« Nous ne pouvons pas être une entreprise qui gagne dans un monde qui perd » (Alain Dinin et Jean-Philippe Ruggieri, Nexity)

Le PDG jupitérien, c’est terminé chez Nexity ! Depuis le 22 mai, Alain Dinin devient président et Jean-Philippe Ruggieri, directeur général. Dans cet entretien, ils s’expliquent sur cette gouvernance et leur stratégie pour construire la ville de demain.
Le nouveau directeur général de Nexity Jean-Philippe Ruggieri et le président Alain Dinin.
Le nouveau directeur général de Nexity Jean-Philippe Ruggieri et le président Alain Dinin. (Crédits : Marie-Amélie Journel pour La Tribune)

LA TRIBUNE - Pourquoi avez-vous décidé de scinder la présidence et la direction générale à compter de ce 22  mai ?

ALAIN DININ - Pour plusieurs raisons, bien sûr ! Alors que rien ne l'obligeait, il m'est apparu qu'il était temps d'organiser le management pour projeter Nexity vers ses enjeux des cinq années à venir. Le groupe a doublé de taille ces cinq dernières années. Il a transformé ses matrices de décisions, en passant d'une organisation par métiers à une organisation par clients. Il a entamé une mutation majeure pour devenir une plateforme de services pour l'ensemble de ces clientèles, qui exerce aujourd'hui plus de 50 métiers et emploie plus de 10. 000 personnes et plus de 100. 000 indirects et induits. Nexity est aussi une entreprise engagée, qui fait de sa responsabilité sociétale et environnementale, de son utilité sociale un axe clé de sa stratégie. En ajoutant les révolutions technologiques et les mutations sociétales à l'œuvre qui modifient profondément à la fois les offres, les relations, les comportements et sans doute les business models, notre organisation managériale se devait d'être repensée pour préparer mieux le futur ! Comme l'ensemble de la société, et parce qu'elles y jouent un rôle essentiel de plus en plus affiché pour le bien commun, les entreprises doivent adapter leur mode de pilotage. La notion classique de patron n'est plus la réponse unique dans ce nouvel environnement. Le futur de Nexity passera par une équipe d'associés, de dirigeants d'horizons différents et complémentaires pour un pilotage multidisciplinaire. Face à la complexité des sujets, c'est la garantie d'une équipe plus performante.

Depuis trois ans, Nexity est piloté au plus haut niveau de l'entreprise, par un collectif de cinq personnalités d'horizons, d'âge, de culture, d'expériences complémentaires et différents. Avec l'équipe dirigeante, nous avons choisi d'utiliser au mieux les compétences de chacun : en ce qui me concerne, sous mandat du conseil d'administration, celles de piloter la stratégie, les allocations de ressources, les missions sociétales  ; et à Jean-Philippe Ruggieri et ses « associés », Julien Carmona, Véronique Bédague-Hamilius et Frédéric Verdavaine, celles de piloter, d'adapter et de projeter...

JEAN-PHILIPPE RUGGIERI - J'aime bien cette idée de collectif, cette notion « d'associés ». C'est la pensée globale qui a fait notre réussite jusqu'à présent. La diversité culturelle de formations et d'expériences crée une contradiction interne qui fait naître de nombreuses solutions hétérogènes. J'ai accepté d'en être le porte-drapeau mais je crois à l'idée de pack, c'est l'amateur de rugby qui vous parle. Unité et ouverture. Notre métier consiste notamment à écouter les clients pour pouvoir inventer, innover en permanence. Ce qui permet de comprendre l'acuité, je crois, des 22 mesures que nous avons proposées en novembre dernier pour répondre au défi majeur du logement auquel notre pays doit faire face.

Jean-Philippe Ruggieri, recruterez-vous d'autres personnalités expertes des politiques publiques pour connaître toujours mieux les besoins des territoires ?

J.-P. R. - Bien sûr ! Nous avons déjà, sur le terrain, 10 000 experts. Nous allons croître de 30 % dans les trois prochaines années, nous amenant à recruter les meilleurs experts - un peu « d'immodestie » -, ce n'est quand même pas par hasard si nous avons les meilleures performances du secteur. Mais plus sérieusement, notre équipe dirigeante s'est donné comme objectif d'accroître encore fortement la diversité de nos recrutements, pour être à l'image de notre monde, de nos clients.

Est-ce la fin du PDG jupitérien ? Cette dissociation doit-elle devenir la nouvelle norme ?

A. D. - Pour répondre à cette question, je crois qu'il faut aborder d'abord le sujet de la structure du capital qui est l'une des originalités de Nexity. Nexity a 70 % de flottant, actionnaires institutionnels ou individuels qui nous suivent généralement depuis longtemps. Un institutionnel, Crédit Agricole Assurances, a 6 % ; et le reste (Arkéa et les salariés du groupe) s'est organisé en action de concert autour de moi, pour représenter, en chiffres ronds, 20 % du capital. Je suis donc, de facto, le représentant du premier actionnaire du groupe, avec un objectif clair de création de valeur et de rendement.

Pour des raisons historiques - en poste depuis la création de Nexity en 2000 -, je pouvais apparaître comme centralisant beaucoup de décisions. Ce n'est pas la réalité et il convient de le faire comprendre maintenant. Comme il faut aussi continuer de renforcer l'actionnariat salarié, clé essentielle du futur de Nexity.

J.-P. R. - Nous allons continuer à jouer la complémentarité. J'ai rejoint Nexity dès janvier 2001, lorsque l'entreprise familiale toulousaine a été rachetée. Cela fait donc dix-huit ans que je suis dans le groupe avec ce qui m'anime, la vision client, et que je réfléchis aux produits et aux solutions qui correspondent à leurs besoins, leurs moyens, leurs parcours, les territoires dans lesquels ils vivent... Désormais, nous nous réunirons avec le comité exécutif pour piloter et consolider la stratégie, et en comité stratégique tous les quinze jours avec Alain Dinin. Nous allons décider de ce que nous voulons développer le plus pour chacun de nos clients. Nous allons nous concentrer sur deux priorités : produire autour du logement et des bureaux, des services à valeur ajoutée adaptés à nos clients et dans le respect de l'environnement. Dans un environnement qui est un défi passionnant : les modes de fabrication de la ville changent rapidement. Nous sommes d'ailleurs, par exemple, en train de créer un concept nouveau avec un partenaire industriel pour renouveler ce sujet de la production vers des méthodes plus propres, plus respectueuses, plus performantes, et financièrement plus abordables.

Vous n'avez pas encore prononcé le mot « immobilier » alors que vous êtes le numéro 1 français. Pourquoi ?

A. D. - Je ne cherche pas à faire de la provocation, mais je le dis simplement : nous ne faisons pas d'immobilier. Nous ne sommes ni une entreprise du BTP qui fabrique, ni une foncière qui possède. Nous ne détenons pas nos actifs, nous louons notre siège social comme nos sièges en régions. Nous n'avons jamais détenu de patrimoine en propre. D'ailleurs, sans client, nous ne construisons pas et nous ne lançons pas de commercialisation. Nous sommes, en fait, et j'insiste, un ensemble cohérent de sociétés de services à l'immobilier. En matière de clients particuliers, nous sommes au service des étudiants, des seniors, des familles comme des personnes seules, des gens qui souhaitent investir dans l'immobilier... Nous nous adressons en priorité aux classes moyennes, notamment avec un logement neuf moyen de ­200.000-250 .000 euros.

Certes, nous sommes, sans en faire l'affichage, très présents à Paris avec près de 600 logements en cours de livraison en 2019. Mais notre « vraie clientèle » dans toute la France, à travers près de 20 .000 logements neufs par an, et 22.000 copropriétés en gestion, ce sont près d'un million de personnes, des étudiants, des seniors, des familles, pour lesquelles nous pensons des services immobiliers ad hoc.

En termes d'immobilier d'entreprise, nous avons opéré pour la Société Générale, livré le siège d'EDF, un immeuble pour l'Oréal ou pour un département ­d'Hermès. De même, nous gérons, en property management, près de 11 millions de mètres carrés. Dans ce domaine, le client n'est plus nécessairement l'investisseur qui achète les bureaux, mais l'utilisateur, l'entreprise dont les collaborateurs vivent dedans. À Pantin, un immeuble conçu pour l'agence BETC a déjà été changé trois fois de propriétaire, car c'est bien l'usage qui est fait du bâtiment qui crée sa valeur. C'est pourquoi j'ai la conviction que le bail classique de trois-six-neuf ans va disparaître au profit d'une logique d'immobilier flexible. Et c'est une des raisons qui nous a poussés à ajouter, notamment, du coliving et du coworking à notre panel d'offres à destination des entreprises.

Par ailleurs, n'oublions pas ce que nous faisons avec les collectivités. Par exemple, nous installons le siège social d'Engie à La Garenne-Colombes et réaménageons, à Toulouse, le pôle multimodal « My Jolimont ».

Quand vous publiez en novembre dernier vos 22 propositions pour relancer les politiques publiques du logement, est-ce justement parce que vos clients vous le demandent ?

A. D. - Nos 22 propositions résultent d'un constat : les prix du logement sont trop chers. Cela constitue d'ailleurs une des raisons pour lesquelles nous ne pouvons être en ligne avec la Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), qui semble s'intéresser plus au prix de vente qu'à la solvabilité des clients qui baisse. Nous avons fait des propositions dans tous les domaines : sur l'ancien, les droits de mutation, la rénovation énergétique des bâtiments, les pensions de famille, les logements en déshérence dans les copropriétés... C'est dans l'ADN de Nexity. Et c'est aussi dans la trajectoire que j'ai fixée : devenir une entreprise à mission d'ici à trois ans. Nous voulons être utiles au monde qui nous entoure. Nous ne pouvons pas être une entreprise qui gagne dans un monde qui perd. Je crois que cela nous parle à toutes et à tous : notre travail consiste à travailler pour la collectivité, la société dans son ensemble.

J.-P. R. - Nous voulons être le partenaire de toutes les étapes de la vie, en tenant compte du fait que les gens n'ont pas tous les mêmes moyens. Il nous faut trouver des solutions différentes selon les besoins. Et tenir compte de la dimension territoriale : on ne vit pas de la même façon à la ville et à la campagne, en île-de-France comme dans les métropoles régionales.

S'intéresser au client, c'est être capable de l'accompagner au fur et à mesure de son parcours personnel et professionnel immobilier : d'abord en résidence étudiante, puis en colocation ou en studio, avant un deux-pièces avec son conjoint, à louer ou à acheter. Des enfants vont peut-être arriver, et donner envie d'habiter une maison. Certains couples vont se séparer. L'un ou l'autre vivre seul désormais. Puis à nouveau en couple. Vieillir à un, ou à deux. Choisir de vivre en résidence senior. Ces évolutions modifient considérablement ­l'approche de l'immobilier, la vision de l'usage et de la propriété, la transmission.

Au cours des dix-huit ans passés aux côtés d'Alain Dinin, nous n'avons cessé de penser nos métiers (la promotion, le syndic de copropriété, la gestion locative, tous nos métiers de services...) et de concevoir nos offres en fonction des besoins de nos clients... Mais il faut aussi travailler main dans la main avec les collectivités et les élus locaux, qui représentent l'intérêt général et ont la vision de la ville de demain. Il ne suffit pas de construire pour transformer la ville et la vie. Il faut également réhabiliter les centres-villes, travailler sur la rénovation énergétique. Dans le même esprit, nous nous devons d'économiser les sols et de lutter contre l'étalement urbain. Toute une série d'enjeux très concrets et primordiaux qui disent qu'avant de penser à être le numéro 1 de l'immobilier, des services immobiliers, nous devons d'abord et sans cesse nous intéresser aux gens. Cela est au cœur de notre métier, de notre stratégie, de notre raison d'être. C'est cela la plateforme de services dons nous parlons.

A. D. - Quand, en novembre dernier, nous interpellons le président de la République, ce n'est pas parce qu'il a diminué le prêt à taux zéro, mais parce que, en supprimant le Pinel dans certaines zones, il n'a pas de vision de la politique de l'habitat en dehors des centres urbains. Nicolas Sarkozy disait « tous propriétaires », Cécile Duflot ne jurait que par le logement social et Emmanuel Macron ne parle que du dispositif Pinel. Même nous, nous n'en parlons plus ! Notre pensée va au-delà : elle consiste à nous mettre au service de nos clients sur la durée. Pour nos clients particuliers, nous proposons 35 offres : de l'accession à la propriété dans les zones de rénovation urbaine (Anru) jusqu'à Ægide Domitys pour les seniors, en passant par les pensions de famille qui hébergent les populations les plus fragiles. Variété des offres, attention aux vies de nos clients, à leurs moyens, à leurs besoins. être plateforme de services est une ambition du concret qui exige évidemment beaucoup de proximité.

L'économiste Alfred Sauvy disait que seule la démographie compte. Nous aurons quatre millions de ménages supplémentaires d'ici à vingt ans. Avec 43 % de foyers monoparentaux ou constitué d'une personne seule et près d'un quart de la population ayant plus de 65 ans. Il est urgent d'avoir une pensée sur la vie dans les villes. Nous manquons de pensée politique sur le sujet du vivre-ensemble et de la mixité sociale. Ce qui nous a amené un problème de fond depuis les trente dernières années : en laissant de côté la vie des gens dans les cités, le Français aux revenus modestes, les cohabitations des différentes cultures, les seniors, les personnes âgées en fin de vie... Nous avons fabriqué une société de disparités. Le sujet reste entier.

En matière fiscale, l'économiste Robin Rivaton propose d'ailleurs de créer un « impôt personnel immobilier » qui viendrait remplacer la taxe foncière, les droits de mutation et même les plus-­values. Qu'en pensez-vous ?

J.-P. R. - Je suis tout à fait d'accord avec sa vision sur la numérisation de l'immobilier, portée par son association Real Estech, mais ce qu'il propose en matière de fiscalité ne constitue pas une bonne réponse. Réduire la politique de la ville à la politique fiscale est bien trop court. Nous avons une politique fiscale certes complexe, certes trop lourde quand on regarde par rapport aux pays voisins, mais qui tient finement compte des parcours de vie des gens. Se focaliser sur la politique fiscale, c'est faire l'impasse sur la politique de l'urbanisme, qui est à la racine des problèmes de pénurie et de cherté du logement, notamment en empêchant de faire de la densité. Le ­foncier, le terrain est trop cher, car les plans locaux d'urbanisme sont édictés avec des hauteurs maximales, et jamais avec des hauteurs minimales. Alors que, en métropole, c'est la densité qui est la réponse à nos défis de prix, de transport, d'environnement et de vivre ensemble. Nous pensons que le préfet devrait pouvoir intervenir pour empêcher la délivrance d'un permis pour cause de sous-densité.

Que proposez-vous, vous qui êtes parfois surnommé le « vrai » ministre du Logement ?

A. D. - À aucun moment, je n'ai eu la prétention d'être ministre de quoi que ce soit. à chacun sa vocation ! La mienne est de servir mon entreprise et, à travers elle, la collectivité. Il est vrai que nous pouvions espérer de ce gouvernement qu'il ait une pensée sur la problématique du vivre-ensemble, sur les évolutions profondes de nos sociétés et les comportements et attentes des individus, sur les enjeux démographiques aussi... Mais l'approche fiscale est la seule qu'il retient s'agissant de l'immobilier, considéré de façon absurde comme non productif économiquement et traité comme une rente. Avec une approche autre que comptable, nous aurions pu aborder les sujets de droits de mutation, de plus-value sur la résidence principale, de droits de succession ou de niveau de la TVA sur ce qui constitue un bien de première nécessité.

J.-P. R. - Je rebondis sur ces propos, par exemple au sujet des droits de mutation qui pourraient être ­progressifs : 2 % pour les petits budgets et entre 12 et 15 % pour les gros budgets au-delà de 1 million d'euros. Cela permettrait de favoriser la mobilité de ceux qui ont moins d'argent. Quand on a pour ambition, et c'est la nôtre, d'accompagner chaque ­individu dans tous les moments, depuis la vie étudiante jusqu'au grand âge, dans sa sphère privée comme dans sa vie professionnelle et sociale, et de surcroît, dans des villes intenses, inclusives, bas carbone et résilientes aux effets du changement climatique, cela nous engage durablement. Et nous impose évidemment de penser aussi à moyen-long terme. C'est vrai dans nombre de métiers. Cela l'est particulièrement s'agissant de ceux de la ville, de ceux qui y vivent et y travaillent, en fait du vivre ensemble.

La dissociation fait des émules chez Colas

Le 14 mai dernier, la filiale du groupe Bouygues spécialisée dans les infrastructures de transport, Colas, a, à son tour, annoncé la dissociation des fonctions de président et de directeur général, à la suite d'une réunion du conseil d'administration. Hervé Le Bouc reste président et Frédéric Gardès, directeur général international de Colas depuis mars 2018, est le nouveau directeur général. Entré comme ingénieur travaux chez Bouygues Offshore en 1994 après ses études, il rejoint Colas en 2011 comme directeur de GTOI, la filiale réunionnaise. Ce diplômé de Centrale Paris et de Polytechnique Stockholm prend ensuite la tête de la direction régionale Océan Indien en 2013, avant de devenir deux ans plus tard directeur général adjoint Europe du Nord et Moyen-Orient.

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