C'est donc Renault qui ferme la marche de ce round d'annonces. Après l'Alliance (qui réunit Renault, Nissan et Mitsubishi) mercredi, Nissan jeudi, c'est donc le constructeur automobile français qui s'est collé à l'exercice du plan de transformation qui a néanmoins des allures de plan de redressement. Cette série d'annonces, mises au point et coordonnées sous la houlette de Jean-Dominique Senard, doit permettre à l'Alliance de retrouver en trois ans de nouveaux fondamentaux de performances industrielles et une nouvelle culture de coopération, après un an et demi de profonde crise de confiance entre les deux principaux groupes. La règle du "leader-follower" présidera désormais le partenariat qui liera Renault, Nissan et Mitsubishi.
"La fin justifiait les moyens"
Renault prend donc à son tour sa part de la réforme qui procède du même esprit que celle engagée chez Nissan et qui durera également trois ans. Le groupe automobile français accepte l'idée que la méthode Ghosn a depuis longtemps montré ses limites, notamment dans sa logique de course aux volumes. Clotilde Delbos, directrice générale adjointe, l'a répété à plusieurs reprises:
"La fin justifiait les moyens (...), nous avons investi dans des capacités en anticipant une croissance qui n'a pas eu lieu, nous devons changer d'état d'esprit (...) Nous avons trop grossi (...) Renault a pris une direction qui n'était pas la bonne", a-t-elle successivement déclaré lors du point presse de présentation du plan de transformation de Renault.
Ainsi, Renault va réajuster ses capacités de production industrielle en passant à 3,3 millions de voitures par an contre 4 millions actuellement. Il s'agit des capacités selon la norme Harbour, elle ne prend pas en compte les capacités intégrant les 3X8 et les vendredi samedi dimanche. Avec 3,3 millions d'unités sur cette norme, Renault pourra en réalité aller jusqu'à 5 millions de voitures par an. Autrement dit, en sous-dimensionnant et en intensifiant son outil industriel, Renault va maximiser la rentabilité de ses sites de production.
Pour rappel, avec ses 4 millions de capacités en 2019 pour 3,7 millions de voitures vendues, Renault était largement en-dessous de cette logique d'optimisation industrielle. Un chiffre d'autant plus insuffisant que Renault a dû "pousser" ses ventes (c'est-à-dire à travers des remises) pour faire du volume. C'est contre cette logique que Clotilde Delbos veut désormais tourner le dos. "Nous ne vendrons pas 5 millions de voitures par an", a-t-elle convenu, en référence au plan Drive the Future lancé en octobre 2017 par Carlos Ghosn et qui avait assigné cet objectif (et une hausse de 40% des volumes pour toute l'Alliance).
Une usine fermée, d'autres en sursis...
Jean-Dominique Senard a voulu rassurer après les rumeurs de presse évoquant la fermeture de 4 usines en France. Le président du conseil d'administration a indiqué que seul un site sera fermé, celui de Choisy-le-Roi en région parisienne, mais que ses compétences seraient redéployées sur d'autres sites, notamment à Flins.
Les 4.600 suppressions de poste en France, et 10.000 dans le monde se feraient sans licenciements secs. L'ancien patron de Michelin a promis qu'il serait le garant d'un processus social sans drames. Pour autant, il n'a pas rassuré sur l'avenir de l'usine de Dieppe qui fabrique actuellement l'Alpine. Avec sept A110 par jour, ce site est très en-dessous des standards de rentabilité qui permettrait de justifier sa pérennité. Il semblerait que Renault ne souhaite pas encore statuer sur l'avenir de la marque sportive de luxe avant l'arrivée de Luca de Meo, le directeur général attendu le 1er juillet et qui aura la responsabilité de définir une nouvelle stratégie de marque.
Les sites de Maubeuge et Douai vont être soumis à un passage en revue afin de créer un pôle d'excellence tourné autour des utilitaires de l'électromobilité. L'usine de Douai est probablement le site qui a le plus souffert des errements stratégiques de l'ère précédente et qui a conduit à l'échec les modèles supérieurs de Renault. Aucun des modèles construits dans cette usine du Nord de la France n'a rencontré le succès escompté: Espace, Talisman, Scénic. L'usine de Douai était régulièrement inquiétée par des volumes de production très en-dessous de ses capacités. En outre, la Fonderie de Bretagne fera l'objet d'une "revue stratégique", sitôt interprétée comme une opération de cession. Enfin, l'usine de Flins, où est actuellement fabriquée la Zoé, sera reconvertie dans l'économie circulaire.
Économiser 2 milliards d'euros par an à horizon 2023
Autre point de rationalisation, le développement de plateformes: Renault va drastiquement réduire le nombre de plateformes passant de 13 à 4 d'ici à 2023. En revanche, cela n'affectera pas le nombre de nouveautés.
Quant aux équipes d'ingénierie, elles suivront la nouvelle logique de leader-followers, ce qui affectera plusieurs domaines à Nissan comme la voiture autonome, tandis que Renault se spécialisera sur la connectivité. Le site de Guyancourt, le technopôle, le quartier général de la R&D de Renault, sera aussi soumis à la cure d'amaigrissement.
Enfin, Renault espère économiser 700 millions d'euros sur les fonctions supports, le marketing et les frais généraux. En tout et pour tout, Renault doit économiser 2 milliards d'euros par an à horizon 2023.
Cette réduction des coûts fixes doit être en partie compensée par les synergies engagées avec Nissan puisque, grâce aux coopérations avec Nissan et Mitsubishi, Renault aura accès à des technologies ou services dont il n'a pas eu à financer le développement.
L'impatience de Luca de Meo
Le plan de transformation de Renault doit parer au plus pressé au moment où la crise du Covid, qui n'a fait qu'accélérer des difficultés déjà présentes, a reconnu Jean-Dominique Senard. Le groupe est même contraint d'emprunter près de 5 milliards d'euros de dettes supplémentaires (garanties par l'État).
Pour autant, ce plan ne répond qu'en partie seulement aux problèmes structurels de Renault. Jean-Dominique Senard et Clotilde Delbos n'ont pas caché qu'il fallait effectivement engager un autre volet stratégique portant sur les marques du groupe (Renault, Dacia, Alpine, Renault Samsung Motors, Lada) et l'urgente nécessité de restaurer le pricing power notamment de Renault dont la détérioration a largement contribué à abaisser la rentabilité du groupe.
Mais cette partie sera confiée à Luca de Meo, qui pourrait présenter un projet avant la fin de l'année. D'après Jean-Dominique Senard, l'ancien patron de Seat serait "déjà impatient" de prendre ses fonctions...
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