Chômage partiel : Air Tahiti Nui dénonce une distorsion de concurrence en faveur d'Air France et French Bee

Alors que les entreprises polynésiennes ne sont pas admises au financement de l'indemnisation de l'activité partielle, Michel Monvoisin, le PDG d'Air Tahiti Nui, dénonce dans La Tribune une distorsion de concurrence par rapport à ses concurrents tricolores. Il demande à l'Etat français de rétablir des règles identiques pour tous les acteurs et de participer à une augmentation de capital pour reconstituer les fonds propres de la compagnie au moment de la reprise.
Fabrice Gliszczynski
Air Tahiti Nui assure quatre vols par semaine entre Paris et Papeete
Air Tahiti Nui assure quatre vols par semaine entre Paris et Papeete (Crédits : DR)

Le PDG d'Air Tahiti, Nui Michel Monvoisin, ne décolère pas. Le transport aérien traverse la plus grave crise de son histoire et la compagnie polynésienne qu'il dirige depuis sept ans doit se battre avec des boulets aux pieds face à une concurrence qu'il juge "déloyale". Air France et French Bee, ses deux rivaux tricolores sur l'axe Paris-Papeete, bénéficient en effet  de la prise en charge par l'Etat français du chômage partiel de leurs employés, mais pas Air Tahiti Nui, laquelle, à l'instar des entreprises polynésiennes, n'y a pas droit. La compagnie a certes profité de mesures d'indemnisation locales, mais celles-ci "n'ont couvert que 5% de sa masse salariale", selon Michel Monvoisin, quand le chômage partiel en métropole est indemnisé à 100% par l'Etat pour les transporteurs aériens (dans la limite de 4,5 fois le Smic). La Polynésie n'est en effet pas admise au financement de l'indemnisation des régimes de chômage partiel instaurés au plan national, car elle dispose d'une relative autonomie et de la compétence en la matière. Une différence de traitement que la compagnie dénonce.

"Quand le chômage partiel est pris en charge par l'Etat, c'est une subvention puisque cela permet d'alléger les charges des entreprises. L'Etat l'a fait pour les compagnies françaises qui ont leur siège en métropole mais pas pour les autres comme Air Tahiti Nui ou Air Calin (compagnie de Nouvelle Calédonie, NDLR ). Nous, nous avons payé nos salaires. Et quand Air France et French Bee nous concurrencent, ils le font en bénéficiant de subventions que nous n'avons pas. Il y a clairement une distorsion de concurrence", explique à La Tribune Michel Monvoisin.

Plainte en vue?

Conséquence de cette différence de traitement, les prêts garantis par l'Etat (PGE) obtenus par les différentes compagnies (celui d'Air Tahiti Nui s'élève à 66 millions d'euros) ne jouent pas le même rôle.

"Avec ce PGE, nous nous sommes endettés pour financer des pertes futures et financer des salaires quand d'autres utilisent de tels prêts pour la relance", fait remarquer amèrement Michel Monvoisin, en pointant du doigt l'agressivité tarifaire de ses concurrents, Air France au premier chef qui vient de commercialiser un aller-retour Paris-Papeete à 900 euros. Un "prix qui couvre à peine le pétrole", déplore le PDG d'Air Tahiti Nui, qui demande de pouvoir combattre à armes égales.

"Nous ne voulons pas que nos concurrents ne soient plus indemnisés du chômage partiel, mais que les règles soient les mêmes pour tous".

Une plainte est-elle en préparation?

"Elle serait recevable auprès de la justice européenne, nous assurent nos juristes. Mais nous n'en sommes pas là. Nous ne sommes pas dans une logique de conflit. Au contraire", explique le PDG d'Air Tahiti Nui.

Demande à l'Etat de reconstituer les fonds propres

Ce dernier demande à l'Etat français de mettre en place un mécanisme de subvention avec la prise en charge du chômage partiel", ou de regarder comment lui, ou des entités de l'Etat comme la banque publique d'investissement (Bpi) par exemple, pourrait procéder à une augmentation de capital.

"Le PGE est une bonne chose car il résout les problèmes de trésorerie. En revanche, il plombe le bilan et ne résout ni la question de l'endettement ni celle des fonds propres. Je pense à l'avenir. Quand le Covid-19 sera derrière nous, l'heure sera à la relance. Mais la croissance, ça se finance. Et aller voir des banquiers ou des sociétés de leasing avec un bilan plombé par des dettes, c'est un peu compliqué, même si la trésorerie est bonne comme c'est le cas aujourd'hui puisque nous pouvons tenir 24 mois. Il nous faut donc reconstituer les fonds propres pour nous permettre d'avoir un bilan présentable. Or, une augmentation de capital est compliquée chez Air Tahiti Nui car la loi organique qui porte sur le statut de la Polynésie française (rajouté au code des collectivités publiques), interdit à la collectivité de posséder plus de 85% du capital de la compagnie. Nous y sommes déjà. Même s'il souhaite souscrire à une augmentation de capital, le gouvernement polynésien ne le peut pas. Il nous faut donc trouver un tiers pour porter cette augmentation de capital, et aujourd'hui ne voyons pas qui, à part l'Etat, pourrait le faire. Nous sommes en discussion avec l'Etat sur la façon dont il pourrait nous aider à reconstituer nos fonds propres", indique Michel Monvoisin.

Selon ce dernier, le montant d'une telle opération est évalué entre 75 et 100 millions d'euros.

Sur le papier, rien ne presse. La relance ne sera pas pour demain et la trésorerie permet de tenir jusqu'à fin 2022. Mais Air Tahiti Nui veut néanmoins que le sujet soit traité au plus vite, pour justement préparer la relance.

"Il faudra prononcer la continuité d'exploitation en 2022 et trouver les fonds pour 2023", indique Michel Monvoisin. "Mais nous avons besoin de visibilité. C'est maintenant qu'il faut trouver un accord avec l'Etat pour qu'il rétablisse une concurrence loyale et nous aide à passer ce cap difficile. Air Tahiti Nui est une entreprise stratégique pour la Polynésie, dont le tourisme représente 15% du PIB", ajoute-t-il.

Pertes substantielles en 2020

En attendant, la compagnie accuse de lourdes pertes. Celles-ci devraient s'élever à 80 millions d'euros en 2020, contre un léger bénéfice de 1,5 million d'euros en 2019. Et l'année 2021 sera elle aussi extrêmement difficile. La compagnie ne prévoit pas un retour à l'équilibre financier avant 2023.

Pour l'heure, il faut tenir. La compagnie serre la vis. Un plan de départs volontaires portant sur 115 personnes sur 740 va être mise en place. Il fera baisser la masse salariale de 20 à 25% à partir de janvier 2021. Sur le plan du réseau, la compagnie n'assure plus que 40% de son programme d'avant crise et va miser sur la métropole qui résiste bien et les Etats-Unis. Le début de l'année permettra d'ailleurs d'y voir plus clair. C'est à ce moment-là que vont débuter les réservations pour la prochaine saison été. Si cette destination mythique reste chère, elle a l'avantage d'être l'une des rares à être ouverte.

Fabrice Gliszczynski

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Commentaires 7
à écrit le 06/10/2020 à 5:25
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A l'inverse de ce qui est avancé par certain, la Polynésie est bien Française. Il y a un gouvernement local mais régit par les lois de la République (à part certaines subtilités du droit du travail et autres compétences accordées à la Polynésie). A...

le 06/10/2020 à 11:31
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Merci pour votre avis éclairé et mesuré qui nous change des propos de comptoir habituels...

à écrit le 05/10/2020 à 12:32
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Et quand ils défiscalisent leurs achats d’avion, ce n’est pas de la distorsion de concurrence ?

à écrit le 05/10/2020 à 10:44
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Comme indiqué dans l'article, la Polynésie a voulu et obtenu une certaine autonomie. Quand l'activité était florissante, la Polynésie a fait des choix, s'émanciper de la métropole. Maintenant, qu'il y a une crise planétaire, la Polynésie appel ...

le 06/10/2020 à 6:20
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tout a fais ça je suis en tout point d'accord avec votre commentaire

à écrit le 05/10/2020 à 8:48
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La polynesie ne fait plus partie de la France depuis la signature du pacte territoriale des annees 90. Les competences de ce secteur est exclusivement local au niveau administratif. L'epoque chiraquienne est revolue.

à écrit le 05/10/2020 à 8:31
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Il est évident que l'argent public ne devrait pas continuer d'alimenter les actionnaires de cette économie moyenâgeuse dans son ensemble, chacun demandant logiquement sa part, soit on arrose tout le monde soit on arrose personne mais en oligarchie le...

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