
« Ça y est, la France est partie. On devrait voir dans les trois ans se déployer près de 1.000 mégawatts (MW) de projets de production d'hydrogène décarboné. En termes de puissance, c'est l'équivalent d'un réacteur nucléaire. C'est une excellente nouvelle qu'on puisse enfin passer à l'acte », se réjouit Pierre-Etienne Franc, ancien monsieur hydrogène d'Air Liquide et cofondateur de la plateforme d'investissement Hy24.
Ce jeudi, lors d'un déplacement en Alsace sur le site de Boréalis, grand producteur d'engrais azotés, la ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher a officialisé le déblocage d'une enveloppe de 4 milliards d'euros, prélevée au sein des 9 milliards d'euros déjà sanctuarisés pour la stratégie nationale de l'hydrogène. Objectif : « accompagner les industriels qui vont s'équiper d'électrolyseurs afin de produire de l'hydrogène bas carbone pour réduire les émissions [de gaz à effet de serre, ndlr] de leurs sites ». Par ce biais, le gouvernement espère attribuer une capacité de production d'un gigawatt à l'horizon 2026.
« Cette mesure importante permet de soutenir à la fois l'hydrogène produit à partir d'électricité renouvelable et d'électricité nucléaire », souligne Pierre-Etienne Franc. N'en déplaise à l'Allemagne, vivement opposée au soutien de l'hydrogène produit à partir de l'atome civil à l'échelle européenne.
Dupliquer le modèle de subvention des énergies renouvelables
Très concrètement, le gouvernement français prévoit de déployer dès 2024 un mécanisme similaire à celui mis en place il y a 20 ans pour soutenir le développement des énergies renouvelables, reposant sur des contrats pour différence. Les producteurs d'hydrogène bas carbone sélectionnés dans le cadre d'appels à projets bénéficieront ainsi d'un soutien financier de l'Etat quand leurs coûts de production seront supérieurs à ceux de l'hydrogène produit à partir d'énergies fossiles. A l'inverse, ils reverseront aux pouvoirs publics la différence de prix lorsque leurs coûts seront inférieurs. L'idée est de « compenser une partie de l'écart entre le prix de l'hydrogène issu d'un procédé bas carbone et celui fabriqué à partir d'énergies fossiles », a expliqué la ministre.
Aujourd'hui, la production d'hydrogène par électrolyse de l'eau reste encore en moyenne trois fois plus chère que le procédé reposant sur le vaporeformage du gaz naturel, très émetteur de dioxyde de carbone. « Nous ne savons pas encore à quel niveau les producteurs seront soutenus », pointe toutefois Pierre-Etienne Franc.
Un système de bonus
Ces derniers pourront candidater à travers une série d'appels à projets qui visent à attribuer des capacités de 150 mégawatts (MW), puis de 250 MW et enfin de 600 MW. « Chaque site industriel devra défendre son projet et nous retiendrons les plus compétitifs » en termes de décarbonation, a précisé la ministre. Un système de bonus sera également attribué aux projets capables de s'effacer, c'est-à-dire de baisser leur consommation électrique très rapidement, afin de ne pas surcharger le réseau lorsque celui-ci sera très sollicité, les électrolyseurs étant très gourmands en énergie.
La mise en place de ce mécanisme de soutien à la production était particulièrement attendue par la filière hydrogène tricolore, alors que les projets de taille industrielle peinent toujours à voir le jour, trois ans après la présentation de la stratégie nationale de l'hydrogène. Ce retard à l'allumage s'explique notamment par le contexte de marché et régulatoire. « Après presque 18 mois d'attente, les actes délégués ont enfin été publiés le 20 juin dernier par la Commission européenne », se réjouissait en début d'été Valérie Ruiz-Domingo, vice-présidente hydrogène pour Engie.
Un complément aux aides européennes critiquées pour leur lenteur
À cela, s'ajoute la longueur des procédures européennes pour l'obtention de financements dans le cadre des Projets importants d'intérêt commun (PIIEC). Deux ans pouvant s'écouler entre le dépôt de candidature et l'obtention du financement. « Ce mécanisme vient en complément du soutien au niveau de l'Europe pour accompagner les sites industriels de taille plus modeste ou moins avancés », a ainsi souligné Agnès Pannier-Runacher. « Tous les sites industriels pourront répondre aux appels à projets que nous lançons », a-t-elle précisé.
Cette annonce intervient quelques semaines avant la révision de la stratégie nationale de l'hydrogène française, déjà repoussée à plusieurs reprises. Les acteurs du secteur espèrent notamment que cette mise à jour sera l'occasion d'intégrer un soutien au financement des infrastructures comme les systèmes de stockage et les pipelines spécifiquement dédiés au transport de cette toute petite molécule. « La prochaine étape c'est de mettre des tuyaux. C'est essentiel. La France en aura besoin si elle veut pouvoir jouer le rôle de pays plateforme, comme elle a pu le faire au cours des derniers mois avec le gaz naturel », pointe Pierre-Etienne Franc. « Le temps presse car au nord de l'Europe, notamment autour des ports d'Anvers et de Rotterdam, beaucoup d'acteurs se mobilisent déjà pour concevoir des corridors entiers de pipes », prévient celui pour qui l'importation d'hydrogène depuis des pays limitrophes est indispensable. Un sujet sur lequel l'exécutif reste encore extrêmement frileux.
Quid de la mobilité ?
Autre grande attente de la filière : la question du déploiement de l'hydrogène pour la mobilité lourde et intensive. Jusqu'à présent, le gouvernement s'est concentré quasiment exclusivement sur l'utilisation de l'hydrogène pour la décarbonation de l'industrie, qui représente 20% des émissions de GES du pays, tandis que le déploiement des stations de recharge à hydrogène a été laissé de côté. « La France doit se positionner. Elle accompagne déjà des très gros projets industriels, comme les réservoirs à hydrogène de Plastic Omnium ou les solutions hydrogène de l'entreprise Symbio. Ce serait dommage de ne pas donner un coup de collier supplémentaire », estime Pierre-Etienne Franc, tandis que d'autres observateurs sont bien plus sceptiques sur la pertinence de cet usage de l'hydrogène.
Dans tous les cas, la France doit passer la vitesse supérieure si elle ne veut pas se faire distancer par les Etats-Unis, et leur puissant mécanisme de crédits d'impôt instauré par l'Inflation Reduction Act (Ira), ou encore par l'Allemagne, qui a récemment revu à la hausse ses objectifs. Berlin vise désormais une production nationale d'hydrogène vert de 10 gigawatts (GW) d'ici à 2030, au lieu des 5 GW annoncés en 2020. Elle a aussi débloqué une enveloppe de 50 milliards d'euros pour décarboner son industrie. Cette enveloppe servira, elle aussi, à compenser les coûts supplémentaires engendrés par les nouveaux procédés de production moins polluants, dont la production d'hydrogène vert...
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