Les attaques judiciaires entre laboratoires s'emballent avec l'arrivée des biosimilaires

Les grands laboratoires pharmaceutiques multiplient les actions en justice pour retarder la commercialisation de ses reproductions de biomédicaments, et protéger les revenus de leurs blockbusters.
Jean-Yves Paillé
Les biosimilaires sont plus largement diffusés en Europe. Aux Etats-Unis, la FDA n'en a approuvé que cinq, pour le moment.

Une énième bataille a été lancée dans la guerre des brevets entre laboratoires pharmaceutiques. La semaine dernière, Johnson & Johnson a attaqué Samsung Bioepis en justice. Il l'accuse de violer le brevet du Remicade (traitement contre des maladies inflammatoires) avec le Renflexis, un biosimilaire (médicament reproduisant les effets de traitements issus du vivant). Fin avril, ce traitement a été approuvé par la FDA, l'Agence américaine des médicaments et des produits de santé et s'apprête à être commercialisé.

Johnson & Johnson n'a pas réussi à garder le brevet du Remicade, qui génère près de 7 milliards de dollars de revenus par an. Mais il compte bien bloquer la commercialisation du biosimilaire de Samsung. Il estime que le Sud-coréen n'a pas respecté la procédure demandée pour pouvoir lancer un biosimilaire sur le marché, qui réclame notamment le respect d'un délai entre le feu vert de l'Agence des médicaments et le lancement sur le marché.

Le marché américain, terrain des actions en justice

Cette nouvelle bataille judiciaire autour des biosimilaires rappelle celle menée par Amgen contre Sandoz (filiale de Novartis dédiée aux génériques et biosimilaires) depuis 2014 pour un biosimilaire du Neupogen, un traitement pour augmenter le nombre de globules blancs. Le laboratoire américain considère que la société suisse n'a pas respecté la régulation américaine, en proposant son produit sur le marché sans le notifier au laboratoire fabriquant le produit original, et n'a pas attendu 180 jours avant la commercialisation de son traitement, un délai fixé par la FDA.

Il y a quelque mois, récemment Abbvie a lancé une action judiciaire pour défendre l'Humira (un médicament contre l'arthrite et ou la maladie de Crohn), le traitement le plus vendu au monde avec ses 16 milliards de dollars de chiffre d'affaires en 2016, contre l'Amjevita, une copie conçue par Amgen. Et ce, avec des arguments similaires aux deux affaires citées précédemment. Abbvie a réussi à fixer un procès pour fin 2019, repoussant la vente de la copie développée par Amgen. Parmi les autres batailles dans les reproductions de biomédicaments, Sanofi a lancé l'année dernière une action en justice pour protéger les revenus du Lantus et bloquer le biosimilairefabriqué par Merck & Co. Ou encore, Roche s'en est pris à Amgen et à son biosimilaire de l'Avastin, un anticancéreux qui génère près de 7 milliards de dollars de chiffre d'affaires par an.

Pour le moment, ces attaques en justice se concentrent outre-Atlantique. Alors que les biosimilaires ont déjà commencé à se diffuser largement en Europe, on en compte seulement cinq sur le marché américain. Par ailleurs, les traitements reproduits par les biosimilaires génèrent la majorité de leurs revenus outre-Atlantique. Le Remicade, par exemple, enregistre environ 70% de ses ventes Etats-Unis (5 milliards sur 7 milliards de dollars). Si les attaques judiciaires se multiplient, c'est également parce que les médicaments aux plus gros chiffres d'affaires sont en première ligne. En 2017, sept des dix médicaments les plus vendus font face ou sont sur le point de faire face à la menace des biosimilaires. Des laboratoires comme Roche sont particulièrement touchés.

Gagner du temps

En recourant à ces actions judiciaires, les laboratoires espèrent gagner du temps et se retrouver en concurrence face à ces copies de médicaments le plus tard possible. De l'autre côté, l'intérêt des fabricants de biosimilaires, à l'instar des génériqueurs, est de s'emparer en premier des parts de marchés des biomédicaments orignaux, en fixant des rabais pour être adoptés rapidement par les organismes payeurs. D'autant que ces copies s'attaquent à des traitements plus complexes que les génériques, et réclament des investissements conséquents qui atteindraient jusqu'à plus de 100 millions de dollars.

Les fabricants de biosimilaires attendent un retour sur investissement rapide, d'autant que plusieurs laboratoires conçoivent des biosimilaires pour un même médicament et lorgnent le même marché. Pour l'Humira, il existe une douzaine de biosimilaires développés ou en cours de développement, par exemple.Autre exemple : l'Agence américaine des médicaments a approuvé deux biosimilaires pour le Remicade, l'un produit par Pfizer, l'autre par Samsung.

L'arrivée de ces biosimilaires commence à produire ses premiers effets. Par exemple, le Neupogen d'Amgen a perdu son statut de blockbuster en un an, passant de 1,05 milliards de dollars de ventes en 2015 à 765 millions de dollars en 2016, en raison notamment des parts de marché grignotées par le biosimilaire Zarxio de Sandoz, en Europe et aux Etats-Unis.

Des économies massives pour les organismes payeurs ?

Avec la faible implantation actuelle, le marché américain est la clé du développement des biosimilaires. Et l'élection de Donald Trump, qui a mis en avant la concurrence pour faire baisser les prix des traitements onéreux aux Etats-Unis, pourrait bien le favoriser.

Selon Ims Health, les biosimilaires pourraient permettre de réaliser jusqu'à 110 milliards de dollars d'économies pour les organismes payeurs en Europe et aux Etats-Unis d'ici à 2020, si le taux de pénétration et l'acceptation de ces médicaments suit son cours, mais également si les rabais concédés sont importants. Joseph Jimenez, patron de Novartis, assurait que les biosimilaires pourraient coûter 75% de moins que les produits imités. En réalité, on a du mal à retrouver de tels rabais, en raison d'un taux de pénétration insuffisant en matière de volumes. Certains avancent des rabais de 50%. Mais Pfizer, par exemple, a fixé un rabais de 15% pour son Inflectra, une copie du Remicade, aux Etats-Unis.

Jean-Yves Paillé

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Commentaire 1
à écrit le 23/05/2017 à 17:59
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Après la propriété sur le végétal, sur l'humain, voici la propriété sur les médocs. Notez, ce n'est qu'une question de fric, qui manque cruellement ces temps-ci... On va faire semblant de les comprendre.

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