2021, année hautement judiciaire pour Suez et Veolia

Depuis la cession par Engie à Veolia de 29,9% de Suez début octobre, un dense contentieux judiciaire enflamme les relations entre les deux leaders français de l'eau et des déchets. En 2021, il va se poursuivre, voire s'intensifier.
Giulietta Gamberini
Des dizaines de juristes et d'avocats, ainsi que plusieurs juridictions, sont investis d'une pluralité de dossiers, touchant au droit social, boursier, de la concurrence, des sociétés...
Des dizaines de juristes et d'avocats, ainsi que plusieurs juridictions, sont investis d'une pluralité de dossiers, touchant au droit social, boursier, de la concurrence, des sociétés... (Crédits : Reuters)

Ordonnances, audiences, saisies, sommations par huissiers... Depuis que, le 5 octobre, Engie à cédé à Veolia 29,9% des parts de Suez, première étape d'un projet de fusion auquel la cible est farouchement opposée, les attaques que se portent les deux protagonistes du dossier ne sont plus seulement médiatiques. Leur guerre a aussi pleinement investi le terrain juridique et judiciaire. Des dizaines de juristes et d'avocats, ainsi que plusieurs juridictions, sont investis d'une pluralité de dossiers, touchant au droit social, boursier, de la concurrence, des sociétés... Ces affaires, qui n'en sont qu'à leurs débuts, se poursuivront en 2021. Elles ponctueront la nouvelle année d'une pluralité de rendez-vous plus ou moins définis, dans l'attente de l'assemblée ordinaire des actionnaires de Suez prévue au printemps, et de la définition par la Commission européenne des conditions pour que la fusion respecte la législation antitrust.

Voici les principaux chantiers en cours, et où ils en sont.

  • Le contentieux social autour du droit d'information et de consultation des instances représentatives du personnel de Suez

C'est le premier des contentieux judiciaires ouverts depuis que Veolia, fin août, a annoncé son intention d'acquérir Suez. Dès fin septembre, les comités sociaux et économiques (CSE) de Suez et Suez Eau France ont saisi le juge des référés en se plaignant de ne pas avoir été correctement informés et consultés à propos du projet de Veolia, en violation de leurs droits. Le 9 octobre, le tribunal judiciaire de Paris a ainsi ordonné la suspension des effets de la cession des parts d'Engie à Veolia, notamment des droits de vote ainsi acquis, tant que l'information et la consultation prévues par la loi n'auront pas eu lieu. Une décision qui a été confirmée par la Cour d'appel de Paris le 19 novembre. Veolia, qui conteste la légitimité de la suspension de ses droits, s'est toutefois pourvu en cassation, via une procédure spéciale qui devrait aboutir selon Veolia à une décision en mars.

Lire: Suez/Veolia: les enjeux du contentieux social devant la cour d'appel de Paris

Veolia a également déposé devant la cour d'appel de Paris une requête en interprétation de sa décision, visant à mieux définir le point du départ -et donc de fin- du délai pendant lequel les effets de la cession d'Engie à Veolia sont suspendus. Alors que Suez a conclu avec ses organisations syndicales un accord de méthode selon lequel la procédure d'information et consultation de ses 99 CSE doit se conclure au plus tard le 31 mai, Veolia estime pouvoir recouvrer ses droits dès le 5 février. La cour d'appel s'est toutefois refusée de se prononcer sur cette question, estimant qu'elle ne lui avait pas été soumise auparavant. Veolia a donc saisi de nouveau le juge des référés de première instance, en s'appuyant sur l'existence de l'accord conclu entre Suez et ses syndicats: un élément nouveau qui selon Veolia doit permettre au tribunal judiciaire de Paris de revenir sur l'affaire. Une audience est prévue le 5 janvier selon Veolia.

Veolia a en outre décidé d'agir devant le tribunal judiciaire de Nanterre -siège de Suez- afin de contester aussi sur le fond l'existence du devoir d'information et de consultation des instances représentatives du personnel de Suez qui motive les mesures provisoires et conservatoires (la suspension des effets de la cession) prononcées par le juge des référés. Une décision est attendue en février selon Veolia.

En attendant, Veolia, qui affirme avoir déjà transmis en octobre les informations nécessaires à Suez, a toutefois annoncé le 10 décembre avoir ouvert une "data room" auprès de ses avocats, afin de mettre à la disposition des instances représentatives du personnel de Suez de nouveaux documents, au-delà de ses obligations légales. Selon Veolia, son PDG Antoine Frérot, qui s'était déjà adressé aux salariés de Veolia par voie de presse, aurait également récemment écrit directement aux membres du CSE, se disant prêt à venir s'expliquer devant eux.

  • Le contentieux autour de la fondation de droit néerlandais créée par Suez.

Pour respecter les règles de la concurrence, en cas de fusion, Veolia compte céder Suez Eau France au fonds Meridiam. Afin de protéger le cœur historique de son groupe, Suez à créé dès le 23 septembre une fondation de droit néerlandais, à laquelle elle a attribué le pouvoir de rendre sa filiale inaliénable. Une mesure de défense anti-OPA qui selon Suez est pleinement autorisée par la loi Florange, d'autant plus à l'aune de l'accent mis sur l'intérêt social par la loi Pacte. Le mécanisme prévoit que la fondation peut être désactivée par le Conseil d'administration de Suez, mais seulement avant tout éventuel changement de contrôle.

Veolia conteste la légitimité d'une telle "pilule empoisonnée", qu'elle considère contraire à l'intérêt des actionnaires de Suez. Le groupe a ainsi saisi le tribunal du commerce de Nanterre, dont le président à prononcé le 19 novembre une ordonnance défendant à Suez de prendre toute décision pouvant "entraîner l'irrévocabilité du dispositif" jusqu'à l'issue de son assemblée générale annuelle. Suez assure vouloir demander la rétractation de cette ordonnance, dans le cadre d'une procédure d'urgence qui pourrait ne prendre que quelques semaines.

Dans ce cadre, Veolia s'était d'ailleurs engagé à agir afin de faire déclarer la nullité de la fondation. C'est chose faite, assure Veolia, qui affirme avoir déposé devant le tribunal de commerce de Nanterre un dossier "solide" de 80 pages évoquant "six causes dont chacune peut suffire à justifier la nullité". Une première audience de procédure, visant à fixer le calendrier, est prévue le 22 février selon Veolia. Selon les avocats de Suez, la procédure pourrait ensuite durer un an.

Lire: Pourquoi la fondation créée par Suez reste le casse-tête principal de Veolia

  • Les doutes de Suez sur l'existence d'une éventuelle collusion entre Veolia, Engie et Meridiam

Depuis l'annonce du projet de Veolia, Suez s'interroge publiquement sur la transparence de l'opération, en s'appuyant notamment sur son calendrier particulièrement serré, accepté par Engie. Ne disposant pas des preuves d'une éventuelle collusion frauduleuse, Suez s'est ainsi adressée au tribunal de commerce de Nanterre, qui a autorisé des saisies dans le siège des trois sociétés directement impliquées dans l'opération: Engie, Meridiam et Veolia. Des huissiers et des experts informatiques mandatés par Suez ont ainsi saisis les documents correspondant à des mots-clés suggérés par Suez et approuvés par le juge.

Veolia conteste non seulement, sur le fond, l'existence de toute collusion, mais également la pertinence des mots clés utilisés pour sélectionner les documents qui aujourd'hui sont mis sous séquestre. Le groupe compte donc très prochainement demander un référé en rétractation contre l'ordonnance du tribunal de commerce de Nanterre ayant autorisé les saisies. Si l'ordonnance devait être confirmée, entièrement ou partiellement, Veolia contestera ensuite, lors de leur dépouillement contradictoire, la pertinence en tant que preuve de chaque document saisi : une procédure qui pourrait prendre selon ses calculs entre six et douze mois.

  • Les sommations envoyées par Veolia aux experts s'étant exprimés en faveur de Suez

Face aux nombreuses tribunes et déclarations hostiles à son projet publiées par la presse, Veolia en outre adressé des sommations par huissier à plusieurs des experts s'étant exprimés, en leur demandant de déclarer tout éventuel lien, direct ou indirect, avec Suez. "Nous avons tenté de comprendre comment autant d''experts indépendants' pouvaient relayer des raisonnements qui semblaient directement tirés des argumentaires diffusés par les dirigeants de Suez", explique le groupe, affirmant avoir découvert souvent des "liens étroits" entre ces experts et Suez. Une démarche qui a toutefois été interprétée par certaines des personnes visées, comme par les médias qui leur avaient ouvert leurs colonnes, comme une forme d'intimidation. Si de telles sommations n'obligent à aucune réponse, Veolia admet d'ailleurs ne pas exclure des actions en justice, devant les juridictions civiles voire pénales, pour engager la responsabilité des personnes qui se seraient exprimées par intérêt.

Veolia affirme toutefois que l'ensemble de ces affaires n'affecteront en rien l'examen par Bruxelles de l'opération en termes de respect des règles antitrust, puisque son projet d'OPA aurait pu être pré-notifié à la Commission européenne même si Veolia n'avait pas acquis le 29,9% de Suez cédé par Engie. Pendant l'instruction de l'opération à Bruxelles, ses droits de vote chez Suez seront d'ailleurs dans tous les cas suspendus au titre du droit de la concurrence. Une dérogation pourrait être obtenu seulement si ses droit patrimoniaux devaient être en danger: une notion qu'il appartiendra éventuellement au régulateur européen d'interpréter.

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 21/12/2020 à 8:44
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Oui on voit mal comment cela pourrait s'arranger, nos investisseurs sont rigides, incapables de bouger, incapables d'évoluer, incapables de s'adapter ils sont campés sur leurs entêtements respectifs seulement liés à leurs seuls intérêt. Or plus o...

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