Lors d'un échange sur le port de Marseille avec des industriels le 28 juin dernier, Emmanuel Macron a créé la surprise en déclarant envisager l'installation de « centrales » et de « tranches » nucléaires sur le bassin de Fos-Marseille, même si « la loi ne prévoit pas aujourd'hui de déployer des EPR hors des sites existants ».
Le chef de l'Etat fait donc l'hypothèse qu'un des huit réacteurs de grandes puissances additionnels, à l'étude actuellement, puisse être installé en dehors des sites nucléaires existants, alors que les six premiers réacteurs de type EPR 2 seront tous bâtis sur des sites où des centrales sont actuellement en service. De quoi déclencher une multitude de réactions et de commentaires, mais aussi une certaine confusion sur le type de réacteurs envisagés. La Tribune fait le point en cinq questions.
Pourquoi choisir le bassin de Fos-Marseille ?
Aborder la question du nucléaire sur le bassin de Fos-Marseille, qui en est dépourvu, c'est pointer du doigt les besoins futurs de cette zone en termes de capacités électriques et des raccordements que cela implique, souligne Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. « C'est une idée qui a le mérite d'être évoquée car toute la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA) manque de production électrique », estime, pour sa part, Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire et membre du collectif les Voix du nucléaire, qui promeut le rôle de cette énergie dans la lutte contre le changement climatique.
En effet, la région PACA ne dispose actuellement d'aucune centrale nucléaire. Le site nucléaire productif le plus proche est la centrale de Tricastin, composée de quatre réacteurs de 900 gigawatts (GW), située dans la Drôme en région Auvergne-Rhône-Alpes (Aura). Par ailleurs, installer d'autres réacteurs au bord du Rhône (en plus de la paire d'EPR 2 prévue sur le site de Bugey dans l'Ain) semble complexe compte tenu du réchauffement climatique et des contraintes réglementaires liées aux rejets d'eau.
La région PACA est aussi la région de France métropolitaine qui dispose le moins d'éoliennes terrestres, avec seulement 97 mégawatts (MW) de capacités installées en septembre dernier, selon le rapport Observ'ER. Et malgré son très fort taux d'ensoleillement, elle n'est pas la première région de France dans le solaire, mais seulement la troisième (avec 1830 MW), loin derrière la Nouvelle-Aquitaine (3.781 MW) et l'Occitanie (3. 031 MW).
Face à ces faibles capacités de production d'énergies décarbonées, se trouve une très forte concentration d'industriels devant électrifier leurs procédés pour tenir les objectifs climatiques de la France, à l'image des hauts-fourneaux d'Arcelor Mittal. Le bassin de Fos-Marseille fait ainsi partie des quatre grandes zones industrialo-portuaires (ZIP) en tension identifiées par le gestionnaire du réseau de transport d'électricité RTE, en termes de raccordements électriques, tout comme Dunkerque (Nord), la vallée de la Seine, et la vallée de la Chimie près de Lyon. « Aujourd'hui, rien que sur la zone de Fos-sur-Mer, nous avons 5 à 6 GW de demandes de raccordements, avec des échéances plus ou moins rapides », précisait récemment à La Tribune, Rachid Otmani, directeur adjoint du pôle clients de RTE.
De quel type du nucléaire parle-t-on ?
Parle-t-on de petits réacteurs nucléaires, les fameux SMR (pour Small modular reactors) ou d'EPR, qui désigne des centrales nucléaires de grande puissance ? Lors de sa prise de parole, le chef de l'Etat n'a pas évoqué les SMR, mais les EPR. « C'est 4 EPR, les besoins supplémentaires que vous avez défini », a-t-il précisé en s'adressant aux industriels conviés, qui avaient préalablement exprimé leurs immenses besoins en électricité afin de décarboner leurs procédés. « Il faut regarder en concertation si ce bassin économique est prêt à accueillir des tranches [nucléaires, ndlr]», a poursuivi le président.
Les EPR ne sont pas des petits réacteurs modulaires, mais de très grosses centrales, dont la puissance dépasse légèrement les 1.600 mégawatts (MW), soit 1,6 GW. Quatre réacteurs de type EPR 2 représenteraient donc une puissance d'environ 6,4 GW. Ce qui correspond, peu ou prou, aux demandes colossales de raccordements électriques effectuées par les industriels sur la zone de Fos-sur-Mer auprès de RTE. « Une paire de SMR dans cette zone-là ne suffira pas », assure Nicolas Goldberg. Et pour cause, le SMR Nuward, développé par EDF, n'affiche, pour sa part, qu'une puissance de 340 MW (2x170 MW).
Reste que l'on peut très bien imaginer que soit étudiée la possibilité de développer deux types de nucléaire dans cette zone : des centrales de puissance et, en parallèle, des petits réacteurs nucléaires. Auditionnés au Sénat en décembre dernier, les dirigeants d'EDF, du CEA et d'Orano avaient tous pointé du doigt la nécessité d'étudier la possibilité d'accueillir des SMR en dehors des sites nucléaires existants. « Si nous ne sommes pas capables d'installer ces réacteurs ailleurs que sur les installations existantes, ça ne va pas avoir beaucoup de sens. Donc, on a un sujet », avait lancé François Jacq, l'administrateur général du CEA, en précisant que ces petites unités modulaires pourraient aussi être utilisées pour produire directement de la chaleur décarbonée.
L'installation de petits réacteurs nucléaires près de Marseille avait même été évoquée dans le cadre du laboratoire territorial d'industrie Fos-Berre, un dispositif déployé en mars dernier pour présenter les futurs projets industriels afin de mieux les faire accepter par les riverains.
Est-ce pertinent de construire des nouveaux réacteurs en dehors des sites nucléaires existants ?
« Je n'en voit pas l'intérêt », répond catégoriquement Nicolas Goldberg. «Il y a plein de réacteurs existants qui vont arriver en fin de vie, le mieux est d'installer les nouveaux EPR sur ces sites », estime-t-il. Outre les gains de temps (aussi bien d'un point de vue administratif que du génie civil) pour la construction des nouvelles tranches, cette approche éviterait aussi de devoir réaliser le long et coûteux « retour à l'herbe » des sites existants.
« Il faut privilégier les sites nucléaires existants, confirme Tristan Kamin. Mais on ne s'en sortira pas avec uniquement ces sites, sauf à être très bon sur le démantèlement », nuance-t-il. Selon lui, regarder la faisabilité de l'installation d'un EPR sur ce territoire reste tout à fait pertinent, même si la viabilité économique d'un tel projet est loin d'être garantie. « Je pense qu'il est souhaitable d'étudier d'autres sites, que les sites existants, pas forcément pour du très court terme, et, j'ajouterai, pas forcément pour des EPR », a, pour sa part, assuré jeudi dernier Luc Rémont, le PDG d'EDF, en marge des résultats semestriels de l'entreprise, dont 100% du capital est détenu par l'Etat.
Quid des enjeux de sûreté ?
L'idée de construire un EPR sur la zone de Fos-Marseille a toutefois été immédiatement rejetée par le maire de la ville, Benoît Payan (ex-parti socialiste). « On est en zone submersible, en zone sismique, s'il y a un endroit en France où on ne pourra pas faire un EPR, c'est à Marseille », avait souligné l'élu.
La région PACA est bien la plus sismique de France, mais Tristan Kamin nuance cet argument. « Il y a des réacteurs en opération dans des zones où le risque sismique est bien plus élevé, comme au Japon », pointe-t-il, même si seuls quatre réacteurs ont repris du service dans le pays, depuis l'accident nucléaire de Fukushima en 2011. Selon l'ingénieur, le risque de sûreté le plus important dans la zone n'est pas lié aux séismes, mais au risque industriel avec la présence de nombreux sites pétrochimiques.
D'après Tristan Kamin, installer un réacteur nucléaire dans cette zone ne serait malgré tout pas impossible. Cela nécessiterait toutefois la mise en place de dispositifs de sûreté supplémentaires, qui pourraient compromettre son équation économique.
L'implantation de réacteurs nucléaires sur cette zone a-t-elle déjà fait l'objet d'une étude ?
Pour l'heure, non, mais EDF s'est engagé à le faire. « Nous étudierons. Quand le président de la République s'exprime en disant qu'il faut étudier quelque chose, naturellement nous l'étudierons, évidemment », a réagi jeudi le PDG d'EDF Luc Rémont. Le groupe a débuté une étude pour évaluer la possibilité de bâtir huit réacteurs additionnels, en plus des six futurs réacteurs qui seront construits par paires à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Hauts-de-France) et Bugey (Ain). « Les études sont encore en cours, nous sommes au tout début de ce processus mené par EDF », a indiqué, le 20 juillet dernier, le cabinet de la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher.
Sujets les + commentés