Le stockage solide de l'hydrogène : le pari fou et méconnu des fondateurs de McPhy enfin récompensé

En 2008, Daniel Fruchart et Michel Jehan mettent au point une sorte de galette de magnésium, semblable à un épais vinyle, capable de stocker de grandes quantités d'hydrogène de manière sûre. Mais l'application est rapidement abandonnée faute de marché. Quinze ans plus tard, le contexte est tout autre. L'équipe derrière cette innovation est aujourd'hui distinguée à l'échelle européenne. L'usine, délaissée dans la Drôme, devrait reprendre du service dès l'automne prochain tandis que des discussions sont en cours pour des applications à l'international.
Juliette Raynal
Les deux cofondateurs de McPhy, entourés de Patricia Rango, l'actuelle directrice de recherche à l'Institut Néel de Grenoble, Albain Chaise et Nataliya Skryabina, membres de son équipe, ont été récompensés par l'organisme européen des brevets.
Les deux cofondateurs de McPhy, entourés de Patricia Rango, l'actuelle directrice de recherche à l'Institut Néel de Grenoble, Albain Chaise et Nataliya Skryabina, membres de son équipe, ont été récompensés par l'organisme européen des brevets. (Crédits : Office européen des brevets)

Quinze ans après avoir cofondé McPhy, pépite française spécialisée dans la fabrication d'électrolyseurs pour la production d'hydrogène vert, Daniel Fruchart et Michel Jehan entendent bien récidiver avec une nouvelle aventure entrepreneuriale. A plus de 70 ans, les deux compères ne changent pas de terrain de jeu et s'attaquent toujours à l'hydrogène, mais cette fois-ci à son stockage grâce à une galette d'hydrure de magnésium, ressemblant à un épais vinyle 33 tours.

« En réalité, lorsque nous avons créé la société Mcphy en 2008, le projet se concentrait déjà sur le stockage de l'hydrogène sous forme solide », raconte Michel Jehan, aujourd'hui à la tête de la société Jomi Leman.

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Fruit des travaux de Daniel Fruchart, alors directeur de recherche à l'institut Néel, un laboratoire du CNRS grenoblois, et de l'expertise de Michel Jehan dans la métallurgie, McPhy démarre son activité de production à la Motte-Fanjas, un petit village au nord est de la Drôme. A l'époque, la société bénéficie du soutien décisif d'Arevadelfi, une filiale d'Areva.

Le stockage solide abandonné par McPhy

« Mais il n'y avait pas de marché pour le stockage d'hydrogène et ils ont abandonné cette application lorsque nous sommes partis à la retraite », se remémore Michel Jehan. McPhy ne disparaît pas pour autant. La société grandit par croissance externe et rachète à l'italien ILT Technology sa division Piel, qui a mis au point une technologie dédiée à la production d'hydrogène par électrolyse. Son cœur d'activité aujourd'hui. En 2014, la société s'introduit en Bourse et quelques années plus tard séduit EDF, qui entre au capital.

Le stockage solide de l'hydrogène, abandonné sur le plan industriel il y a dix ans, était-il pour autant une mauvaise idée ? Pas à en croire l'Office européen des brevets, qui vient tout juste de récompenser le binôme pour son invention. Entourés de Patricia Rango, l'actuelle directrice de recherche à l'Institut Néel, Albain Chaise et Nataliya Skryabina, membres de son équipe, ils ont reçu le prix de l'inventeur européen 2023.

Un disque de 30 centimètres de diamètre

Dans le détail, cette invention, protégée par sept brevets, repose sur de la poudre d'hydrure de magnésium compactée en une pastille de 30 cm de diamètre et 1 cm d'épaisseur. Le dispositif est capable d'absorber à température ambiante de grandes quantités d'hydrogène de manière sûre, un peu à l'image d'une éponge avec de l'eau.

« A titre de comparaison, dans un récipient d'un mètre cube, il est possible de stocker 42 kilos d'hydrogène à l'état gazeux en le comprimant à très haute pression et 70 kilos lorsque l'hydrogène est à l'état liquide, en le refroidissant à -253 degrés. Lorsque vous prenez un mètre cube de magnésium, le récipient peut stocker 110 kilos d'hydrogène », illustre Daniel Fruchart.

Une pastille type peut, elle, stocker 600 grammes d'hydrogène, ce qui représente 20 kilowattheures. Les deux compères ont également développé un réservoir ad hoc dans lequel les pastilles de magnésium viennent s'empiler. Celui-ci permet de relâcher l'hydrogène, soit en baissant la pression soit en chauffant les galettes à 300 degrés.

Un stockage compact et sûr

« On a alors un stockage compact qui ne présente pas de risque d'explosion car le gaz n'est pas disséminé. Par ailleurs, nous travaillons à basse pression, puisque nous récupérons l'hydrogène à 2 ou 3 bars », précise Daniel Fruchart.

Michel Jehan, l'industriel de l'équipe, nourrit de grands espoirs pour plusieurs types d' applications, alors que les pastilles ont été certifiées par le CEA, garantissant une utilisation sur dix ans sans pertes de performances.

Le premier marché identifié est celui de la mobilité lourde. « Nous sommes en contact assez étroit avec la Norvège, qui dispose de beaucoup de ferries circulant actuellement au fioul. Initialement, l'idée était d'installer des batteries dans ces bateaux, mais cela coûte horriblement cher. Nous discutons donc de la possibilité d'installer un réservoir de magnésium, couplé à une pile à combustible ou à un moteur thermique », détaille Michel Jehan.

Plusieurs applications industrielles envisagées

L'équipe entend aussi positionner ses pions au Maroc, qui pourrait produire massivement de l'hydrogène vert, grâce à ses champs photovoltaïques installés dans le désert, mais aussi un de ses dérivés : l'ammoniac, très recherché pour la production d'engrais. Reste que la production d'hydrogène sera intermittente puisque liée à la production photovoltaïque, elle-même intermittente. « L'idée est donc de stocker l'hydrogène pour l'utiliser ensuite au fur et à mesure des besoins de production d'ammoniac », explique l'entrepreneur.

Michel Jehan croît aussi aux atouts de son réservoir pour le transport de grandes masses d'hydrogène sur de longues distances par conteneurs ou pour distribuer de l'hydrogène à des véhicules plus légers.

Dans cette optique, il a entrepris de redémarrer l'aventure industrielle. Grâce à l'investissement d'un actionnaire canadien, la société Jomi Leman a racheté à McPhy les équipements développés il y a 15 ans et reloué l'usine drômoise, qui avait été délaissée. « Nous sommes en train de les remettre en état pour produire à nouveau des réservoirs », explique-t-il.

Redémarrer l'usine drômoise

L'équipe espère démarrer la production dès l'automne prochain, mais vise une petite production en France, de l'ordre de 100 tonnes à l'année. Elle envisage de construire une usine bien plus importante à l'étranger, là où se trouve la production de magnésium, qui a complètement disparu de l'Hexagone. « Le magnésium est produit aujourd'hui dans quatre pays, le Brésil, les Etats-Unis, Israël et surtout la Chine, qui représente 95% de la production mondiale », pointe Michel Jehan.

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Ce deuxième essai sera-t-il le bon ? Cela dépendra en grande partie de la matière première, alors que le prix du magnésium s'est emballé au cours des dernières années. « La poudre se vend désormais entre 10 et 15 euros le kilo. Ce qui est très très cher », reconnaît Daniel Fruchart. Une chose est sûre, l'urgence de la transition énergétique, bien plus présente aujourd'hui qu'en 2008, devrait jouer en leur faveur.

Juliette Raynal

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Commentaires 3
à écrit le 25/10/2023 à 11:24
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J'ai acheté des actions de Mcphy, et suis étonné que leur invention primée ne fasse pas révolution dans le domaine de l'hydrogène ! D'autant que cela bouge beaucoup en ce moment , au niveau mondial ! Merci pour vos commentaires!

à écrit le 25/10/2023 à 11:23
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J'ai acheté des actions de Mcphy, et suis étonné que leur invention primée ne fasse pas révolution dans le domaine de l'hydrogène ! D'autant que cela bouge beaucoup en ce moment , au niveau mondial ! Merci pour vos commentaires!

à écrit le 05/07/2023 à 18:43
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Depuis le temps que je post sur cette société et ses galettes ! La presse à pris le temps. Je pensais même que la société avait été rachetée par les Américains ou étouffée par les lobbyes pétroliers . La société Mcphy est française mais n'est pas ni...

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