Covid-19 : un jackpot pour les Big Pharmas

Fabrique à blockbusters, en premier lieu les vaccins, en attendant des traitements efficaces, la pandémie est une aubaine pour les laboratoires pharmaceutiques. Mais entre goulets de production et impatiences politiques, l'innovation médicale est sous forte pression. La guerre mondiale du "soft power" passe aussi par la Covid.
(Crédits : LISI NIESNER)

Depuis le début de la crise sanitaire, l'industrie pharmaceutique est entièrement mobilisée. Elle prend des risques et utilise ses nouvelles technologies pour créer des vaccins et des traitements efficaces. Elle teste les molécules expérimentées pour d'autres maladies, au cas où elles marcheraient contre le CoV-2, peaufine les tests pour accélérer la détection des cas contaminés...

Comme toutes les nouvelles maladies, la Covid-19 est devenu un segment du marché des médicaments. Un segment XXL à la mesure de la pandémie qu'elle provoque. Certains laboratoires s'y sont positionnés très tôt, avec des candidats déjà arrivés ou qui arriveront bientôt dans les officines. D'autres ont vu leurs développements patiner et ont été contraints à les abandonner. Comme toujours, le médicament est un métier à risque qui peut engendrer de belles réussites comme de jolis ratés.

Le filon de l'ARN messager


Qui y gagne ? Parmi ceux qui ont concentré très tôt leurs recherches anti-Covid, quelques bonnes intuitions sont en train de payer. Certains produits pourraient même devenir des blockbusters comme les aime tant la pharmacie. Selon Patrick Biecheler, Senior Partner au sein du cabinet Roland Berger, ceux qui avaient misé sur des plateformes technologiques innovantes, type ARN messager, s'en sortent le mieux. « La Covid-19 a été la maladie "idéale" pour démontrer l'efficacité de cette nouvelle technologie. Alors qu'elle était à l'étude depuis trois ans sur des pathologies rares, elle est désormais reconnue contre un fléau qui touche toute l'Humanité. » Les prévisions 2021 sont exceptionnelles pour les pionniers de ces vaccins. La biotech américaine Moderna pourrait dégager un chiffre d'affaires autour de 11 milliards de dollars en 2021. Pour Pfizer, les ventes du vaccin conçu avec BioNTech devraient rapporter 15 milliards de dollars et représenter un quart de son chiffre d'affaires. De leur côté, AstraZeneca et Johnson & Johnson affichent des commandes de 3 et 1 milliards de doses pour leurs cocktails. Ils devront déjouer les craintes liées aux effets secondaires pour AstraZeneca et confirmer leur efficacité sur les nouveau variants E484K.

Interféron et anticorps monoclonaux


En matière de traitements, les paris gagnants commencent aussi à se distinguer. Sur la ligne d'arrivée, l'Interféron côtoie différents anticorps monoclonaux. Le premier est un médicament ancien qui module les défenses immunitaires et qu'on utilise déjà contre l'hépatite B. Parmi les anticorps, plusieurs candidats arrivent sur le marché. Ils reproduisent une réponse immunitaire pour réduire les formes graves et sont développés par Regeneron, GSK, Merck-MSD et Roche. Celui d'Eli Lilly a reçu la première autorisation sous condition pour ces anticorps délivrée par l'Agence européenne du médicament et devrait arriver rapidement en France dans les hôpitaux.

Sur les tests Covid, certaines réussites sont aussi à distinguer. Le test rapide d'Abbott a été autorisé par la Food and Drug Administration (FDA) fin août, avant le test antigénique de Roche Diagnostic. Sans oublier les tests salivaires mis au point pas SkillCell et Sys2Diag/CNRS à Montpellier et enfin autorisés en France. Pour tous ces produits, l'urgence de la pandémie a accéléré le développement mais... pas toujours les autorisations. Ils devraient permettre de jolis bénéfices.

Des effets de bords négatifs sur les autres traitements


Qui y perd ? La crise sanitaire n'a cependant pas fait que des heureux dans la pharmacie comme dans les autres secteurs d'activité. Les laboratoires et les biotechs dont les travaux sont loin des préoccupations infectieuses et immunitaires ont vu leur carnet de commande se réduire. À part pour celui contre la grippe, c'est aussi le cas des vaccins pour adulte qui ont vu leurs recettes fondre, notamment chez Merck-MSD et GSK. Selon Patrick Biecheler, les ventes de médicaments sans ordonnance des pharmacies ont reculé de 30% au printemps dernier.

Mais il estime que l'effet Covid sur l'industrie pharmaceutique a été un jeu à somme nulle en 2020. « La déprogrammation d'activités hospitalières et le confinement ont fait évoluer la consommation de produits de santé. Les traitements et liquides anti infectieux ont clairement été surconsommés. Mais ceux concernant l'anesthésie ont été en recul avec la report d'opérations chirurgicales, tout comme certains traitements de chimio ou d'immunothérapies avec le report de traitements en oncologie. » Avec l'urgence et le quasi-monopole Covid, le développement d'autres candidats médicaments a aussi pris facilement six mois de retard. Mais l'accélération des partenariats entre industriels et gouvernements, comme l'agilité qui a permis d'accélérer certaines procédures d'autorisation de mise sur le marché, perdureront peut-être à l'avenir. Si c'est le cas tant mieux. Mais l'administration bureaucratique de Santé devra corriger son incompétence chronique à assurer la logistique et à  traiter l'urgence sanitaire comme on le fait normalement en temps de guerre !


Quels prix pour les vaccins ?

Dès le mois de juin 2020, les prix évoqués sur les futurs vaccins ont fait bondir certains responsables de santé. Même si ces coûts sont théoriquement confidentiels car négociés en fonction des contrats, les tarifs moyens ont fuités. Avec environ 15 euros par dose pour les vaccins de Moderna et de Pfizer/BioNTech, la vaccination revient à plus de 30 euros par patient. Moins coûteux, celui d'AstraZeneca se vend à prix coûtant à 2,5 euros la dose, tandis que Johnson & Johnson a également annoncé le sien à prix coûtant, le temps de la pandémie. Selon certains spécialistes, son prix devrait tourner autour de 7 euros,  pour un vaccin ne nécessitant qu'une injection. Sans oublier le futur élixir du Français Novavax, dont le développement à été surtout soutenu par la Grande Bretagne : il devrait afficher 13 euros la dose. Bien au dessus du vaccin russe Spoutnik V qui serait commercialisé à 7,50 euros.

Quand les États ont passé des précommandes avant même l'autorisation et se sont associés au risque industriel, des vaccins à 30 euros font grincer les dents. Pour certains laboratoires, le principe de vente à prix coûtant découragerait l'innovation. Ils mettent en avant leurs gros investissements en matière de recherche. Comme le précise Frédéric Collet, le président du Leem, le syndicat des entreprises du médicament, , le secteur est l'un des trois premiers en termes d'investissement R&D en France, aux côtés de l'aéronautique et de l'automobile. « On ne parle que des traitements sur le marché, mais la recherche possède une large part d'incertitude, souligne-t-il,. Seulement une molécule sur 10.000 donnera lieu à un médicament autorisé, après des années de développement sur fonds propres. Il ne faut pas oublier l'exploit exceptionnel qu'a été la mise au point de vaccins contre le Covid en une année. En temps normal il faut entre 7 et 10 ans pour développer un vaccin ». Pour de nombreux observateurs, l'argument "investissement recherche" n'est plus vraiment justifié. Ils expliquent que depuis quinze ans, cette dernière est essentiellement développée par le milieu académique et donc financée par l'argent public. Mais aussi par les jeunes biotechs également soutenues par Bpifrance et par les laboratoires de taille intermédiaire.

L'investissement des gros labos consiste surtout à repérer les biotechs les plus prometteuses pour les racheter - parfois très cher - juste avant qu'elles n'arrivent sur le marché. Et à conclure des partenariats avec certains labos académiques, tel Pfizer avec l'université d'Oxford. Bref, la prise de risque est surtout assumée par les petites structures et reste mesurée pour les gros labos. Selon Nathalie Coutinet, enseignante chercheur Sorbonne Paris Nord et membre des Économistes atterrés : « Le chiffre d'affaires des onze plus grands labos a été multiplié par deux entre 1999 et 2017 et les dividendes de rachat de leurs actions multiplié par 3,6 pour atteindre 71,5 milliards d'euros. Avec ces résultats, on sort nettement de la nécessité de rentabiliser ses investissements pour passer dans celle qui vise à maximiser le plus possible sa rentabilité », estime-t-elle. Pour France Assos Santé, le problème est avant tout le manque de transparence autour des négociations menées entre les labos et les autorités de santé. Un manque de transparence qui nourrit une méfiance chronique face aux grands laboratoires. « Que ce soit sur l'évaluation des traitements et encore plus sur la fixation des prix que peut supporter notre système d'assurance maladie, le moins que l'on puisse dire est que rien n'est clair, souligne son président Gérard Raymond. Une participation citoyenne des usagers dans ces structures qui négocient avec les biotechs et les industriels permettrait plus de transparence, notamment en cette période de crise sanitaire. »

Comment feront les pays du Sud ?

Le début de la crise a donné l'occasion à de grandes déclarations d'universalité : tout le monde devait avoir accès aux premiers vaccins découverts pour protéger l'ensemble de l'Humanité. Mais alors que les économies ont été terrassées par les confinements et que les labos ne produisent pas autant que prévu, cette bonne volonté s'estompe peu à peu. A 30 euros la vaccination, sans compter les futurs rappels si le CoV-2 produit trop de variants chaque année, peu de pays du Sud pourront protéger tous leurs habitants. Or, si le virus continue de circuler faute de vaccin, il aura bien plus de chance d'évoluer au fil de ses rencontres et de générer des variants contre lesquels les actuels vaccins ne pourront plus rien. Moralité : réserver aux pays riches les vaccins, sous prétexte de rentabilité ou par souci de voir l'économie redémarrer au plus vite, est juste un pari stupide. Il nous coûtera plus cher en rappels de vaccination qu'il ne nous coûterait à tous - labos compris - en partage de vaccins et levée de licences pour en finir avec la dérive génétique du CoV-2.

Sur le sujet, des partenariats humanitaire permettent d'amortir aussi le coût de la protection vaccinale, comme l'explique Frédéric Collet. « Certains laboratoires trouvent les moyens de rendre leurs produits disponibles à prix coûtant. D'autres s'associent aussi avec des fondations, telles que celle de Bill et Melinda Gates, pour assurer l'accès aux traitements dans les pays à faibles revenus. » A cet égard, de nombreux acteurs plaident pour cette levée des brevets, au moins pour les pays du Sud en voie de développement. L'Inde et l'Afrique du Sud la réclament sur certains produits et vaccins anti-Covid, pour pouvoir avancer efficacement dans leur lutte contre la pandémie. « Ces brevets organisent la pénurie, s'agace Nathalie Coutinet. Je plaide pour leur levée dans les pays du Sud à faibles revenus, comme avant 1994 quand ils pouvaient copier des médicaments indispensables. L'argument sur la complexité de production est une fausse excuse. On sait que les vaccins à ARN messager fonctionnent depuis la rentrée 2020 et de nombreux pays auraient eu largement le temps de s'organiser pour mettre cette production en place afin de commencer à vacciner leurs populations comme nous le faisons. Plus on recule le moment de libérer ces licences et plus on a beau jeu de dire que ce serait trop long. »

Mais le louable discours du vaccin « bien public mondial », accessible et équitable, n'a pas résisté au souci économique. En réservant le plus de doses possibles l'été dernier avec des opérations spécifiques, telles que le partenariat public-privé Warp Speed aux États-Unis, les pays occidentaux ont fait monter les prix sans forcément le vouloir. L'initiative de l'OMS Covax incite bien les pays occidentaux à aider leurs voisins du Sud avec un fond de solidarité "vaccin". Mais avec 2,4 milliards de dollars fin 2020, Covax n'a sécurisé qu'1,3 milliard de doses de vaccin pour 92 pays à revenus faibles et intermédiaires, un effort nettement insuffisant.

Jusqu'en 1994, les pays du Sud pouvaient effectivement copier des médicaments occidentaux quand ils en avaient vraiment besoin sans souci. Mais avec les accords de l'OMS sur la propriété intellectuelle, les brevets ont été élargis aux molécules et même aux gènes. Et leur durée a été portée à 25 ans. Face à cette erreur stratégique dont les urgences sanitaires auraient dû être exclues, la Chine place une fois de plus ses pions aux dépens des "premiers de cordée" de l'Occident. Elle vend à très bas prix ou même "offre" ses vaccins maison Sinopharm à l'Égypte, au Maroc ou au Sénégal qui peuvent ainsi démarrer leurs campagnes de vaccination. La guerre mondiale du "soft power" passe aussi par la Covid.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 13
à écrit le 17/03/2021 à 7:57
Signaler
Sur Youtube Coronavirus : Hold-up

à écrit le 17/03/2021 à 1:56
Signaler
En voyant les montants on comprend mieux la necessite de "vacciner" le plus grand nombre. La sante vient en second lieu, tres loin, fric d'abord. Pauvre monde en grande decadence, ce qui va etre avec de grosses consequences pour l'humanite.

à écrit le 16/03/2021 à 21:50
Signaler
Question aux scientifiques : La planète entière affirme que ce virus du covid 19 est naturelle , n’est ce pas ? Dans «  ce cas là «  aucune inquiétude à avoir, car le «  corps humain » qu’il soit sur terre ou dans l’espace est «  adapté » à com...

le 16/03/2021 à 22:26
Signaler
Pour info, il y a nombre de choses naturelles qui sont mortelles..à commencer par boire 20 litres d'eau en une heure.

le 17/03/2021 à 6:56
Signaler
@Consience : c'est pour cela que l'homme ne résistait pas à la Peste ou au Choléra dont tout le monde sait qu'il s'agissait de bacilles ou bactéries manipulées par les scientifiques de l'époque.... Comment peut on écrire de telles sornettes ?

le 17/03/2021 à 9:57
Signaler
Les maladies issues de la «  nature » s’éteignent naturellement. Pour la peste et le choléra, n’ombres de maladies humaines ont décimé des générations entières , comme la 1 et 2 guerre mondiale, l’histoire de la vaccination, vous l’avez lu ? La va...

à écrit le 16/03/2021 à 19:29
Signaler
Il est aisé d' admette qu' ils s 'en mettent plein les fouilles mais quid de la sécurité et de l' efficacité ? Très mauvaise nouvelle la SAXE arrête aujourd' hui aussi le vaccin expérimental Pfizer car non validé phase 3 comme l...

le 16/03/2021 à 19:54
Signaler
Bien mais pas que car Covid est un très gros poisson, global... Le problème Astra révèle nombre de problèmes, et vous verrez que cela va suivre avec les autres traitements qui ont été bloqués systématiquement. Pour l’Ivermectine, vous app...

à écrit le 16/03/2021 à 17:13
Signaler
En parlant de jackpot : Les laboratoires pharmaceutiques seraient très très généreux avec nos chers médecins ! Entre janvier 2012 et juin 2014, ils auraient ainsi versé par moins de 236 millions d'euros en cadeaux et autres petits avantages (repas...

à écrit le 16/03/2021 à 15:37
Signaler
Sans dec' ?? 😉

à écrit le 16/03/2021 à 9:19
Signaler
Oui un jackpot a condition que l'on le veuille! Le prix de l'eau distillé, qui sont dans les seringues, a bien augmenté!

le 16/03/2021 à 12:26
Signaler
tout cela prend la tournure Médiator. défiance

à écrit le 16/03/2021 à 8:35
Signaler
L'économie du déclin s'il en est avec l'agroindustrie qui lui est étroitement liée.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.