Notre-Dame de Paris : la loi n'éteint pas la polémique sur la reconstruction

Le projet de loi pour la restauration et la conservation de la cathédrale doit être adopté le 10 mai. Le débat sur le calendrier et les modalités de sa réédification reste vif, faute d’avoir été clarifié.
César Armand
Les spécialistes de la restauration de monuments historiques ont conforté les structures du bâtiment. Ici, la pose d'un parapluie de bâches à la place de la charpente détruite.
Les spécialistes de la restauration de monuments historiques ont conforté les structures du bâtiment. Ici, la pose d'un parapluie de bâches à la place de la charpente détruite. (Crédits : Patrick Gely/SIPA)

Sur le parvis de Notre-Dame, le soir même de l'incendie, puis dans une brève allocution à la télévision le lendemain, le président de la République, Emmanuel Macron, a lancé le débat : les Français « peuple de bâtisseurs » auront « achevé d'ici à cinq années » la reconstruction de la cathédrale. Une semaine plus tard, le gouvernement a présenté le 24 avril un projet de loi « pour la restauration et la conservation de Notre-Dame de Paris » instituant une souscription nationale à cet effet. Déjà voté en commission le jeudi 2 mai avant d'être examiné en séance publique ce 10 mai, le texte précise bien qu'il s'agit de « restaurer et conserver », alors que le chef de l'État avait parlé de « reconstruire » et de « rebâtir ».

Cela n'a pas empêché la députée (LR) des Hauts-de-Seine, Constance Le Grip, « frappée d'entendre le ministre et la rapporteure utiliser les verbes rebâtir, reconstruire ou restaurer », d'ajouter à l'article 1 la mention « à l'identique » après le mot « restauration ». L'amendement a été rejeté, mais l'élue voulait « ouvrir le débat sur la qualité et la nature du chantier », à la suite de la tribune de 1.170 professionnels publiée dans Le Figaro du 29 avril. Ces derniers ont appelé le chef de l'État à « prendre le temps du diagnostic (...) sans retard ni précipitation ».

200 entreprises mobilisées jour et nuit

Le Groupement des entreprises de restauration de monuments historiques (GMH) n'a toutefois pas attendu les déclarations des uns et des autres pour sécuriser la cathédrale. Depuis le lendemain du drame, 200 sociétés, dont les quatre déjà parties prenantes du chantier initial, se mobilisent jour et nuit pour conforter les structures. Outre un « parapluie » de bâches en lieu et place de la charpente, des poutres en bois lamellé-collé préfabriquées et approvisionnées par grue ont été installées en dessous et au-dessus de la voûte pour la sécuriser. « Nous ne savons ni comment la voûte a supporté l'incendie et l'eau, ni comment le plomb a coulé et ruisselé », expliquent les deux coprésidents du GMH, Frédéric Létoffé et Gilles de Laâge.

En réalité, près de 400 tonnes de plomb présentes dans l'édifice et chargées de particules toxiques seraient désormais dans l'atmosphère, selon l'historienne Judith Rainhorn, dans Libération.

« On peut raisonnablement se demander si le recours massif au plomb pour la couverture ne pose pas de problèmes sanitaires ou si la charpente ne doit pas être optimisée en raison de la structure fragilisée », pointe d'ailleurs auprès de La Tribune le président du Conseil national de l'Ordre des architectes, Denis Dessus.

En matière de matériaux de construction, le débat continue en effet de faire rage entre les « Anciens » et les « Modernes ». Les uns défendent la continuité avec l'emploi de chêne massif pour refaire la toiture tandis que les autres plaident pour l'implantation de matériaux de synthèse.

La cathédrale de Reims, bombardée en 1914, a ainsi été rebâtie avec une charpente en béton aujourd'hui classée.

« Préserver notre patrimoine ne revient pas à le mettre sous cloche, mais à le valoriser, à le sécuriser, à l'embellir, à le rendre utile pour la collectivité, à l'adapter à des usages qui évoluent », confirme Denis Dessus.

Un grand débat sur la flèche

« Les matériaux, les outils, les techniques ont beaucoup évolué et ne sont plus les mêmes. Que l'on soit les plus fidèles possible pour ne pas trahir ! », considère Constance Le Grip. Le GHM estime, pour sa part, qu'un bois vert fera parfaitement l'affaire. En revanche, prévient-il, si les matériaux changent, ils devront avoir les mêmes caractéristiques techniques que la structure pour être en adéquation avec la maçonnerie et l'équilibre général du bâtiment du XIIIe siècle.

Par ailleurs, le projet de loi confirme que l'ensemble des dons et versements reçus dans le cadre de la souscription nationale reviendra bien à Notre-Dame ainsi qu'à la formation des professionnels des monuments historiques.

« Nous aimerions que les fonds réunis puissent être réutilisés, s'ils sont excédentaires, à d'autres rénovations patrimoniales, espère Denis Dessus. Nous nous réjouissons aussi du souhait de faire de cette opération de rénovation un support pédagogique et l'occasion de valoriser les métiers manuels et nos savoir-faire. »

Quant à l'article 8, qui autorise le gouvernement à créer un établissement public d'État, il suscite le scepticisme de l'ensemble des parties prenantes. Constance Le Grip s'interroge sur « la pertinence » d'une telle institution, « sachant qu'il existe déjà des établissements publics compétents ayant cette mission », comme le Centre des monuments nationaux. L'architecte Denis Dessus, lui, « n'en voi[t] pas l'intérêt » non plus, jugeant que « cela ne peut que générer des coûts et des délais inutiles ».

En définitive, c'est surtout l'article 9, qui habilite l'exécutif à légiférer par ordonnance en matière d'urbanisme, de protection de l'environnement, de voirie ainsi que de règles de commande publique, qui cristallise les critiques. « C'est un euphémisme de dire qu'il n'est pas de nature à me rassurer », déclare la députée Constance Le Grip.

« Le gouvernement est un adepte des lois d'exception qui permettent de systématiquement s'affranchir des règles de la commande publique et d'un certain nombre de lois et codes qui s'appliquent à toute construction, estime le président de l'Ordre des architectes Denis Dessus. Nous demandons donc que l'on ne puisse pas déroger aux lois existantes. »

Quid enfin de la flèche de Viollet-le-Duc, qui doit faire l'objet d'un concours international d'architecture voire d'« un geste architectural contemporain » ? « On tranchera après un grand débat et une grande consultation », a répondu le ministre de la Culture, Franck Riester, sur LCI le 3 mai. Denis Dessus concède qu'il aurait préféré « un concours sur les abords de la cathédrale, voire sur l'ensemble de l'île de la Cité », assurant que cela aurait permis de « valoriser les autres bâtiments historiques, adapter le site à ses usages actuels et en dégager les potentiels ».

___

ENCADRÉ

Les montants collectés pour Notre-Dame

1 milliard d'euros. Les promesses de dons pour la reconstruction, dont 200 millions promis par la famille Arnault, 200 millions par la famille Bettencourt, 100 millions par la famille Pinault et 100 millions par le groupe Total.

Plus de 227 millions d'euros. Les sommes collectées par la Fondation Notre-Dame au 6 mai 2019, dont 217 millions d'euros de promesses en France via le fonds Cathédrale de Paris, 15 millions d'euros auprès de collectivités, d'États et d'entreprises et 4,4 millions d'euros versés par des particuliers. 10 millions de dons venant des États-Unis via la fondation Friends of Notre-Dame de Paris, dont 643.000 euros offerts par des citoyens américains, ont également été collectés.

25 millions d'euros. Le montant récolté par la Fondation de France au 6 mai 2019.

3,365 millions d'euros. Les dons validés par le Centre des monuments nationaux au 6 mai 2019, auxquels il faut ajouter 952 000 euros de promesses.

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 6
à écrit le 10/05/2019 à 11:16
Signaler
On a utilisé de BOIS pour le toit de la cathedrale de Paris parce que cette le seul moyen à l'époque. Si il y avait eu d'autres moyens plus simples et moins chers dans le passé, les architectes les auraient utilisés. Un exemple, après la guerre de 14...

le 10/05/2019 à 16:56
Signaler
Il faut utiliser les robots tailleurs de pierre, les robots ou les cobots menuisiers/ébénistes, les imprimantes 3D pour les supports complexes provisoires, les systèmes 3d laser pour la fusion du métal des pièces de ferronnerie, les aspirateurs et pe...

à écrit le 10/05/2019 à 11:08
Signaler
Un sujet sans fin puisque jamais elle ne pourra redevenir comme avant mais les thuriféraires de ce type de monuments, extrémistes par définition, eux le veulent. IL serait temps de redescendre sur terre un peu hein...

le 10/05/2019 à 14:01
Signaler
Pourquoi ce monument aurait droit à un traitement de faveur ? Ne devrait-il pas être montré l'exemple de ce que l'on peut faire ? On impose bien des restriction à nombre de bâtiments qui ne sont pas réellement historiques. Typiquement, selon l...

le 10/05/2019 à 16:20
Signaler
Ô vous savez moi je suis pour la laisser comme ça, le côté spectaculaire de sa destruction attirera autant les visiteurs que quand elle était toute propre et lisse... Et on prend le pognon qu'ont donné les milliardaires afin de remplir enfin les ...

à écrit le 10/05/2019 à 10:18
Signaler
Saine polémique, si on reconstruit pour un nouveau bail de 800 ans!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.