[Article mis à jour à 15h42]
L'ordonnance rendue le 9 octobre par le tribunal judiciaire de Paris, qui avait suspendu les effets de la cession à Veolia des parts détenues par Engie dans Suez (29,9%),"tant que les CSE [comités sociaux et économiques, Ndlr] concernés n'auront pas été informés et consultés", est confirmée "en toutes ses dispositions". La cour d'appel de Paris vient de rendre sa décision, en déboutant ainsi Veolia et Engie, qui l'avaient saisie, de l'ensemble de leurs demandes.
La juridiction de second degré rappelle également que les délais de consultation prévus par la loi "sont fixés à trois mois à compter de la communication par l'employeur [en l'espèce Suez, qui dépend toutefois des éléments reçus par Veolia, Ndlr] des informations prévues par le code du travail". Elle a ainsi refusé la demande de Veolia de fixer une "date butoir au-delà de laquelle la mesure sera automatiquement levée".
"Les droits des comités sociaux et économiques de Suez sont ainsi rétablis. Les salariés de Suez, jusqu'à présent oubliés, reviennent enfin dans la boucle", s'est réjouie maître Valérie Dolivet, avocate du CSE de l'Union économique et sociale de Suez, interrogée par La Tribune.
"Ils vont à présent pouvoir regarder sereinement les pièces déjà communiquées par Veolia et éventuellement lui demander les autres éléments nécessaires afin de formuler un avis éclairé", a-t-elle ajouté.
Trois mois à partir de quand ?
Veolia a pour sa part immédiatement réagi au travers d'un communiqué, où le groupe "prend acte de la décision de la cour d'appel de Paris", et affirme donc qu'"il recouvrera l'ensemble de ses droits au plus tard le 5 février 2021".
"Veolia a fourni à la direction de Suez, depuis plus d'un mois maintenant, l'ensemble des informations et documents nécessaires à cette information-consultation". Et "Suez a affirmé à la Cour que 'la procédure d'information-consultation des CSE a débuté' les 3, 4 et 5 novembre 2020", explique Veolia, qui calcule donc à partir de cette date le délai de trois mois.
Une revendication contestée par maître Dolivet, pour qui le délai court à partir de trois mois de la réception d'une information complète par les CSE, qui ont la faculté de considérer les éléments reçus comme insuffisants.
"Nous n'allons pas nous soumettre à la pression et aux exigences de calendrier de Veolia", a-t-elle commenté.
Lire: Suez/Veolia: les enjeux du contentieux social devant la cour d'appel de Paris
Des informations jugées comme insuffisantes par Suez
"Ce délai courra seulement à partir du moment où l'employeur aura transmis aux CSE des informations utiles et suffisantes", confirme Zoran Ilic, avocat des CSE de Suez Eau France. Or, les informations déjà transmises par Veolia à Suez ("un dossier de 129 pages" selon Veolia) ne correspondent pas aux yeux de Suez et de ses CSE à la liste des éléments demandés explicitement par la direction de Suez.
Auparavant transmises aux instances représentatives de Veolia, ces informations auraient même été jugées insuffisantes par l'expert-comptable consulté par le CSE de Veolia, affirme l'avocat. Un expert-comptable sera d'ailleurs aussi nommé par les CSE de Suez: son avis sera donc déterminant quant au caractère complet de l'information reçue, continue Zoran Ilic.
"Le rapport de 77 pages de l'expert comptable du comité du groupe France de Veolia, Oscea, pose en effet de nombreuses questions à Veolia sur les conséquences de son projet industriel, restées sans réponse", confirme Isabelle Calvez, directrice des ressources humaines du groupe Suez.
"Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a par ailleurs pris publiquement l'engagement de venir présenter ses intentions devant les représentants du personnel de Suez, et répondre à leurs questions. Ils l'attendent. Il n'y aura donc pas d'information valable tant qu'il n'aura pas tenu cette promesse", ajoute maître Ilic.
Une médiation refusée par Veolia et Engie
Bien que le délai de trois mois fixé par la loi court à partir de l'information transmise aux instances représentatives nationales, "le comité d'entreprise européen de Suez n'a d'ailleurs encore reçu aucun document, et donc n'a entamé aucun processus", a souligné son secrétaire (CGT), Franck Reinhold von Essen, interrogé par La Tribune. Veolia et Engie ont d'ailleurs tenté de faire déclarer son intervention devant la cour d'appel comme irrecevable, par "défaut de qualité et intérêt à agir".
"Les éléments que nous attendons sont plus larges que ceux déjà transmis à Suez, puisque notre périmètre est celui européen", précise le secrétaire. "Nous allons devoir nous pencher sur les problèmes de concurrence que la fusion pose en Europe, et Veolia va devoir nous présenter ses solutions", note-t-il, tout en souhaitant que la procédure "débute rapidement".
Les avocats de Veolia et Engie n'ont pour leur part pas répondu à l'invitation de La Tribune de s'exprimer sur le contenu de la décision et sur le délai de suspension. Mais avant l'audience devant la cour d'appel de Paris, qui s'est tenue le 5 novembre, ils ont refusé la proposition des CSE de Suez d'une médiation autour des contenus et du calendrier de cette information et consultation.
"En tout état de cause, Veolia restera privée de ses droits de vote à l'issue de cette information-consultation jusqu'à la fin de la revue par l'autorité européenne de concurrence (sauf autorisation de cette dernière)", souligne Suez dans un communiqué publié ce matin.
Le droit de la concurrence lui interdit en effet de voter dans l'Assemblée générale de Suez. Veolia s'est déjà réservée le droit de demander une dérogation dans le cas où ses droits patrimoniaux étaient mis en danger.
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