Un matériau capable de stocker l'électricité sans aucune limite de temps, d'éliminer les pertes d'énergie sur le réseau, mais aussi de tracer la voie vers une production illimitée de courant par fusion nucléaire, quasiment sans émissions de gaz à effet de serre. La promesse semble trop belle pour être vraie, et pourtant, depuis plusieurs décennies, des chercheurs s'activent pour mettre la main sur ce saint Graal.
Son nom : la supraconductivité à température et pression ambiantes, qui révolutionnerait le système énergétique tout entier. Et pour cause, ce « game changer » permettrait d'atteindre nos objectifs climatiques sans devoir, a priori, bouleverser nos modes de vie et de production, grâce à une technologie difficilement imaginable à l'heure actuelle.
Or, depuis quelques jours, une partie de la sphère scientifique s'agite. Et pour cause, le 22 juillet dernier, une équipe de chercheurs sud-coréens a affirmé avoir développé le fameux matériau, à partir d'« apatite de plomb modifiée » chauffée à 124°C. De quoi ouvrir une « nouvelle ère pour l'humanité », assurent-ils dans leur étude, suscitant l'enthousiasme de nombreux observateurs. Mais aussi le scepticisme d'autres chercheurs, parmi lesquels le Français Julien Bobroff, physicien de l'université de Paris Saclay et spécialiste de la question de la supraconductivité depuis des années.
Alors, de quoi s'agit-il concrètement, comment cela fonctionnerait-il, et pourquoi une telle découverte, si elle était validée, faciliterait largement la transition vers un monde neutre en carbone ? Afin d'y voir plus clair, La Tribune fait le point.
Températures extrêmes
Voilà plus d'un siècle que le sujet suscite l'emballement chez les scientifiques. En 1911, un physicien néerlandais, Heike Kamerlingh Onnes, découvrit ce concept presque par hasard. En effet, celui-ci remarqua que certains métaux, lorsqu'ils sont refroidis à très basse température, cessent de résister au passage de l'électricité.
C'est là le principe même de la supraconductivité : il s'agit en fait d'un matériau qui n'oppose pas de résistance électrique, c'est-à-dire n'enregistre pas de pertes lors du déplacement des électrons. Problème : les matériaux supraconducteurs actuellement connus ne réagissent de cette manière qu'à des conditions extrêmes, et plus précisément à une température extrêmement basse, proche du zéro absolu, qui se situe à 273,15 degrés Celsius. En effet, c'est en refroidissant le thermomètre jusqu'à -269°C que la résistance électrique disparaît.
Par conséquent, aujourd'hui, ces matériaux supraconducteurs ne peuvent pas vraiment être utilisés dans le secteur de l'énergie, en raison de la nécessité d'un environnement extrêmement froid pour obtenir cet état particulier.
Stocker l'électricité dans une boucle
Mais reproduire ce dernier à température ambiante pourrait débloquer des applications infinies. Entre autres : éliminer les pertes des réseaux électriques dues à la résistance, via les câbles d'acheminement du courant. En effet, la plupart des matériaux conducteurs opposent une résistance électrique, qui provoque une dissipation de l'énergie en question sous forme de chaleur. Ainsi, « même si elles sont invisibles, les pertes d'électricité sont bien réelles et impossibles à éviter », rappelle régulièrement RTE, qui estime que celles-ci s'élèvent à 2 à 3% du courant acheminé en France.
Les supprimer engendrerait ainsi un gain économique non négligeable... mais le principal changement résiderait ailleurs. Et plus précisément dans la constitution de batteries, afin de stocker l'énergie sur le long terme.
En effet, sans résistance électrique, le courant pourrait théoriquement circuler indéfiniment sans la moindre perte. Dit autrement, un courant électrique injecté dans une boucle du matériau supraconducteur continuerait d'y circuler, sans aucune limite de temps. Et cette avancée serait loin d'être anecdotique : alors que les sources renouvelables intermittentes, - variables selon la météo (comme l'éolien et le solaire photovoltaïque) - devraient prendre de plus en plus de place dans le mix global, l'un des plus gros points d'interrogation reste l'adéquation temporelle entre la production et la consommation. Or, le fait de stocker le surplus d'électricité généré la nuit grâce aux panneaux solaires, par exemple, afin de le restituer lors des moments critiques, résoudrait ce problème crucial.
Un nouveau pas vers la production d'énergie par fusion nucléaire ?
Ce n'est pas tout : la découverte (et la généralisation) d'un matériau supraconducteur à température ambiante ferait également sauter un verrou conséquent pour l'accès à une source d'énergie extrêmement convoitée, mais pour l'heure non domptée par l'être humain : la fusion nucléaire. C'est-à-dire l'énergie du Soleil et des autres étoiles.
Pour le comprendre, il faut se pencher sur la manière dont fonctionnerait un tel processus. Contrairement aux réacteurs nucléaires classiques, il ne s'agirait pas de casser des noyaux d'atomes lourds en les bombardant de neutrons. Mais plutôt de faire l'inverse, en fusionnant deux noyaux atomiques de manière à former un noyau plus lourd. Cette réaction en chaîne génèrerait des quantités massives d'énergie sous forme de chaleur, laquelle pourrait être convertie en électrons grâce à une turbine.
Mais pour ce faire, il faudrait d'abord parvenir à chauffer un gaz pour former un plasma, afin que le deutérium et le tritium (des isotopes de l'hydrogène) entament leur fusion. Seulement voilà : pour maintenir ce plasma, celui-ci doit être confiné, c'est-à-dire ne pas entrer en contact direct avec les parois. Ce qui implique de passer par d'intenses champs magnétiques... générés, justement, par de puissants électro-aimants supraconducteurs.
Or, si l'homme savait contrôler cette source d'énergie et la rendre économiquement viable, celle-ci cocherait toutes les cases : l'électricité qu'elle pourrait délivrer serait quasi illimitée, décarbonée, sûre, et ne produirait quasiment aucun déchet radioactif. A l'heure où l'humanité tente de trouver une solution au dérèglement climatique en cours, l'idée a de quoi séduire.
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