La nouvelle industrie spatiale en plein essor à Toulouse

Capitale européenne historique du spatial, Toulouse est devenue en quelques années l’épicentre d’une industrie d’un nouveau genre autour du NewSpace. L’émergence de constellations de centaines, voire de milliers, de petits satellites tracte de forts besoins de recrutement et de nouvelles usines sont en train de voir le jour. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
(Crédits : Istock)

Fabriquer un satellite par jour, l'objectif paraissait inatteignable il y a encore quelques années dans une industrie spatiale reposant sur un modèle artisanal alliant composants de très haute qualité et la confection de seulement quelques exemplaires par an. Mais c'est sans compter sur l'émergence d'une industrie d'un nouveau genre, misant sur des composants plus économiques et des méthodes de production en série pour fabriquer des satellites plus petits, plus flexibles et plus légers. Toulouse, capitale européenne historique du spatial, qui héberge les deux grands leaders du spatial européen, Airbus et Thales Alenia Space est devenue en quelques années l'épicentre d'une industrie d'un nouveau genre autour du NewSpace. Parmi ces nouveaux acteurs figure U-Space. Fondée en 2018 la startup a l'ambition de devenir un maître d'œuvre de nanosatellites à prix cassés. Pour faire face aux besoins XXL du secteur spatial dans les années à venir, U-Space va mettre en service à compter du printemps 2024 une usine de 1 000 m2 à Toulouse. « Dès l'année prochaine, nous prévoyons d'y assembler entre cinq et dix satellites. Ensuite, progressivement, nous allons mettre en place des lignes de production, des tests automatisés, la logistique... Ce qui nous amènera à augmenter la capacité de production avec toujours l'objectif de produire un satellite par jour, donc plus de 300 satellites par an en 2025 », décrit Fabien Apper. Une fois dans l'espace, ces petits satellites pourront servir à différents types de missions. La jeune société a notamment décroché un contrat pour une constellation d'une dizaine de satellites pour réaliser une surveillance des aérosols et visualiser leur propagation dans les villes en fonction notamment des conditions météo.

Autre projet géant attendu dans la Ville rose, la société E-Space fondée par l'Américain Greg Wyler, veut ouvrir une usine de 20 000 m2 près de Toulouse pour produire les milliers de satellites de ses futures constellations notamment pour créer des services IoT (Internet des objets). « Notre mission est de démocratiser tout ce qui touche à l'Internet des objets, de connecter les objets qui ont des capacités d'échanger des données avec d'autres entités physiques ou numériques. L'idée de l'extension du réseau Internet à des objets n'est pas nouvelle. Mais jusqu'à présent, il était rare d'avoir une couverture sur l'ensemble du globe et en temps réel », explique Karim Michel Sabbagh, actuel directeur général d'E-Space, en charge de l'Europe et du Moyen-Orient.

Capitale européenne du NewSpace

Ces projets illustrent bien la transformation engagée au sein de la Ville. « Toulouse est la capitale européenne de l'espace, mais c'est aussi la capitale européenne du NewSpace », observe Éric Luvisutto, président de SatConseil et de Toulouse Space Team. Ce groupement de consultants indépendants spécialisés dans le spatial a réalisé une cartographie inédite des acteurs européens du NewSpace. « Nous avons répertorié à début juin 2023 les sièges sociaux de 229 entreprises. La France fait la course en tête en Europe avec 69 entreprises implantées. Toulouse compte à elle seule une trentaine d'acteurs du NewSpace », relève-t-il.

En quelques années, l'écosystème spatial de la Ville rose s'est profondément transformé. Outre les géants mondiaux Airbus et Thales Alenia Space, Toulouse sert de rampe de lancement pour toute une série d'acteurs comme Anywaves, Exotrail ou Prométhée sans compter l'arrivée de startups étrangères comme l'Italien Aiko, le Canadien Connektica ou l'Espagnol Pangea Aerospace.

« Toutes ces startups disent qu'il s'agit plus qu'un bureau commercial pour toucher des subventions, mais qu'il y a derrière une véritable volonté de se développer. C'est déjà le cas de la société américaine Loft Orbital qui a beaucoup évolué et est en passe de devenir une licorne », pointe Éric Luvisutto.

Loft Orbital triple ses locaux

La société franco-américaine Loft Orbital a triplé en début de l'année la taille de ses locaux en investissant un immeuble sur quatre niveaux en plein centre-ville de Toulouse pour réussir un passage à l'échelle crucial. « Nous avons 300 millions d'euros de commandes avec plus de vingt satellites à lancer dans les 18 prochains mois », explique Emmanuelle Méric, directrice générale France de Loft Orbital.

Fondée en 2017 à San Francisco, Loft Orbital a implanté deux ans plus tard une équipe française à Toulouse. La start-up dispose, comme dans ses deux autres bureaux de San Francisco et du Colorado, d'un centre d'opérations pour suivre en temps réel ses satellites. Mais en réalité, la plupart du temps, le centre des opérations est... vide. Car la start-up a automatisé au maximum les opérations de ses satellites pour justement dimensionner ses activités à l'arrivée de constellations de centaines ou de milliers de satellites dans les années à venir. La jeune pousse franco-américaine bénéficie même d'une dépendance dans laquelle la société veut installer quatre chambres d'hôtes pour accueillir les collègues des bureaux américains lors de leurs passages dans la Ville rose.

Tous ces aménagements n'ont rien d'anecdotique. « L'investissement que nous avons fait dans ces bureaux, c'est vraiment stratégique pour renforcer l'attractivité de Loft Orbital en France et nous différencier des acteurs existants du spatial. Ce bureau a vocation à être notre centre d'expertise d'excellence en Europe et d'attirer des talents européens pour venir travailler chez nous », fait remarquer Emmanuelle Méric.

Loft Orbital emploie une cinquantaine de collaborateurs à Toulouse et prévoit de recruter une trentaine de personnes en 2023. « Toulouse est la capitale européenne du spatial donc on trouve déjà beaucoup de talents. Il y a une attractivité naturelle pour ce genre de profil mais c'est important pour nous d'étendre notre recrutement aux meilleurs profils européens », complète la dirigeante du centre européen qui compte déjà dans ses rangs trois Espagnols, un Néerlandais, une Écossaise, trois Américains, un Suédois, des Italiens...

À terme, Loft Orbital aimerait décrocher un client d'ancrage français ou européen pour accélérer son développement en France avec l'ouverture d'un centre pour intégrer les charges utiles aux satellites et les tester sur place.

Convergence entre acteurs historiques et émergents

Les convergences se multiplient pour faire émerger cette nouvelle industrie spatiale toulousaine. Comat fait partie des acteurs historiques de l'écosystème spatial toulousain. La PME, qui a fêté ses 45 ans d'existence l'an passé, s'est désormais mise en ordre de bataille pour accompagner l'essor du NewSpace.

En « manque de place » dans ses locaux actuels implantés à Flourens, à l'est de Toulouse, Comat a lancé en juin la construction d'un nouveau bâtiment pour le NewSpace. Le projet, qui va demander huit millions d'euros d'investissements, ne servira pas uniquement à combler les besoins internes de l'entreprise.

« Cette usine dédiée au NewSpace comprendra toutes les facilités d'intégration, de test et surtout de travail collaboratif. Nous avons l'habitude de faire du co-working sur le développement et l'innovation. L'idée, c'est de l'appliquer sur la partie industrialisation, c'est-à-dire que des startups pourront venir produire en série des équipements NewSpace dans notre usine », développe Ludovic Daudois. Chez U-Space, on revendique cette coopération avec les acteurs établis du spatial toulousain. « Notre positionnement est d'être intégrateur donc nous réfléchissons à des partenariats à long terme avec certains fournisseurs critiques en mesure de répondre à des capacités industrielles de production », mentionne Fabien Apper.

Au-delà des forts besoins commerciaux, les acteurs du NewSpace toulousains devraient être portés par les importants besoins militaires impulsés par la création du Commandement de l'Espace à Toulouse qui emploiera 500 personnes en 2025 et l'arrivée du nouveau centre d'excellence de l'OTAN dédié au spatial. U-Space a ainsi été chargé de développer un satellite envoyé en orbite basse qui sera chargé de patrouiller pour protéger d'autres satellites. De quoi positionner Toulouse en pole position pour devenir la capitale de la surveillance de l'espace.

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