Si l'accord autour d'un embargo partiel de l'Union européenne (UE) sur le pétrole russe a, logiquement, fait grand bruit en début de semaine, la nouvelle peine à en éclipser une autre, bien moins réjouissante : mardi 31 mai, les chefs d'Etat et de gouvernement ont quitté Bruxelles sans aucune avancée concrète sur la question épineuse des importations de gaz, dont le Vieux continent a toutes les peines du monde à se détacher.
Pire : sur le sujet, les décisions semblent plutôt venir de Moscou. Jusqu'à donner l'impression que Vladimir Poutine tire les rênes, prenant de court les Vingt-Sept en l'absence d'une position claire de leur part. En effet, ces derniers jours, l'entreprise d'Etat russe Gazprom a fermé elle-même le robinet au fournisseur néerlandais GasTerra B.V., ainsi qu'à Orsted et Shell, privant de leurs livraisons le Danemark et l'Allemagne. Et ce, quelques semaines seulement après l'annonce d'une coupure des échanges avec la Pologne, la Bulgarie et la Finlande. Ainsi, les exportations de gaz russe ont chuté de 27,6% entre janvier et mai 2022 par rapport à la même période l'année précédente, a fait savoir Gazprom ce mercredi.
De quoi accentuer la menace d'une interruption brutale des flux par le Kremlin dans les autres pays, notamment en Italie ou en France, où le business as usual reste pour l'instant de mise... et toléré par la Commission européenne, malgré les représailles en place.
Tour de passe-passe
Et pourtant, il y a quelques semaines, le ton semblait se durcir à Bruxelles : des voix s'élevaient publiquement pour dénoncer l'incompatibilité du paiement du gaz dans les conditions imposées par Vladimir Poutine avec le régime des sanctions de l'UE. En effet, selon les ordres du Kremlin, les entreprises du Vieux continent devaient ouvrir deux nouveaux comptes bancaires auprès de Gazprombank : l'un pour effectuer le règlement en euros (ou dollars), l'autre pour la conversion en roubles. Des modalités auxquelles ne devaient pas se plier les fournisseurs européens, faisait valoir à l'oral la Commission.
Seulement voilà : pressé par l'arrivée des échéances de paiements, l'exécutif européen a dû se résoudre à assouplir discrètement ses directives... et a finalement autorisé à demi-mots les règlements auprès de Gazprombank. Ainsi, dans un tour de passe-passe s'opérant en coulisse, plusieurs fournisseurs, parmi lesquels l'italien ENI, les géants allemands Uniper et RWE ou encore le français Engie ont pu suivre les instructions de Moscou, et auraient ouvert au moins un compte en Russie afin d'y verser les euros à convertir. Un jeu d'équilibriste permettant, à la fois, de « répondre aux souhaits exprimés par Gazprom » et de « ne pas contrevenir au cadre des sanctions », souligne-t-on chez Engie, qui reste cependant évasif sur les détails de la transaction.
« Les sociétés européennes concernées continuent à payer leurs échéances en euros conformément aux contrats existants. Ces sociétés auront honoré leur part du contrat dès lors qu'elles auront payé en euro, sans intervention de leur part dans la suite du processus, c'est-à-dire la conversion en roubles par les sociétés russes, sous la responsabilité de ces dernières », ajoute-t-on au ministère de la Transition écologique.
Pourtant, la manipulation a été refusée par GasTerra, entre autres, la société pointant « un risque de violation des sanctions élaborées par l'UE ». A l'échelle européenne, le flou reste donc prégnant et les positions, non alignées.
Une baisse des volumes plus que compensée par l'envolée des prix
De fait, depuis l'offensive en Ukraine, l'Union européenne martèle son souhait de se défaire des hydrocarbures en provenance du pays dirigé par Vladimir Poutine. « Nous voulons stopper la machine de guerre russe ! », a encore répété Charles Michel, le président du Conseil, ce mardi. Mais en pratique, sa politique ne prive pas le Kremlin de recettes conséquentes : malgré les coupures inopinées qu'il opère, la flambée historique des cours européens du gaz, cinq à six fois supérieurs à la « normale » depuis la fin de l'année dernière, compense largement cette réduction des flux. Et le phénomène devrait se poursuivre, assurant une manne financière considérable à la Russie.
Surtout, les interruptions brusques de livraisons décidées par Vladimir Poutine dans certains pays tirent encore les prix à la hausse sur les marchés, affolés par la perspective d'une contraction de l'offre. Résultat : les revenus supplémentaires issus des hydrocarbures pourraient atteindre jusqu'à 1.000 milliards de roubles (plus de 14 milliards d'euros) cette année par rapport à 2021, selon les prévisions du ministère russe du Développement économique.
« [Cet argent] permettra de payer plus les retraités, les familles avec enfants et de mener l'opération spéciale [en Ukraine, ndlr] », a ainsi récemment déclaré le ministre russe des Finances, Anton Silouanov à la télévision.
Dans ces conditions, le sujet promet d'animer encore des débats houleux entre les Vingt-Sept, toujours pris dans le piège de leur dépendance énergétique à la Russie, malgré les annonces récentes.
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