Passée du rêve à la déception, la voiture autonome se réinvente un avenir

Nouvelle frontière technologique dans les années 2010, le véhicule autonome fait aujourd'hui moins rêver au moment où les constructeurs sont concentrés sur la transition énergétique. Aux Etats-Unis, il y a un accident tous les 508.000 kilomètres... Pour autant, cette technologie n'est pas totalement abandonnée, et pourrait finir par bousculer la chaîne de valeur de l'industrie automobile. Explications.
Nabil Bourassi
Le français Navya parie sur la navette autonome pour révolutionner le transport de demain.
Le français Navya parie sur la navette autonome pour révolutionner le transport de demain. (Crédits : Navya)

La voiture autonome est-elle morte ? Si la réponse est encore énigmatique, les promesses de la conduite libérée d'un chauffeur ont été largement revues à la baisse. Entre 2014 et 2018, les constructeurs automobiles n'avaient que ce mot à la bouche: la voiture 100% autonome arrivera en 2021. Des cabinets avaient même imaginé comment l'avènement de cette technologie allait bouleverser le paysage des mobilités avec la généralisation des robots-taxis qui remplacerait la voiture individuelle, et instaurerait un nouveau débouché pour les fournisseurs de contenus pour occuper les dizaines voire centaines d'heures passées dans l'habitacle par des automobilistes dont l'attention serait désormais délivrée de la contrainte de la conduite.

Une autonomie possible dans très peu de cas d'usage

Sauf que nous sommes en 2022, et que ce scénario n'est jamais survenu... Pis encore, il n'est pas prêt d'arriver. Mercedes vient à peine d'obtenir une autorisation pour vendre des voitures dotées d'une autonomie dite de niveau 3 (sur une échelle de 1 à 5) et qui permet de confier la conduite à l'intelligence artificielle dans certaines conditions (le conducteur doit néanmoins être en capacité de reprendre le volant si l'ordinateur le juge). Cette autorisation ne vaut que sur certains tronçons autoroutiers allemands, avec une limitation de vitesse à 60 km/h. Autrement dit, cette autorisation ne concernera que très peu de cas d'usage.

Seul General Motors semble encore croire en ce rêve. Mary Barra, la patronne du géant automobile américain, vient d'annoncer au CES de Las Vegas qu'elle commercialisera des voitures 100% autonomes au milieu de la décennie. Elle s'appuie sur sa filiale Cruise.

Une accidentologie encore trop forte

Hormis GM, les constructeurs automobiles ont majoritairement revu à la baisse leurs ambitions, d'abord parce que la technologie avait du mal à arriver à maturité. Les risques étaient encore trop importants, comme le relève Bruno Mendes da Silva, fondateur de Heex, et qui constate que l'accidentologie des voitures autonomes est encore très supérieure à celle des voitures à conduite humaine. Aux Etats-Unis, il y a un accident tous les 508.000 kilomètres... L'expérimentation Waymo affiche un ratio d'un accident tous les 29.440 kilomètres.

"Le meilleur système autonome du monde (Waymo, ndlr) est aujourd'hui 17 fois moins performant qu'un automobiliste, et ce malgré plus de 10 milliards investis par cette société depuis 2009", explique Bruno Mendes da Silva.

Cette accidentologie couplée au risque juridique qui en découle est rédhibitoire pour les constructeurs automobiles qui seront tenus pour juridiquement responsables.

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Enfin... C'est probablement le dieselgate, ou du moins ses conséquences, qui aura eu définitivement la peau des projets de voiture autonome. Après le scandale des moteurs truqués, les autorités ont décidé de resserrer significativement l'étau réglementaire autour des émissions de CO2. Les constructeurs ont dû mettre le paquet sur la voiture électrique, consacrant des sommes conséquentes. Ils sont ainsi contraints de faire des arbitrages d'investissements en défaveur de la voiture autonome.

Retour à la réalité

"On est loin de ce qu'on imaginait il y a trois, quatre ans, quand on imaginait un level 5 beaucoup plus tôt. En outre, il sera réservé, tout comme le level 4, à des usages strictement professionnels comme les robot-taxis, les liaisons de dernier kilomètre ou la logistique", reconnaît José Baghdad, associé responsable du secteur automobile chez PwC France. Même tonalité chez Anne-Marie Idrac, chargée par le président de la République de réfléchir à la stratégie nationale en matière de voiture autonome: "en réalité plus personne ne croit au véhicule "sans volant", a-t-elle ainsi déclaré dans une interview à La Tribune. "Tout le monde se focalise désormais sur des cas d'usage à la fois technologiquement atteignables, et économiquement et socialement pertinents", explique celle qui a successivement dirigé la RATP et la SNCF.

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Et ces cas d'usage seraient finalement assez restreints... "Nous n'avons pas observé de révolution des cas d'usage... Il y a eu une prise de conscience que le retour sur investissement sera long parce que l'émergence d'un marché de masse est moins évident", souligne José Baghdad. Ainsi, la voiture autonome devrait concerner des flottes de véhicules logistiques dans des aéroports, usines, campus... Autre piste mise en exergue par Anne-Marie Idrac, celle des navettes autonomes. Selon elle, ce modèle est le plus sérieux, et le plus avancé en matière d'autonomie puisqu'il existe un modèle économique viable mais également des cas d'usage puisqu'il va faciliter le transport de personnes. "L'automatisation supervisée les rend potentiellement plus flexibles et moins coûteux", rappelle Mme Idrac. Pour les opérateurs de mobilité, la navette autonome permet d'élargir l'offre de mobilités grâce à une exploitation plus souple, plus efficace.

Un marché encore limité

Côté automobile, les prévisions de marché de PwC tablent sur une percée, mais à long terme seulement et uniquement sur le level 3. "On prévoit que seulement 4% du marché sera équipé du level 3 en 2025. En 2030, on table entre 12 et 20% en fonction des zones géographiques. Dans tous les cas, cela restera un marché de niche mais qui deviendra néanmoins un standard pour les marques premiums", explique José Baghdad. Mais même avec le niveau 3, l'économie du contenu entre dans l'habitacle. Il est possible de regarder un film, consulter ses mails, faire ses achats en ligne...

"La question que tout le monde se pose c'est qui, demain, sera à la tête de l'Apple Store de la mobilité", s'interroge José Baghdad.

Car pour les constructeurs automobiles l'enjeu n'est pas moins la maîtrise de la chaîne de valeur, déjà mise en branle par l'émergence de la voiture électrique. L'analyste de PwC juge possible que l'automobile devienne une "commodities", c'est-à-dire un produit dépouillé de valeur ajoutée, au profit d'un nouveau modèle économique centré autour "des contenus et de l'expérience". Autrement dit, les constructeurs deviendraient des assembleurs de voitures, comme le taïwanais Foxconn assemble des iPhone, renonçant ainsi à une partie de la profitabilité. "Le risque est de voir disparaître les marques automobiles", lance José Baghdad.

Nabil Bourassi

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Commentaires 2
à écrit le 13/01/2022 à 11:25
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Tous les sondages nous montrent que 30% des français veulent voter dan ce sens. En 2017 MLP + dupont-aignan = 26%. Si on ajoute que pour libé même ceux qui votaient Fillon étaient d'extrême droite ça donne 46% et si on ne compte que la moitié des éle...

à écrit le 13/01/2022 à 10:22
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la voiture autonome est la preuve matérielle que ce qu'on appelle pompeusement l'IA n'est, à date, en fait que l'expression d'une puissance de calcul très supérieure à ce que l'on savait faire avant. On veut faire croire que le fait qu'un ordinateur ...

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