Du paracétamol bientôt produit en France

Ce n’était pas arrivé depuis près de deux décennies. En 2026, du paracétamol fabriqué en France sera disponible à la vente. Une aventure industrielle lancée en 2020, qui doit un peu – mais pas tout – à la crise sanitaire. Seqens opère une relocalisation à Roussillon, en Isère, territoire historique de l’industrie chimique hexagonale, avec une usine qui ne ressemble cependant en rien à celles du passé. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
(Crédits : Istock)

« Avoir un produit sur le marché en 2026 pour un projet lancé en 2020, c'est une réalisation rapide. Relancer la production française de paracétamol a demandé des partenariats avec l'État, avec de grands groupes pharmaceutiques, un important travail de R&D et la construction d'une usine », résume en quelques mots Jérôme Geneste, Directeur des opérations de la branche Consumer Healthcare du groupe français Seqens.

Du paracétamol, la France en produisait jusqu'en 2008, jusqu'à ce que Rhodia décide de fermer son usine du site de Roussillon. En 2001, le groupe avait réalisé l'acquisition d'un site de production en Chine. « Il y a eu une grande période de désindustrialisation de l'industrie chimique vers la Chine. À une époque, 85 % de la production des principes actifs et intermédiaires était française ou européenne, maintenant elle est à 75 % asiatique », illustre Jérôme Geneste.

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En 2020, la crise du Covid-19 met en évidence la dépendance française aux importations de médicaments. Une dépendance qui pose toujours problème, alors même que l'épidémie mondiale s'est essoufflée, comme en témoignent les ruptures de stock et les restrictions de vente de paracétamol en France en début d'année.

« Chez Seqens, la volonté d'accroître notre production en France et en Europe ne date pas de la crise Covid. Déjà producteur de paracétamol en Asie, le groupe a naturellement répondu à la demande du Président de la République de relocaliser la production de son principe actif en France. Tout a dû commencer par deux ans de R&D, afin de développer des procédés plus efficaces tant en termes économiques qu'en termes d'impact environnemental. »

Jusqu'ici, la fabrication du paracétamol de Seqens était basée dans son usine chinoise. Celle-ci va rester ouverte, afin d'alimenter le marché asiatique et de fournir au site français la matière première nécessaire au principe actif, celui que l'on retrouve ensuite dans les médicaments comme le Doliprane. « Cette relocalisation est un projet de 100 millions d'euros. Le soutien de l'État et l'engagement à long terme des partenaires (Sanofi et Upsa) pour une production locale et durable étaient donc indispensables, poursuit Jérôme Geneste. Aucun projet industriel ne se fait uniquement par une subvention publique. Il prend forme parce qu'il existe une vision, une opportunité et qu'une conjonction de facteurs est réunie. Le rôle de l'État a été un catalyseur. »

Relocaliser, une bataille internationale

Outre le soutien de l'État, Seqens a sécurisé le financement de son projet en signant des contrats de long terme avec Sanofi et Upsa. L'ambition est d'atteindre une production annuelle de 15 000 tonnes, soit la moitié du marché européen.

« Je pense que ces questions de relocalisation et de souveraineté devraient être traitées à un niveau européen. Les États-Unis, eux, soutiennent massivement leurs industries, comme l'a encore démontré l'IRA (Inflation Reduction Act). »

Le sujet est d'autant plus européen, ajoute l'expert, que l'enjeu est aussi bien celui de la souveraineté qu'une question de maîtrise environnementale.

« L'Europe est en avance en matière de décarbonation, pourtant toutes les importations dans le secteur pharmaceutique impliquent d'importer également d'énormes quantités de carbone. Les pratiques environnementales se sont certes améliorées en Chine, mais demeurent moins avancées qu'en Europe, et l'Inde, autre producteur majeur, est très en retard. »

Relocaliser constitue donc une occasion de maîtriser l'impact carbone de la chaîne de valeur.

« Nous n'aurions pas accepté de relancer la production de paracétamol si nous n'avions pas eu un site industriel optimisé d'un point de vue énergétique et environnemental », confirme Jérôme Geneste.

L'usine est en effet en construction sur le site de Roussillon, en Isère, là même où le groupe possède déjà une plateforme de production. Celle-ci a diminué de 75 % sa consommation en hydrocarbures, ce qui lui permet de réduire son empreinte carbone ainsi que ses coûts énergétiques.

Aux côtés du financement et de l'impact environnemental, le troisième facteur clé d'une relocalisation est en effet la maîtrise des coûts de l'énergie. Là encore, il s'agit d'un sujet de compétitivité internationale.

« L'énergie est très peu chère aux États-Unis, il ne faudrait pas que des industries soient tentées de s'y installer plutôt qu'en Europe, sans oublier les effets de distorsion de la concurrence que cela crée. Je pense que la clé de la réindustrialisation de l'Europe sera sa capacité à fournir une énergie décarbonée à un prix accessible », insiste Jérôme Geneste.

Rebondir sur le passé industriel de la France

Si l'on se souvient que l'Hexagone possède un héritage industriel, peu savent que l'industrie chimique française est toujours la première filière exportatrice de France. Or relocaliser sur un territoire déjà industrialisé, ou au passé industriel, facilite beaucoup les choses, souligne Jérôme Geneste. Le programme de réindustrialisation devrait donc tirer parti de cet atout, car au-delà de la politique européenne, les enjeux sont aussi locaux.

« Les industries ont un lien fort avec les territoires. Elles recrutent dans les bassins de proximité et participent à la vie citoyenne. »

L'usine Seqens devrait ainsi permettre la création de 50 emplois directs et 4 à 5 fois plus d'emplois indirects. Côté formation, à Roussillon, la plateforme de Seqens gère un lycée professionnel, offrant aux jeunes des débouchés sur son site, et le groupe travaille également avec le reste de la filière industrielle au sein d'un campus en Auvergne-Rhône-Alpes. « La formation et le maintien des compétences doivent aller de pair avec la réindustrialisation. Ceci prouve, une fois encore, que réussir une relocalisation demande de conjuguer de multiples facteurs, d'avoir une vision large, du financement à l'emploi en passant par l'énergie et la politique européenne. »

Mais le retour du paracétamol en France pourrait bien passé aussi par l'Occitanie avec le projet porté par startup toulousaine Ipsophene, d'implanter à Toulouse une usine de production européenne.

Lire aussiUsine de paracétamol à Toulouse : « le projet est financé » promet son porteur

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T16

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Commentaire 1
à écrit le 09/10/2023 à 8:39
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Du goudron et des médicaments ! Vive la "réindustrialisation" ! LOL

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