Energie : comment EDF sort la tête de l’eau, après l'annus horribilis de 2022

Après une année noire en 2022, EDF a renoué avec les bénéfices au premier semestre, en engrangeant 5,8 milliards d'euros, a annoncé le groupe ce jeudi 27 juillet. En cause : le redémarrage de plusieurs de ses réacteurs nucléaires, alors que le vaste plan de contrôle du parc se déroule pour l’heure sans accroc, mais aussi une plus faible contribution au bouclier tarifaire sur l’énergie qu’en 2022. Reste que la dette du groupe reste abyssale, et les défis titanesques.
Marine Godelier
Le nouveau PDG d'EDF, Luc Rémont, nommé en septembre.
Le nouveau PDG d'EDF, Luc Rémont, nommé en septembre. (Crédits : Reuters)

Il y a encore quelques mois, rien n'allait plus pour l'électricien historique EDF. Alors même que l'Etat lui confiait la lourde tâche de tracer la voie vers un futur décarboné, plus souverain et sans explosion des factures d'énergie pour les ménages et les entreprises, les difficultés s'enchaînaient et s'aggravaient les unes les autres. Faisant apparaître aux yeux de tous les déboires de la filière nucléaire, malgré son retour au centre du jeu de la politique énergétique française.

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Fin 2022, à bout de souffle, l'entreprise essuyait ainsi une perte historique de près de 18 milliards d'euros, un Ebitda (bénéfice avant intérêts, impôts, amortissement, dépréciation) en perte de 5 milliards d'euros, et une dette stratosphérique de 64,5 milliards d'euros. Un champ de ruines financières d'autant plus saisissant que les autres groupes énergétiques tricolores affichaient, dans le même temps, des bénéfices insolents. Nommé en septembre, le nouveau PDG Luc Rémont se donnait ainsi une mission bien précise pour l'année 2023 : « redresser l'Ebitda du groupe », affirmait-il à la presse en février.

Depuis, force est de constater qu'EDF reprend des couleurs. Jeudi 27 juillet, l'électricien a en effet annoncé avoir engrangé 5,8 milliards d'euros de bénéfices au premier semestre. L'Ebitda, lui, s'élève désormais à 16,1 milliards d'euros. Des « résultats solides », qui « traduisent un retour progressif du parc nucléaire » et des « bonnes performances opérationnelles », s'est félicité Luc Rémont dans la foulée. Mais par quel miracle l'entreprise, dont l'Etat possède depuis juin 100% du capital, a-t-elle renoué avec les profits, après l'année la plus désastreuse de son histoire en termes de résultats financiers ?

La charge du bouclier tarifaire ne repose plus autant sur EDF

Depuis début 2023, le contexte s'est détendu. D'abord, les prix de l'électricité ont baissé sur les marchés, tout en restant bien plus élevés qu'avant la crise de l'énergie, permettant à EDF de vendre sa production à des tarifs intéressants. Surtout que, cette année, l'entreprise doit céder moins de courant à prix cassé à ses concurrents qu'en 2022.

En effet, au début de l'an dernier, le gouvernement avait décidé que les fournisseurs alternatifs pourraient lui acheter 120 térawattheures (TWh) d'énergie bon marché, dans le cadre de l'ARENH, contre un plafond fixé à 100 TWh jusqu'ici. Le principe : forcer EDF à contribuer davantage au bouclier tarifaire, afin de limiter la hausse des factures pour les consommateurs, dans un contexte d'envolée des cours. Ce qui avait, logiquement, handicapé lourdement l'énergéticien, bien obligé de se délester d'une bonne partie de sa production à perte...et même de racheter du courant à prix d'or sur les marchés (jusqu'à 200 voire 300 euros le MWh), afin de les céder à ses concurrents à moins de 50 euros le mégawattheure (MWh) !

Souvenez-vous : dès le lendemain de cette annonce, le 14 janvier, le cours de l'action s'était d'ailleurs effondré de plus de 20% à l'ouverture de la Bourse de Paris, pour finir à 8,84 euros en clôture, en recul de 14,59% par rapport à la veille. Un « vendredi noir » qui a durablement marqué les esprits chez EDF, et traduisait déjà de sombres perspectives pour le groupe.

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Le programme de contrôle du parc se déroule sans accroc

D'autant que cette année-là, son parc nucléaire n'a pas été au rendez-vous, loin de là. Déjà obligé de céder 120 TWh à prix régulé, l'électricien n'a produit que 279 TWh à partir de ses réacteurs en 2022, le plus bas niveau depuis trente ans. En cause, un décalage des calendriers de maintenance du fait du Covid, et, surtout, un problème de corrosion détecté dans plusieurs centrales, ayant largement plombé l'entreprise.

Or, 2023 marque le « retour » d'une « dynamique » de « production à haut niveau », a affirmé ce jeudi Luc Rémont. De fait, le plan de contrôle des réacteurs (pour vérifier s'ils sont touchés par la corrosion, et, le cas échéant, les réparer) se déroule sans accroc. Sur les 16 réacteurs les plus sensibles à ce problème, 11 ont d'ores et déjà été réparés, deux sont en cours, deux le seront d'ici la fin 2023 et l'autre le sera à l'occasion de sa visite décennale, a précisé EDF. Si bien qu'à ce jour, 60% du programme a été exécuté, a ajouté son PDG. Ainsi, l'entreprise maintient son estimation de production nucléaire pour 2023 à 300-330 TWh, soit davantage que l'an dernier.

Marges d'amélioration

Reste que ces projections restent bien éloignées des niveaux historiques, lesquels flirtaient autour de 400-450 TWh générés par an. Pour renouer avec de telles performances, le gouvernement met d'ailleurs la pression sur l'énergéticien, avec un objectif affiché de 400 TWh en 2030.

« 400 TWh en 2030, c'est l'objectif que vous vous fixez maintenant et que nous allons retenir notamment pour juger la performance opérationnelle des dirigeants de la maison EDF », a ainsi notifié le 24 juillet la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, lors d'une visite à la centrale du Bugey dans l'Ain, choisie par le gouvernement pour accueillir deux futurs réacteurs EPR2.

Ces volumes supplémentaires ne proviendraient cependant pas de nouvelles installations, les premiers EPR2 n'étant pas attendus avant 2035, au mieux (en-dehors de l'EPR de Flamanville, toujours en construction). Mais résulteraient d'une optimisation du parc historique, afin d'améliorer le rendement et augmenter la puissance de sortie - dit schématiquement, « débrider » les centrales existantes.

À cet égard, EDF s'inscrit dans une « bonne trajectoire », a tenu à rassurer jeudi Luc Rémont. « La cible, c'est d'augmenter productible d'année en année. Avec, en 2024, 315 à 345 TWh, et l'intention de viser 335 à 365 TWh pour 2025 », a-t-il souligné, se montrant « confiant dans la capacité de tenir ces objectifs ».

Des investissements colossaux, malgré une dette abyssale

Il n'empêche, les défis restent multiples...et titanesques. Pour remettre son parc sur pied et même maximiser son potentiel, EDF devra en effet réaliser des investissements massifs. L'enveloppe globale reste d'ailleurs incertaine, avec des fourchettes de coûts comprises entre 60 et 100 milliards d'euros qui devront être fléchés vers le Grand Carénage, ce vaste programme visant à renforcer les centrales pour allonger la durée d'exploitation possible.

Outre le vieillissement des réacteurs actuels, celui-ci doit aussi gérer une pile de dossiers complexes, liés au lancement des nouveaux projets d'EPR2 et à la nécessité de financer aussi l'essor de sa production renouvelable (éolien et solaire).

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Au global, EDF devra faire grimper ses investissements à 25 milliards d'euros par an, un niveau « sans commune mesure » dans son histoire, a déjà prévenu Luc Rémont. Or, malgré sa progression, l'électricien doit toujours composer avec une dette abyssale de 64,8 milliards d'euros, contre 42,8 milliards il y a un an.

« Il nous faut être capable de dégager des revenus de l'ordre de grandeur que nous dégageons au premier semestre, en stabilisant notre dette et en finançant nos investissements futurs dans les réseaux et les capacités de production actuels et futurs », a ainsi ajouté le PDG jeudi.

Pour ce faire, EDF continuera de se fixer les « exigences de performance d'une entreprise normale » (sous-entendu toujours cotée), a-t-il assuré.

Quid des prix de vente de l'électricité nucléaire ?

Malgré la renationalisation, Luc Rémont ne compte d'ailleurs pas se laisser imposer n'importe quelle condition sans broncher. « EDF n'est pas nationalisé, il a un actionnaire à 100% ! », avait-il lancé début juin en ouverture du colloque de l'Union française de l'électricité (UFE). Et pour cause, EDF et le gouvernement ne se sont toujours pas accordés sur le mécanisme de régulation des prix de vente du nucléaire, après 2025 et la fin de l'ARENH.

Alors que l'exécutif plaide pour fixer un prix le plus attractif possible malgré les impacts sur les finances de l'énergéticien, ce dernier s'oppose à un montant trop faible. « Dans le consensus que nous devrons former in fine, il faut que la nécessité d'investir [d'EDF] ne soit pas oubliée ! », a ainsi répété Luc Rémont le 27 juillet. Pas de doute : celui-ci entend bien faire valoir ses intérêts sur le sujet, malgré la prise de participation à 100% de l'Etat.

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Marine Godelier

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Commentaires 6
à écrit le 21/08/2023 à 12:04
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Correction : il n'y avait pas "de contribution d'EDF" au bouclier tarifaire en 2022

à écrit le 28/07/2023 à 9:02
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Le consommaté ou consommateur maté par l'alliance inédite des pouvoirs publiques avec les entreprises privées comme publiques, ses percepteurs après tout... Et on aura pas de dividendes... nous !

le 29/07/2023 à 12:34
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"Et on aura pas de dividendes... nous ! " L'Etat, au final, c'est nous, donc si y a des recettes ça fait autant en moins de prélèvements/impôts/taxes à prélever. Y a pas des gens ayant eu des actions EDF qui ont vu sa valeur 'fondre' ? Il faut de tou...

à écrit le 27/07/2023 à 18:41
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Avec les prix de l’électricité qui ont explosé à cause d’un mode de fixation du prix du kwh sans fondement sur le coût réel , les consommateurs passent à la caisse au profit des profits d EDF, sauf que bientôt personne ne pourra plus payer sa facture...

à écrit le 27/07/2023 à 18:03
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Merci aux renouvelables qui n'ont pas démérité, merci au prix du gaz qui est resté sage et dans son sillage, les prix de l'électricité SPOT , 90% inférieur à 2022. Cela dit, ce prix reste élevé au regard de la disponibilité du courant. Difficile de ...

à écrit le 27/07/2023 à 17:25
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Voilà on y vient...enfin! Merci et bravo pour votre chronique Mme Godelier.

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