurs clients. Face aux chaînes de grandes surfaces intégrées, le trio de la distribution indépendante a gagné des parts de marché. Avec comme tête de gondole, leurs marques distributeur (MDD) et les marques de territoire. Invités jeudi à Ploufragan près de Saint-Brieuc, lors du premier colloque national de l'offre régionale organisé par l'association Produit en Bretagne, Michel-Edouard Leclerc, président du comité stratégique des centres E.Leclerc, Thierry Cotillard, président du groupement Les Mousquetaires (Intermarché) et Dominique Schelcher, PDG de Système U, ont esquissé ce que sera, demain, l'avenir de la distribution alimentaire. Pour ce secteur comme pour les PME, le local et le régional présentent un réservoir de progression de chiffre d'affaires non négligeable.
Croissance des produits locaux dans le chiffre d'affaires
Selon une enquête menée par le cabinet Circana, la performance des marques locales en chiffre d'affaires des hypers et supermarchés passe de 0,8 % dans l'Oise à 6% en Bretagne et 8,2% dans le Bas-Rhin. Pour Produit en Bretagne, le potentiel de progression s'élève à 50%.
« Le local et la qualité sont de plus en plus importants pour le consommateur. On a intérêt à pousser ce type d'offre. Notre démarche fait des envieux. On marche très fort car on est bien placé en prix. L'activité des grands industriels est tirée par l'inflation mais ils perdent sur les prix. Ils sont rattrapés par la baisse des ventes sur des produits comme le café, les gâteaux, les céréales » ont assuré d'une seule voix Michel-Edouard Leclerc, Thierry Cotillard, et Dominique Schelcher, lors d'un débat sur le thème « Offre régionale et souveraineté alimentaire : un enjeu collectif ».
Pour Intermarché, qui a gagné trois points de parts de marché en 2022 malgré un repli des ventes de poisson et de viande de 15% et 8%, les produits régionaux ont enregistré 19% de croissance. En Bretagne, le logo jaune et bleu de Produit en Bretagne génère 66 millions d'euros sur un milliard de chiffre d'affaires. Chez Système U, dont la marque U est constituée à 80% de produits français, ils génèrent 50 millions d'euros dans les départements bretons (208 magasins, Loire-Atlantique comprise).
Prédisant l'entrée dans une ère « d'inflation moindre mais plus durable », après un « haut de la montagne » atteint cet été, les trois distributeurs se positionnent davantage comme des partenaires des entreprises industrielles des territoires.
De même que la marque Leclerc est à l'origine de Produit en Bretagne, Intermarché s'est engagé jeudi à aider Système U à favoriser l'émergence d'une marque régionale, sorte de Produit en Alsace. « Il n'y a pas de sujet de médiation avec les PME, seulement avec les grands groupes » estime Michel-Edouard Leclerc.
Prix inexplicable des pâtes, aller chercher les rabais
« Quand les PME ont augmenté leur prix de huit points, les gros industriels affichaient 17% d'inflation. Pour les consommateurs c'est énorme. Or nous sommes bien incapables d'expliquer l'envolée des prix des pâtes », explique Dominique Schelcher.
« Les industriels se gavent, il y a un manque de clarté et beaucoup d'opportunisme », a déclaré l'un des participants à la table-ronde.
Malgré la difficulté juridique à ouvrir de nouvelles négociations, le trio a réaffirmé sa volonté d'aller encore chercher, d'ici à l'été, des baisses de prix (rabais, ristournes) dans les multinationales, quitte à effectuer un benchmarking offensif dans les autres pays européens.
« La compétition entre les enseignes sur les prix peut faire gagner 2 à 3 points d'inflation », souligne Michel-Edouard Leclerc. « Mais pour cela, il ne faut pas brider les distributeurs. Une politique ne doit pas se faire au détriment des consommateurs ».
Or, comme ses acolytes, il redoute l'impact de l'adoption en janvier, par tous les groupes parlementaires, de la proposition de loi Descrozaille, qui redonne la main aux industriels dans la fixation des prix.
« Le législateur ne peut pas tout réguler et veut tout réguler, en opposant distribution et industrie » déplore Thierry Cotillard.
Pour l'heure en tout cas, la position du gouvernement évolue. Les critiques sur l'inflation ne s'adressent plus aux distributeurs comme en début d'année mais aux industriels de l'agroalimentaire. Ce jeudi, la Première ministre Elisabeth Borne les a appelés à faire un effort sur le prix de leurs produits vendus aux supermarchés, l'industrie répondant qu'elle prendrait sa « part » mais qu'il n'y aurait pas de renégociation généralisée. Face à la flambée des prix alimentaires, la cheffe du gouvernement a surtout exhorté les industriels à « répercuter » la baisse de leurs coûts de production pour que cela se traduise par « des baisses concrètes, tangibles » des prix « d'ici la fin du mois de juin » dans les rayons.
À Marianne Guyader, patronne de la conserverie Groix et Nature, qui s'interrogeait sur la place que la loi va accorder dans les linéaires aux produits régionaux, les trois distributeurs ont mis en avant que leur « force d'indépendants, c'est d'être les patrons chez eux ».
« La région, les territoires sont des lieux dans lesquels nous pouvons nous exprimer » assure Thierry Cotillard.
Sauvetage du bio, décarbonation et transformation durable
Actuellement, les consommateurs se reportent déjà sur les produits issus des PME sur MDD, qui travaillent avec les mêmes PME.
Au départ les MDD réagissaient au marché en utilisant moins de papier, moins d'emballages. Aujourd'hui, ils deviennent des produits de valorisation, destinés à croiser les attentes sociétales et les promesses régionales pour sortir les gammes de demain.
« Ce deuxième semestre va retenir les leçons des mois précédents. Nos marques vont être encore plus ouvertes aux produits de qualité et régionaux » annonce Michel-Edouard Leclerc, dont la gamme Eco+ affiche le Nutriscore.
Parmi les chantiers à venir, les trois indépendants défendent aussi le sauvetage du bio, une filière à +25% d'inflation, qui sera gâchée si rien n'est fait, la décarbonation et la transformation durable des magasins et des offres.
« Nous devons travailler de manière collective sur le mieux manger et l'emballage durable, seuls leviers pour expliquer que les produits seront plus chers qu'avant et faire comprendre une inflation de bonne raison. La maison Bretagne doit aussi améliorer la qualité de ses productions pour être leader sur la qualité, voire développer des stratégies collectives d'achats, sur l'énergie par exemple » assurent-ils.
Cette matinée a prôné l'émancipation des monopoles des grandes marques et finalement la libéralisation du commerce et de l'influence des lobbies. Les 200 membres de Produit en Bretagne y ayant participé ont compris que le vent avait tourné contre les grands industriels. Avis de grand frais ?
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