Climat : le transport maritime international face à ses responsabilités

L’Organisation maritime internationale, à qui il revient d’élaborer la feuille de route destinée à encadrer la baisse des émissions du secteur, non couvert par l’accord de Paris, vient d’entamer des négociations. Mais des doutes persistent quant à sa détermination.
Dominique Pialot
Le transport maritime émet autant de gaz à effet de serre que l'Allemagne.
Le transport maritime émet autant de gaz à effet de serre que l'Allemagne. (Crédits : Reuters)

Le 3 avril se sont engagées des discussions dont l'issue pourrait avoir un impact significatif dans la lutte contre le changement climatique. Les 173 États membres de l'Organisation maritime internationale (OMI) sont réunis pour deux semaines afin d'élaborer un plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre du transport maritime.

En effet, la réunion "MEPC72", 72ème session du Comité de la protection en milieu marin de l'OMI se tient du 9 au 13 avril prochains à Londres. Elle devra notamment approuver la stratégie de réduction des émissions du secteur, en discussion au sein du "Intersessional Working Group on Greenhouse Gas Emissions".

20% des émissions mondiales en 2050 si rien n'est fait

D'environ 1.000 tonnes par an (autant que l'Allemagne), les émissions du secteur - qui assure 90% du transport mondial de marchandises - pèsent aujourd'hui environ 2,5% du total des émissions mondiales. Mais si rien n'est fait pour les endiguer, hausse du trafic aidant, elles pourraient s'accroître de 250% d'ici à 2050 et atteindre un cinquième du volume total, soit l'équivalent de 200 centrales à charbon.

Autant dire que le transport maritime joue un rôle essentiel dans la lutte contre le changement climatique. Pourtant, il était avec l'aviation l'un des rares secteurs à ne pas être couvert par les engagements nationaux de limitation des émissions pris dans le cadre de l'accord de Paris, qui doivent concourir ensemble à restreindre à 2°C maximum la hausse des températures. Depuis, l'Organisation de l'aviation civile internationale (OACI) s'est engagée en 2016 à stabiliser ses émissions à partir de 2020.

Pour le transport maritime, c'est l'OMI qui a été chargée de contrôler et de réduire ses émissions dans le cadre du Protocole de Kyoto, en 1997. Mais depuis, rien ou presque ne s'est passé, à l'exception d'un engagement de rendre les navires de 30% plus efficaces à l'horizon 2025 en comparaison de 2009. Une mesure qui n'entraînerait qu'une baisse des émissions de 3% en 2050. D'ailleurs, 60% des porte-containers et 25% des pétroliers respectent déjà ce critère.

Une coalition de 44 pays prêts à l'action

Le semaine dernière, 44 pays (dont le Royaume-Uni, la France, la Suède, l'Australie, le Bangladesh, le Canada, le Chili, le Danemark, le Mexique, le Pérou ou les îles Marshall) ont apporté leur soutien à la déclaration Tony Brum, du nom d'un ancien ministre des Affaires étrangères des îles Marshal, fondateur de la coalition pour la haute ambition au sein de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques lors de la COP21, décédé en août dernier. Rédigée à l'initiative de la France et du Ministère chargé des transports, cette déclaration prévoit une réduction des émissions compatible avec l'Accord de Paris, définissant un pic des émissions à court terme et une neutralité carbone d'ici la moitié du siècle.

Mais d'autres États font de la résistance. Outre de petits pays en développement craignant de ne pouvoir exporter leur production, le Brésil, l'Arabie saoudite, l'Inde, le Panama, l'Argentine ou encore le Japon, s'opposent à l'encadrement des émissions de transport maritime au motif que cela porterait préjudice au commerce international.

Décarbonation possible d'ici à 2035 selon l'OCDE

Pourtant, il existe de multiples pistes permettant de faire baisser les émissions du secteur : ralentir la vitesse des navires, utiliser des carburants plus propres, et, une solution qui revient en force ces derniers temps, recourir à la force du vent pour diminuer la consommation de carburant.

Aussi, une décarbonation totale du secteur serait possible d'ici à 2035, selon un rapport de l'OCDE publié en mars, qui propose « une réduction des émissions de CO2 entre 82 et 95 % des émissions prévues pour 2035 », soit les émissions annuelles d'environ 185 centrales à charbon, et réfute les arguments avancés par le Japon, pour qui seulement 50% de la décarbonisation est techniquement possible d'ici 2060.

Comment expliquer que les choses semblent au point mort ? L'ONG Transparency International a publié le 3 avril un rapport sur le sujet. Selon Brice Böhmer, coordinateur du programme "Intégrité de la gouvernance climatique" de  l'ONG, bien que l'OMI soit chargée du sujet depuis 1997, « ce n'est qu'en 2016 qu'elle s'est finalement accordée sur une feuille de route en vue de se doter en 2018 d'une première stratégie de réduction des émissions de GES, et de réviser cette stratégie en 2023. » Et de pointer les failles dans la gouvernance de l'organisation, notamment l'influence excessive des sociétés privées qui pourrait expliquer son inaction.

Failles dans la gouvernance de l'OMI

Le poids de cinq pays (Panama, Libéria, Iles Marshall, Malte et les Bahamas) représentant 52% des pavillons et 43% du financement de l'organisation ; la représentation des États membres fréquemment assurée par des représentants de sociétés privées conduisant à conduire à une privatisation partielle du processus intergouvernemental ; le manque de transparence vis-à-vis de la presse et des ONG quant au déroulé de séances plénières tenues à huis clos... Autant de dysfonctionnements pointés du doigt dans ce rapport.

Pourtant, certains acteurs du secteur privé ont pris la mesure de l'enjeu : de grands donneurs d'ordre comme Ikea imposent leurs exigences auprès de leur chaîne d'approvisionnement ; Siemens, qui conçoit des ferries électriques ; le croisiériste norvégien Hurtigruten, qui transporte les touristes sur des navires hybrides ; Shell, TM Power et Engie, qui planchent sur des solutions à base d'hydrogène et de pile à combustible...

L'OMI est sous pression. En effet, dans le cas où les discussions en cours ne parviendraient pas à une politique suffisamment ambitieuse, l'Union européenne menace de reprendre le flambeau pour ce qui concerne le fret européen, ce qui ôterait à l'organisation internationale une partie de son pouvoir. Réponse d'ici au 13 avril.

Dominique Pialot

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Commentaires 5
à écrit le 06/04/2018 à 15:06
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Les émissions de CO2 du transport maritime sont d'environ 1000 millions de tonnes de CO2e (et non 1000 tonnes). http://www.imo.org/en/OurWork/Environment/PollutionPrevention/AirPollution/Documents/Third%20Greenhouse%20Gas%20Study/GHG3%20Executive%20S...

à écrit le 05/04/2018 à 15:19
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Sûr que si l'UE a à se prononcer la Grèce et Malte seront à la pointe pour freiner toute évolution défavorable aux armateurs véreux!

à écrit le 05/04/2018 à 14:04
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Pour éviter de générer du SO2 (le fuel maritime est 5000 fois plus sulfuré que le gazole(fuel) terrestre, sinon serait trop onéreux), des bateaux au GNL (méthane, stocké à -160°C) sortent, 10-20% de plus en coût d'achat mais économiques à l'usage. Ça...

à écrit le 05/04/2018 à 11:11
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le fret maritime, où le maillon de la chaîne de l'hypocrisie de la "réduction" des émissions de GES par les pays développés... Ces derniers se gaussent de baisser leurs émissions, à grand renfort de photos d'éoliennes et de panneaux solaires. Mais...

à écrit le 05/04/2018 à 8:50
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"Le poids de cinq pays (Panama, Libéria, Iles Marshall, Malte et les Bahamas)" Qui sont quand même des places d'évasion fiscale particulièrement connues hein, alors non seulement on leur laisse prendre l'argent des citoyens du monde mais en plus ...

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