Electricité : le fournisseur Ohm Energie visé par une enquête du régulateur pour ses pratiques tarifaires

Soupçonné d’avoir profité de la hausse des cours de l’électricité pour réaliser des profits indus sur les marchés, en revendant à prix d’or les électrons achetés bon marché à EDF, Ohm Énergie se trouve sous le coup d'une première enquête de la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Il y a une dizaine de jours, l’instance administrative avait promis de renforcer sa surveillance, et assuré que des sanctions pourraient être prononcées.
Marine Godelier
(Crédits : DR)

Face aux suspicions de combines de la part de certains fournisseurs d'électricité, le régulateur avait promis de serrer la vis dès la rentrée. Et pour cause, une partie d'entre eux auraient multiplié les ruses au détriment des consommateurs, et profité de la flambée des prix de l'énergie alors même qu'ils se trouvaient subventionnés par le bouclier tarifaire. A travers des stratagèmes finement étudiés, certains auraient notamment réussi à acquérir plus d'électricité bon marché que prévu de la part d'EDF, de manière à revendre à prix d'or le précieux courant sur la bourse d'échange plutôt que de le délivrer à leurs clients, comme nous l'écrivions dès le mois d'avril.

« On regardera au cas par cas, et on engagera les fournisseurs concernés dans des procédures de sanction », avait précisé fin août à La Tribune une source à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). C'est désormais chose faite : après des révélations du Parisienl'autorité administrative a annoncé ce vendredi avoir lancé une première enquête sur l'entreprise Ohm Energie, soupçonnée d'avoir dégagé des « profits indus » sur les marchés.

« Ce qui ne préjuge en rien à ce stade de l'existence ou non de manquements que seule une instruction au fond permettra le cas échéant d'établir », a-t-elle cependant précisé dans un communiqué.

Contacté par l'AFP, le fondateur d'Ohm Energie, François Joubert, a affirmé plus tôt « n'avoir reçu aucune notification de la CRE concernant le lancement d'une procédure à son encontre ». L'ancien président de la filiale de trading d'EDF conteste les faits, et assure n'avoir « jamais revendu le moindre kWh » d'électricité fournie par EDF « sur les marchés ».

Arbitrage saisonnier pour obtenir plus d'électrons d'EDF

Une chose est sûre : les pratiques de ce fournisseur aux 250.000 compteurs éveillent les soupçons depuis quelques semaines. C'est d'abord un mail qui a mis le feu au poudre : début août, la plupart de ses clients ont découvert, via un message pour le moins succinct, que leurs mensualités doubleraient dès septembre. Cet été pourtant, l'entreprise harponnait encore les consommateurs avec d'importants rabais, promettant des tarifs « toujours inférieurs au TRV [tarif réglementé de vente, l'offre d'EDF réglementée par les pouvoirs publics, ndlr] » à ceux qui souhaiteraient faire jouer la concurrence. A l'instar de Marc [le prénom a été modifié], qui a souscrit à une offre « très alléchante » courant juin, avant d'apprendre en août que sa mensualité, initialement fixée à 109 euros, augmenterait à 272 euros dès le 1er septembre, expliquions-nous fin août dans une série déclinée en trois épisodes.

Alors même qu'Ohm Energie assurait à ce moment que la flambée des cours ne lui offrait pas d'autres choix, plusieurs sources affirmaient quant à elles à La Tribune que le but de la manœuvre était de se défaire d'une partie des clients puis d'en récupérer un maximum dès le printemps, afin de maximiser les droits à l'ARENH pour 2023.

L'ARENH, pour Accès régulé à l'électricité nucléaire historique, est le quota d'électricité vendu chaque année par EDF à ses concurrents à prix coûtant (autrement dit prix cassé en comparaison des prix de marché actuels), et que chaque fournisseur alternatif peut réclamer en fonction de la consommation de ses clients. Si de tels soupçons se portent sur Ohm Énergie, c'est parce que le calcul de ces « droits ARENH », qui garantissent l'accès aux précieux électrons pour 46 euros seulement le MWh, sont calculés notamment en été, quand la consommation est la plus faible.

Changements de grille tarifaire

Force est de constater qu'une danse semble s'opérer en coulisses, qui ne daterait pas de cette année. Dans un mail envoyé en novembre 2021 qu'a pu consulter La Tribune, Ohm Énergie informe par exemple l'un de ses clients d'une hausse provisoire des tarifs du fait de la flambée des cours, et lui conseille de rejoindre un autre fournisseur « pour éviter de payer plus cher que le tarif réglementé cet hiver ». Avant de lui proposer une « remise de 50 euros » sur son prochain contrat en cas de re-souscription chez Ohm Énergie dès le 1er mai 2022, date à laquelle « l'offre reviendra à son niveau de remise initial ».

Et le procédé semble s'être répété cette année : alors que l'entreprise a fait valoir en août qu'elle serait « contrainte » d'augmenter substantiellement ses prix dès le 1er septembre, la grille tarifaire qui s'appliquera à nouveau à partir du 31 mars 2023, déjà disponible sur Internet, affiche des prix très compétitifs (alors même que les prix sur les marchés à terme flirtent avec les 600 euros le MWh sur la période).

Mais cette politique n'est pas liée à l'ARENH, rétorquait il y a quelques jours, François Joubert, défendant son « droit de proposer des offres attractives, quand les prix de marché de l'électricité le permettent ». Mais aussi « d'augmenter les tarifs dans le respect des dispositions contractuelles quand les prix de l'électricité s'emballent ».

D'autres enquêtes pourraient suivre

François Joubert devra donc convaincre la CRE, qui laisse au fournisseur la possibilité de répondre après avoir déposé son PV d'enquête. Mais si le régulateur n'était pas convaincu, le dossier pourrait être transmis au Comité de règlement des différends et sanctions (CoRDiS), chargé de sanctionner les infractions au code de l'énergie. « C'est lui qui décidera ou non d'infliger une pénalité financière à l'opérateur concerné », expliquait il y a quelques jours à La Tribune un proche du dossier. Concrètement, le CoRDiS peut prononcer une sanction pécuniaire pouvant aller jusqu'à 8% du montant du chiffre d'affaires hors taxes du dernier exercice clos du fournisseur, mais aussi décider d'une interdiction temporaire, pour une durée n'excédant pas un an, de l'accès aux réseaux.

« Cependant, il faut prouver qu'il y a bien une intention d'abuser de l'ARENH et notamment matérialiser l'intention de se délester de clients pendant l'hiver, et la distinguer d'une simple modification de la grille tarifaire liée à l'explosion des cours sur les marchés », expliquait une source à la CRE fin août.

Ohm Énergie ne serait d'ailleurs pas être le seul fournisseur concerné. Selon l'association de consommateurs CLCV, des soupçons d'abus d'ARENH se portent aussi sur l'entreprise Mint Énergie, contre laquelle la société a engagé une action de groupe. D'autres enquêtes de la CRE pourraient donc suivre, afin de mettre de l'ordre dans la jungle tarifaire.

Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 10/09/2022 à 21:42
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Cette escroquerie a été organisée par nos gouvernants. Tant que la loi n'est pas changée, tant que l'Arenh n'est pas supprimée, les bénéfices qu'ils réalisent ne sont pas illégaux. Mais bon, sacrifier un bouc émissaire pour dédouaner la classe politi...

à écrit le 09/09/2022 à 20:17
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Les fournisseurs alternatifs sont des sangsues qui n'ont aucune raison économique d'exister.

le 10/09/2022 à 14:20
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C'est le principe même du marché spéculatif européen de l'énergie qui est injuste et inéquitable. Ce marché de dupe a non seulement réduit la capacité de nos société productrice d'électricité à dégager des marges pour l'entretien du parc énergétique ...

le 10/09/2022 à 14:30
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Sauf quand ils produisent de l'electricité renouvelable ou il l'achetent à des particuliers/entreprises

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