Entretien des ponts : le Sénat vote un fonds, l'Assemblée ne devrait pas suivre

Les sénateurs ont profité le 4 décembre de l'examen du projet de loi de finances pour créer un fonds d'aide aux collectivités territoriales qui les aiderait à entretenir leurs ponts. L'Assemblée ne devrait pas suivre.
César Armand
(Crédits : Regis Duvignau)

Parmi les spécificités françaises, il est impossible de connaître précisément le nombre de ponts qui existent en France. Construits après la Seconde guerre mondiale ou dans les années 1970, ils seraient de l'ordre à 200 à 250.000, propriétés à 90% des conseils départementaux et des collectivités.

Le Sénat avait proposé un fonds d'aide de 130 M €...

L'effondrement d'un ouvrage d'art à Mirepoix-sur-Tarn en Haute-Garonne le 18 novembre dernier a réveillé la mission d'information sénatoriale sur les ponts. Celle-ci s'était constituée en octobre 2018 à la suite de l'effondrement du viaduc de Gênes l'été précédent. Dans leurs conclusions présentées fin juin 2019, les sénateurs avaient recommandé la mise en place d'un fonds d'aide aux collectivités territoriales doté de 130 millions d'euros pendant dix ans.

"Nos ponts et ouvrages d'art vieillissent plus vite que les autres", réagit Rémy Jacquier, directeur général d'Oxand, éditeur de logiciels spécialisés dans la maintenance prédictive des infrastructures.
"Cela se traduit par un retard de rénovation - la dette grise - à mettre en miroir de la dette financière. Si l'on maintient le parc dans cet état, on devra l'honorer tôt ou tard."

C'est pourquoi le 4 décembre dernier au Sénat, lors de l'examen des crédits pour les collectivités dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) 2020, le président de ladite mission d'information, Hervé Maurey (Eure, centriste), et son co-rapporteur, Michel Dagbert (Pas-de-Calais, PS), ont présenté un amendement visant à inscrire ce fonds dans le budget.  "La démarche est vertueuse, car elle met en lumière ce retard", commente Rémy Jacquier.

Constant que "16.000 ponts gérés par les communes et les intercommunalités sont en mauvais état", les deux sénateurs ont proposé d'abonder les 130 millions d'euros en partie sur un programme qui comprend les subventions destinées à soutenir les collectivités en cas de catastrophe naturelle.

... finalement ramené à 10 M€ mais désavoué par le gouvernement

Un casus belli pour la ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les Collectivités territoriales, Jacqueline Gourault, qui a jugé cela "pas soutenable".

Le Sénat a finalement adopté l'amendement de Patrick Chaize (Ain, LR), co-rapporteur de la mission d'information sur les ponts, ramenant à 10 millions d'euros les crédits du fonds pour 2020. "Cela permet d'amorcer la pompe", a jugé son collègue Hervé Maurey.

"C'est presque symbolique, mais ça permet de mettre un coup de projecteur", insiste le professionnel Rémy Jacquier. " Au-delà de ce montant, je m'interroge : qu'en ferait-on ? Des appels à projet ? Est-ce que l'argent ira au bon endroit ?"

La ministre Jacqueline Gourault s'est, elle, là encore, opposée à cet amendement. Toutefois, elle s'est dit "consciente de l'importance du sujet" et a proposé de "créer au sein de l'Agence nationale de la cohésion des territoires [ANCT, à naître en janvier 2020, Ndlr] un programme nouveau dédié à cette préoccupation". "Les dotations de droits communs peuvent déjà prendre en charge ces travaux", a-t-elle poursuivi.

L'Assemblée ne devrait pas déposer d'amendements identiques

Le projet de loi de finances revient à l'Assemblée nationale le 16 décembre prochain, mais la majorité des députés devrait suivre les recommandations du gouvernement et ne pas déposer des amendements identiques à ceux des sénateurs, majoritairement de droite et en opposition ouverte avec l'exécutif actuel.

Invité de la fédération nationale des travaux publics au congrès des maires en novembre dernier, son ministre des Collectivités territoriales Sébastien Lecornu avait, lui, promis d'introduire, dans le projet de loi "Engagement et proximité", un amendement permettant aux préfets de faire "sauter le verrou des 80% des subventions". Autrement dit, dès que ce texte sera promulgué par le président de la République, les maires pourront être maître d'œuvre et "subventionner à 100%" ces projets d'envergure.

"C'est un véhicule de plus, une facilité offerte, mais le vrai sujet demeure la prévention et le diagnostic" pointe le directeur d'Oxand Rémy Jacquier. "Les ouvrages et leurs composantes sont comme le corps humain : vous pouvez vous sentir bien, mais quelque chose couve."

La clé : "connaître et anticiper"

D'autant qu'à l'approche des élections municipales, tout maire qui se lance dans des travaux publics risque d'être battu au scrutin des 15 et 22 mars 2020. Le professionnel recommande donc "davantage d'analyse de risques, d'anticipation et de prédiction" de la part de l'ensemble des parties prenantes : Etat, départements et collectivités.

Pour lui, la clé consiste à "connaître et anticiper", et notamment via les logiciels de maintenance prédictive. "Se fondant sur des retours d'expérience, ils extrapolent l'état des ouvrages et permettent de se forger une conviction qui éclaire les choix. Il s'agit de déclencher une amélioration continue", assure-t-il.

Des outils existent pour prévenir les populations en temps réel, notamment à l'aide de capteurs qui déclenchent des alarmes, mais dans ce domaine, il serait temps de prendre de l'avance plutôt que de corriger après coup. Cela permettrait d'éviter le décès d'individus qui s'engagent sur ces ponts fragilisés.

César Armand

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Commentaires 2
à écrit le 12/12/2019 à 13:38
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Comme si on pouvait laisser à des communes seules dont la moitié à moins de 500 habitants, la charge d'entretenir des ponts. Elles n'en ont ni les compétences ni les moyens financiers. On va vers des drames à répétitions si l'état ne s'en occupe p...

à écrit le 12/12/2019 à 13:20
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Ben oui tant pis si les ponts s'écroulent et que "ceux qui ne sont rien" meurent, il faut que les mégas riches soient encore plus riche ! TINA jusqu'à la nausée.

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