Crise du logement : la Ville de Paris accélère sur le bail réel solidaire, l'arme pour baisser les prix

EXCLUSIF. Selon nos informations, la ville de Paris s'apprête à mettre les bouchées doubles sur le bail réel solidaire, présenté comme un moyen d'accéder à la propriété tout en réduisant les coûts d'achat jusqu'à 50% par rapport aux prix classiques du marché. L'administration d'Anne Hidalgo érige en vitrine un immeuble situé dans le XIXe arrondissement. L'opposition de droit s'étonne, elle, de « prix fixés au doigt mouillé ». Explications.
César Armand
Octroyé sous condition de ressources, le bail réel solidaire s'adresse aux foyers parisiens les plus modestes (Photo d'illustration).
Octroyé sous condition de ressources, le bail réel solidaire s'adresse aux foyers parisiens les plus modestes (Photo d'illustration). (Crédits : Charles Platiau)

C'est devenu l'acronyme préféré des responsables politiques locaux et nationaux pour résoudre la crise du logement : le BRS pour bail réel solidaire. Derrière cette formule qui échappe au commun des mortels, il s'agit de dissocier le foncier et le bâti pour proposer aux ménages d'acquérir des logements jusqu'à deux fois moins chers que les prix classiques du marché immobilier. En effet, au lieu d'acheter un habitat en pleine propriété, une famille n'acquiert que les murs via un bail de très longue durée. Le terrain reste, lui, à la main d'un organisme foncier solidaire - un OFS dans le jargon. En contrepartie, et sous condition de ressources définies par l'Etat, l'occupant s'engage à y vivre au titre de sa résidence principale.

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Après sa création en 2015 sous le quinquennat Hollande, l'exécutif actuel affirme avoir « dynamisé » le BRS par la loi sur l'évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (loi Elan de 2018). Le gouvernement Borne l'a même renforcé en décembre dernier, en augmentant les plafonds de ressources des foyers éligibles.

Un contexte plus que favorable sur lequel surfe la ville de Paris, depuis la réélection de la socialiste Anne Hidalgo, en juin 2020. Selon nos informations, confirmées par le nouvel adjoint (PCF) chargé du Logement, Jacques Baudrier, la mairie entend ainsi accélérer sur la deuxième parti du mandat en cours 2020-2026.

Les familles parisiennes qui y vivent et y travaillent priorisées

Après avoir commercialisé 23 logements en 2023, la Foncière de la Ville de Paris - c'est le nom de l'organisme foncier solidaire de la municipalité - compte en livrer près de 200 en 2024, et plus de 1.000 d'ici à 2026, date des prochaines élections municipales. Et ce, entre le XIIe et le XXe arrondissements.

Pour ce faire, l'adjoint (PCF) d'Anne Hidalgo a obtenu une enveloppe de 625 millions d'euros dans le cadre du budget 2024, soit une hausse de 120 millions par rapport au budget 2023. Une somme qui doit permettre à la fois d'investir et de rénover du logement social et abordable, ainsi que de mettre les bouchées doubles dans le bail réel solidaire.

L'idée à Paris consiste à donner une respiration au parc social - déjà 26% de l'habitat parisien - et à permettre aux classes moyennes de poursuivre leur parcours résidentiel, fait valoir Jacques Baudrier. Les appartements étant des T3, des T4 avec quelques T5 et un peu de T2.

Quant aux populations éligibles - des familles du parc HLM - elles habitent déjà à Paris, y travaillent et n'ont pas encore accédé à la propriété. Outre les opérations d'immobilier neuf, dans le cadre du plan local d'urbanisme bioclimatique en cours d'enquête publique, la Ville a déjà ciblé deux garages verticaux et un immeuble de bureaux obsolète.

« On va transformer un maximum », déclare l'adjoint d'Hidalgo.

Une opération vitrine dans le XIXe arrondissement

Ce dernier met en avant une opération en cours, avenue Jean Jaurès dans le XIXe. Dans le détail, 10 logements en bail réel solidaire seront commercialisés au quatrième trimestre 2024 et devraient être livrés au quatrième trimestre 2026. Situé au 42, il s'agit d'un immeuble insalubre qui va faire l'objet d'une réhabilitation lourde.

Pour cette opération en BRS, la Foncière a budgété 3,45 millions d'euros, dont 700.000 euros pour le foncier, 503.000 pour les études et les indemnités de relogement pour les anciens locataires, et bien sûr, 2,18 millions pour les travaux. L'opération bénéficie d'une subvention de 780.000 euros au titre de la résorption de l'habitat insalubre et d'une autre de 132.000 étiquetée logement durable.

Outre cet immeuble érigé en vitrine par l'administration parisienne, la Ville prévoit, pour cette année 2024, quatre autres commercialisations dans les XVIIIe et XXe arrondissements pour un total de 185 logements, à un prix d'achat moyen inférieur à 5.000 euros le mètre carré. Le plancher des 10.000 euros du mètre carré a en effet été percé dès décembre, relevait la Chambre des notaires de Paris. En moyenne, la foncière touchera une redevance mensuelle d'environ 2,5 euros par mètre carré.

L'opposition s'étonne de « prix fixés au doigt mouillé »

Siégeant au conseil d'administration aux côtés des bailleurs sociaux de la capitale - Paris Habitat, Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) et Élogie-Siemp - et d'autres conseillers de Paris, l'élu (Les Républicains) du VIIIe arrondissement, Vincent Baladi, applaudit le BRS pour les familles des classes moyennes et leur accession à la propriété. En revanche, il se dit « un peu gêné par les prix des logements » à certains endroits.

Par exemple, boulevard Macdonald dans le XIXe, où « le prix a été fixé au doigt mouillé » ou dans le quartier de La Chapelle dans le XVIIIe, où « la très grosse décote à moins de 5.000 euros sans données objectifs sera facilement attaquable », pointe-t-il.

Le conseiller d'opposition recommande aussi davantage de mixité fonctionnelle, à savoir mettre des commerces, des équipements de santé ou des installations sportives en pied d'immeuble concerné par le bail réel solidaire.

Un maigre bilan au niveau national

Dans un déclaration transmise à la presse le 15 décembre 2023, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires a fait état de 22 logements livrés en 2020, 382 en 2021, 950 lancés en 2021 et 11.500 en programmation dans plus de 150 organismes fonciers solidaires.

« Le soutien public se manifeste déjà par une fiscalité attractive (TVA à taux réduit), représentant un coût par logement d'environ 14.000 euros financé par l'Etat », écrivent les services de Christophe Béchu, avant de justifier la décision de revoir à la hausse les plafonds de ressources : « L'élargissement du nombre de ménages éligibles devrait permettre d'augmenter la production de près de 600 logements par an ».

De la même façon que la loi de finances 2024 prévoit le maintien du prêt à taux zéro (PTZ) pour tous les logements en bail réel solidaire neufs, quel que soit le zonage de la commune.

Les prêts de très long terme (80 ans) de la Banque des Territoires (groupe Caisse des Dépôts) sont également cités en exemple comme « un des atouts spécifiques de financement de ce dispositif ».

César Armand

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Commentaires 9
à écrit le 18/01/2024 à 18:26
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Il y a déjà le bail emphytéotique qui permet "d''acquerir" sous un forme de loyer un bien pour une très longue durée (99 ans en général). Si on veut développer cette formule, il faut avoir des structures solides en finance, droit, placement immobil...

à écrit le 18/01/2024 à 15:41
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La gauche aime plumer les pauvres, ça les rend encore plus dépendants.... Le pauvre pourra revendre le temps qu'il reste avant echeance du bail, et se rendra compte de la misère, il n'est propriétaire de rien!! Ou presque vu que c'est l'usufruit, ...

à écrit le 18/01/2024 à 14:12
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Je ne sais pas où cela nous emmène tout cela. Comment cela se revend-il? Le prix des murs pourrait rapidement par contagion rejoindre le prix du m2 traditionnel, après tout. A moins qu'une clause en contraigne l'évolution. Tant mieux pour les famille...

à écrit le 18/01/2024 à 10:36
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Rustine sur rustine et encore des rustines qui s'empilent et se ré-empilent. Auprès des administrations ou sur le plan des lois, ça empile, ça craque de partout mais ça empile toujours et toujours. Consternant! Par contre, il faut tout même reconnaît...

à écrit le 18/01/2024 à 10:09
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Autrement dit , c'est le contribuable parisien qui va payer la différence. Hidalgo qui joue les apprentis sorcier avec les finances de la ville , continue sur sa lancée. Après avoir encaissé des années de loyers par avance pour payer l'endettement ab...

le 18/01/2024 à 11:15
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ca coute pas grand chose a la ville vu qu elle reste proprietaire du terrain. On peut voir ca comme une perte pour la ville si elle l aurait vendu au prix fort a des promoteurs mais sinon ce n est pas le cas. Ce type de chose est courant a londres ou...

le 18/01/2024 à 13:53
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En admettant que la ville de Paris utilise ses terrains pour commercialiser ces BRS , cette opération va couter aux contribuables la non commercialisation de ces terrains . En effet , il s'agit d'un patrimoine foncier qui pourrait être vendu au prix ...

le 18/01/2024 à 15:46
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la politique urbaine de la mairie de Paris est vraiment affligeante il ne sert a rien de mettre des rustines pour dire que l’on fait quelque chose tel un mantra. Le parc immobilier est là le seul petit problème pour Madame le maire et son équipe ...

à écrit le 18/01/2024 à 8:05
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Non mais pour être propriétaire à Paris il faut déjà être riche. Un ami me disait, qui gagne pourtant bien sa vie, 4000 euros par mois, que ses enfants ne pourraient certainement pas accéder à la propriété s'ils restent sur Paris. A un moment faut sa...

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