« PSA et Renault renouent avec le management du sérail, mais sans renoncer à sa financiarisation »

ENTRETIEN. L'arrivée de Luca de Meo à la tête de Renault en juillet confirme, après la nomination de Carlos Tavares à la tête de PSA en 2014, que l'industrie automobile française a retrouvé les vertus de patrons issus de l'univers automobile. Elle referme ainsi une parenthèse enclenchée en 1984 et qui avait permis l'accession aux responsabilités de financiers. Pour autant, les stratégies mises en place resteront fortement empreintes de considérations financières, parfois au détriment du produit et de la culture de marques. Jean-Christophe Scilien, enseignant-chercheur à l'Université de Paris Nanterre (Centre d'études et de recherches sur les organisations et la stratégie, CEROS) a défendu une thèse sur la restructuration de l'industrie automobile.
Nabil Bourassi
Jean-Christophe Scilien, enseignant-chercheur à l'Université de Paris Nanterre.
Jean-Christophe Scilien, enseignant-chercheur à l'Université de Paris Nanterre. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - L'industrie automobile française a vécu ces dernières années d'importants mouvements managériaux qui s'inscrivent en rupture avec ce qu'elle avait pris l'habitude d'engager. Si on se place dans une perspective historique et gestionnaire, peut-on parler de la fin d'un cycle ?

JEAN-CHRISTOPHE SCILIEN - Le point de départ de ma réflexion, c'est la compréhension du processus de succession managériale, au travers de la « règle du dauphin ». C'est une règle qui avait notamment cours dans l'industrie automobile française jusqu'en 1984, et qui semble aujourd'hui renaître sous une forme, certes différente, mais qu'il reste néanmoins intéressante à caractériser. D'un point de vue historique, le choix du dauphin impliquait de régler la succession du PDG par un processus interne. Si on analyse les trajectoires individuelles des PDG de PSA ou Renault jusqu'en 1984, ils avaient en moyenne 23 ans de maison avant leur nomination (en excluant les dirigeants issus de la famille du fondateur). En 1984, c'est une rupture historique dans cette culture managériale puisque, successivement, le patron de PSA, Jean-Paul Parayre en septembre 1984, puis celui de Renault, Bernard Hanon en janvier 1985, doivent céder leur place à des personnalités ne disposant pas d'une connaissance forte du produit automobile. Plus encore, dont l'expérience est extérieure à cette industrie, puisque Georges Besse (Renault) avait dirigé la Cogema et Péchiney, et Jacques Calvet (PSA) venait de la BNP. Ce dernier n'avait alors que deux ans d'ancienneté chez PSA, ce qui est très loin des 23 ans de l'époque de la règle du dauphin.

Dans quel contexte cette rupture est-elle survenue ?

Cette rupture est intervenue à un moment critique pour les constructeurs automobiles français, puisque PSA et Renault étaient en très grande difficulté financière. Les déficits sont abyssaux pour les deux groupes : soit, de 1980 à 1984, une perte cumulée de 15,5 milliards de francs pour Renault et de 8,3 milliards pour PSA. Ils n'avaient pas le choix, ils devaient réduire leurs coûts drastiquement et abaisser leur seuil de rentabilité pour s'adapter à un rythme de croissance ralenti par rapport à celui des Trente Glorieuses. En outre, il existait un facteur politique puisque le gouvernement de l'époque (gouvernement Chirac, mars 1986-mai 1988) avait signifié à la Régie Nationale Renault que le solde de sa recapitalisation publique (12 milliards de francs) irait de pair avec sa privatisation. Les profils recherchés pour succéder aux PDG étaient donc davantage orientés sur des compétences financières que d'ingénierie.

Cette rupture dans la culture managériale va-t-elle avoir une influence sur la culture opérationnelle des constructeurs automobiles ?

Cette approche financière aura à moyen terme des vertus incontestables. Le redressement des constructeurs automobiles français sera spectaculaire puisqu'ils vont afficher des résultats financiers jamais enregistrés jusqu'ici. En 1987, Renault a enregistré un résultat net de 3,3 milliards de francs, ce qui constitue à l'époque son premier exercice bénéficiaire depuis celui de 1980 ; et, dès l'année suivante, ce résultat va atteindre les 8,8 milliards de francs. Alors, certes, une partie du succès peut aussi être mis sur le compte de produits lancés sous l'ère précédente. Pour rappel, trois véhicules sont lancés en 1984 (la Renault 25, l'Espace, et la Super 5 ; en cumul, ils seront à leur apogée fin 1988).

En réalité, des effets négatifs de ces stratégies financiarisées vont se ressentir à plus long terme. D'abord, il faut rappeler que c'est à cette époque que Renault décide de vendre en mars 1987 sa filiale américaine AMC détenant la marque Jeep, en partie pour des raisons financières puisque cette filiale perdait beaucoup d'argent globalement. Plus tard, Raymond Lévy, le PDG qui avait succédé à Georges Besse assassiné en novembre 1986, admettra que sa décision avait été une faute privant Renault du développement des 4x4 et de l'accès au marché américain.

Autre conséquence de cette stratégie de financiarisation, c'est le recul sur les segments supérieurs. Les Peugeot 605 et Citroën XM ont été des succès extrêmement relatifs. Ils se caractérisent par une charge d'innovation très peu élevée et une faible différenciation sur le marché. Ils illustrent en réalité la baisse des investissements en R&D, par rapport à la concurrence. Sous l'ère Calvet, PSA a strictement séparé les R&D de Peugeot et Citroën avec l'idée de préserver les identités propres de chacune des marques. Mais cela n'a pas été efficace. À l'inverse, celui qui a gagné des parts de marché sur les segments supérieurs, c'est Volkswagen, qui, lui, a beaucoup innové, en gérant mieux la standardisation et la cohabitation de ses marques notamment, sa marque premium, Audi.

Est-ce que selon vous, l'arrivée de Carlos Tavares et de Luca de Meo s'inscrivent en rupture avec ce cycle de culture managériale ?

Oui et non... Tous les deux viennent sans conteste du sérail automobile avec des expériences conséquentes. C'est un retour au système dit du dauphin, mais il est différent car tous deux sont recrutés dans le vivier d'entreprises concurrentes. Cela traduit une faiblesse du tissu managérial interne des groupes concernés. Ces trajectoires individuelles n'ont pas d'équivalent dans les groupes étrangers à ce niveau de responsabilité. Les choix managériaux français illustrent un compromis prudent de la part des actionnaires, en tablant que la réussite du parcours passé de dauphin sert de gage à la qualité de sa gestion future.

Est-ce que cela signifie que l'industrie automobile revient également sur cette approche stratégique exclusivement financière ?

Pour l'heure, Carlos Tavares ne s'est pas réellement démarqué de ses prédécesseurs sur cet aspect-là. Sa stratégie reste encore fortement empreinte de marqueurs financiers. Quant à Luca de Meo, il lui reste encore à présenter ses pistes stratégiques [il ne sera DG de Renault qu'à partir du 1er juillet 2020, Ndlr]. Mais ce n'est pas un ingénieur, il a un profil financier. Rien ne démontre pour le moment que, sur cette logique financière, il y ait eu une rupture.

Propos recueillis par Nabil Bourassi

Nabil Bourassi

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Commentaires 5
à écrit le 27/05/2020 à 7:33
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avant le brexit le milieu politico financier que la sortie de l'Europe de l'Angleterre allez conduire a la sortie de nombreuse entreprise du pays d'outre manche le dit brexit a eut lieu est la constatation est que les usine quitte bien le pays m...

à écrit le 26/05/2020 à 14:39
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L'état va encore mettre les mains à la poche pour des voitures trop chères et que même s'il y a plein d'invendus pas question de rogner leur marge. On oublie que les voitures en 68 ça commençait à l'équivalent de 4200€ une familiale (r8, simca) à 80...

à écrit le 26/05/2020 à 12:34
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Bien sûr le Chef joue un rôle essentiel, mais sa stratégie technique aussi. Depuis 30 ans je me demande pourquoi aucune voiture française n'arrive à concurrencer Mercedes auprès des chauffeurs des taxis parisiens. Y aurait-il un "modus vivendi" [pour...

à écrit le 26/05/2020 à 10:09
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Une voiture sans électronique à moins de 10 000 e électrique , hybride ou hydrogène roulant à 130 km maxi. Si possible amusante , pas ces tanks que l'on construit aujourd'hui. On pourrait relooker des voitures stars françaises , la 4 CV , la cabr...

le 26/05/2020 à 12:37
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Tout-à-fait d'accord avec BA. Reste à savoir si les automobilistes n'aiment pas les tanks (question d'ego) !

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