« Air India peut redevenir l'une des meilleures compagnies au monde » (Campbell Wilson, CEO)

ENTRETIEN- Présent au Paris Air Forum, le directeur général d'Air India Campbell Wilson revient dans une interview à La Tribune sur les défis majeurs qui attendent sa compagnie dans les prochaines années : la livraison des 470 avions commandés en février dernier, le recrutement de centaines de salariés chaque mois, un plan de transformation technologique ou encore le rapprochement de l'ensemble des compagnies du groupe Tata.
Air India a signé une commande historique de 470 avions dont 250 Airbus en début d'année.
Air India a signé une commande historique de 470 avions dont 250 Airbus en début d'année. (Crédits : Reuters)

LA TRIBUNE - Vous êtes à la tête d'Air India depuis un peu plus d'un an et le rachat par le groupe Tata de la compagnie aérienne. Qu'est-ce qui a changé chez Air India depuis votre arrivée et quelles sont vos priorités dans les années à venir ?

CAMPBELL WILSON - Air India est une compagnie aérienne vieille de 90 ans. Au cours des 70 dernières années, elle a été détenue par le gouvernement. En janvier 2022, elle a été privatisée et fait maintenant partie du groupe Tata, un grand conglomérat industriel en Inde, positionné aussi bien dans l'acier, l'électricité ainsi que d'autres intérêts dans le secteur aérien. La privatisation d'Air India est donc l'occasion d'une transformation complète en termes de structure organisationnelle puisque nous cherchons à fusionner quatre compagnies aériennes en deux, de transformation en termes d'équipement et de produits. C'est la raison pour laquelle nous avons commandé en début d'année 470 avions, dont 250 Airbus. En termes d'ambition, nous cherchons à multiplier par trois notre réseau et notre part de marché au cours des cinq prochaines années.

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Quelles sont les prochaines étapes du rapprochement de l'ensemble des compagnies du groupe Tata ?

Il existe aujourd'hui quatre compagnies aériennes : deux low-cost (Air India Express et AirAsia India)  et deux compagnies "full service" (Air India et Vistara). Concernant les compagnies low-cost, nous avons entamé le processus de fusion en septembre 2022 avec l'acquisition des participations que nous ne détenions pas dans les filiales, la nomination d'un PDG unique et la fusion des systèmes de réservation. Nous approchons du moment où nous fusionnerons les marques. D'un point de vue juridique et réglementaire, les deux compagnies aériennes devraient fusionner au début de l'année prochaine. Pour les deux compagnies aériennes à service complet, nous avons déposé des demandes auprès de l'autorité chargée des fusions et de l'autorité chargée de la concurrence. Nous attendons leur autorisation. Si nous obtenons cette autorisation, nous envisageons de réaliser la fusion au cours des douze prochains mois et la fusion sera achevée au milieu de l'année 2024.

En Inde, vous êtes confrontés à une grande concurrence face à Emirates, première compagnie étrangère du pays, Indigo, Qatar Airways...  Quelle est votre stratégie sur ce marché ?

Sur le marché intérieur, la consolidation de nos quatre compagnies aériennes augmentera la part de marché de l'Inde de moins de 10 % à environ 26 %. Et l'ajout d'avions loués et achetés nous permettra d'augmenter notre part de marché à environ 30% d'ici deux ans.

Quelles sont vos cibles prioritaires à l'international ?

Au niveau international, l'Inde ne dispose pas pour le moment d'un nombre suffisant d'avions gros-porteurs, ce qui l'empêche de proposer à ses clients des vols sans escale vers toutes les villes qu'ils souhaitent visiter. C'est pourquoi nous avons commandé 70 nouveaux avions gros-porteurs afin d'étendre notre réseau à davantage de villes et de les desservir sans escale. Nous louons également 17 appareils et nous remettons en service une vingtaine d'appareils qui étaient restés stationnés pendant une longue période. L'expansion de la flotte et du réseau est donc très rapide.

Êtes-vous en négociation avec Emirates pour un partage de codes ?

Nous ne sommes pas en discussion avec Emirates, nous sommes en discussion avec un certain nombre de compagnies aériennes, y compris des partenaires de Star Alliance, pour une coopération plus approfondie.

Cherchez-vous à augmenter le nombre de vols entre l'Inde et la France ? Et y a-t-il des négociations entre la France et l'Inde sur les droits de trafic ?

Nous sommes très satisfaits de nos vols en France. Nous souhaitons vivement desservir le marché. Il existe des liens profonds entre l'Inde et la France dans de nombreux domaines, évidemment historiques. Sur le plan commercial, il existe aussi un partenariat important entre le groupe Tata Sons et les entreprises françaises. Aujourd'hui, Air India est présente sur la ligne reliant Delhi à Paris (Roissy-Charles-de-Gaulle) et nous aimerions ajouter dans le futur des vols entre Mumbai et Paris. Cela permettrait de desservir un marché différent. Delhi est la plus grande ville et la capitale politique de l'Inde, tandis que Mumbai est la capitale commerciale de l'Inde. Nous pensons donc qu'il y a certainement une demande suffisante. Concernant les droits de trafic, il n'y a pas lieu de négocier pour le moment des autorisations supplémentaires.

Qu'en est-il de l'Europe ?

Nous avons ajouté cinq nouveaux aéroports en Europe rien que cette année. Nous avons commencé à desservir Milan, Copenhague. Vienne. Amsterdam et nous avons ouvert un service vers Londres-Gatwick. Nous pensons qu'il y a un certain nombre d'autres villes que nous pouvons ajouter en Europe. Il y a certainement une opportunité non seulement pour les capitales d'être desservies sans escale à partir de l'Inde, mais aussi pour un certain nombre de villes de second rang. Jusqu'à présent, Air India était limitée par un manque d'avions. Il ne s'agit donc pas d'une absence de demande. C'était un manque d'avions.

Je pense qu'il est également important de tenir compte de la géographie de l'Inde, et pas seulement du potentiel de l'Inde elle-même, en ce sens que l'Inde est un point de connexion naturel entre l'Europe et l'Asie du Sud-Est, le Pacifique Sud ou d'autres pays d'Asie du Sud. Les opportunités et l'importance de l'Inde pour le marché européen vont donc augmenter de manière significative dans les années à venir.

Parmi les grands défis à relever dans les années à venir, il y a le recrutement. Air India a d'énormes besoins dans les prochaines années...

Le recrutement est clairement une priorité. Nous recrutons actuellement environ 550 membres du personnel de cabine par mois.  Cette année, nous devons recruter environ 1300 pilotes. Mais la bonne nouvelle, c'est qu'Air India est désormais une compagnie privée sous l'égide de Tata group, un employeur très attractif, en particulier face à de tels plans de croissance. Et l'Inde est un marché qui regorge de talents. En plus des pilotes déjà formés, nous allons également investir dans notre propre centre de formation et devenir l'un des plus grands au monde. Il disposera d'environ 19 simulateurs de vol. Et au cours des dix prochaines années environ, je pense que nous parlons d'un besoin de 40.000 à 50.000 pilotes. Ils devront être formés pour le marché indien, et pas seulement pour l'Inde. La main-d'œuvre est donc l'un des domaines prioritaires.

Quid de la transformation technologique massive qui attend Air India ?

Il est clair que du point de vue des avions, nous prenons les modèles les plus récents, les plus économiques, les plus économes en carburant et les plus fiables, c'est-à-dire les Airbus A350, les Boeing 787, 777X et les A321. Ensuite, Air India était l'une des dernières compagnies au monde à utiliser l'ancien système de réservation de sièges. Nous avons maintenant migré vers la plateforme Amadeus LTE, adopté des solutions de cloud, investi dans les sites web, les applications, des plateformes telles que SAP.

Il s'agit vraiment de moderniser complètement l'infrastructure technique des compagnies aériennes pour l'adapter aux normes actuelles. Il s'agit d'une opportunité importante pour nous, car il est très rare qu'une entreprise ait l'occasion de tout remplacer par la technologie la plus récente en une seule fois. D'habitude, il y a beaucoup de mises à niveau progressives. Nous adoptons l'approche consistant à tout remplacer par la meilleure norme actuelle.

Partir d'une page blanche nous permet d'adopter de nouvelles technologies très rapidement. Par exemple, notre site web est le premier à utiliser Chat GPT pour son chatbot internet. La plupart des chatbots ont tendance à vous donner un lien pour chercher quelque chose d'autre. Ce que nous essayons de faire avec Chat GPT, c'est de vous donner la réponse que vous voulez et pas seulement un lien vers l'endroit où vous pouvez trouver la réponse. Il est encore en train d'apprendre, mais c'est assez remarquable ce qu'il peut produire comme réponses.

Prévoyez-vous d'autres annonces en matière de commandes à l'occasion du Salon du Bourget qui s'ouvre lundi?

Nous n'avons pas encore commencé à recevoir les 470 avions de notre dernière commande, donc ce n'est pas d'actualité mais l'Inde est un très grand marché donc nous serons amenés dans le futur à passer d'autres commandes.

Est-ce frustrant d'avoir cette énorme demande et pas encore les avions pour y faire face ?

Je pense qu'il faut faire une distinction entre les avions que nous avons commandés et les avions que nous remettons en service. Nous connaissons déjà le calendrier de production et nous espérons que les fabricants le respecteront. Ils nous ont aidés en nous donnant accès aux avions plus tôt. Ainsi, les avions que nous louons au cours de cette année et certains qui ont été produits pour d'autres clients qui n'ont pas pu prendre livraison. La frustration concerne davantage les avions qui ont été cloués au sol pendant longtemps et leur remise en service. Et cela a été limité par l'offre. Nous avons réussi à remettre en service la plupart de ces appareils, mais il reste encore trois avions à fuselage large (deux Boeing 787 et un Boeing 777). Cela prend plus de temps que nous le souhaiterions. Boeing fait de son mieux, mais la chaîne d'approvisionnement est longue.

Comment voyez-vous Air India dans dix ans ?

Si l'on remonte aux années 1960 et 1970, l'Inde était considérée comme l'une des meilleures compagnies aériennes au monde, surtout du point de vue du service. La culture indienne est réputée pour son hospitalité. C'est donc la preuve qu'Air India peut redevenir l'une des meilleures compagnies aériennes au monde. Notre intention, avec les investissements que nous faisons dans la flotte, les produits et le personnel, est de redevenir l'une des meilleures compagnies aériennes du monde. Il est clair qu'il nous faudra un certain temps pour y parvenir et que les produits et les systèmes ne peuvent pas être mis en place du jour au lendemain, mais la détermination est là

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