Getlink (Eurotunnel) prêt à sortir le carnet de chèques pour aider l’arrivée d’un concurrent face à Eurostar

Après avoir souffert pendant la crise, Getlink, le gestionnaire du tunnel sous la Manche, veut repartir de l'avant. Et quoi de mieux pour cela que de venir titiller son principal client, à savoir Eurostar. L'ex-groupe Eurotunnel est prêt à mettre plusieurs centaines de millions d'euros sur la table pour favoriser l'arrivée de la concurrence dans le tunnel sous la Manche face à la filiale de la SNCF. Renfe, qui a déjà fait part de ses ambitions sur le Paris-Londres, serait très intéressée.
Léo Barnier
Getlink est prêt à s'engager pour voir la concurrence se développer dans le tunnel sous la Manche
Getlink est prêt à s'engager pour voir la concurrence se développer dans le tunnel sous la Manche (Crédits : Pascal Rossignol)

Exploitant du tunnel sous la Manche, Getlink verrait d'un bon œil l'arrivée de nouveaux opérateurs entre le continent et le Royaume-Uni. Jacques Gounon, président du conseil d'administration du groupe franco-britannique, se verrait même bien donner un coup de pouce aux prétendants, à commencer par le groupe espagnol Renfe. Il serait même prêt à investir plusieurs centaines de millions d'euros pour venir concurrencer Eurostar sur son terrain. A l'occasion d'une rencontre organisée par l'Association des journalistes des transports et des mobilités (AJTM) ce vendredi, le dirigeant a annoncé ses ambitions.

Interrogé sur la possibilité de s'allier avec un opérateur, Jacques Gounon n'a pas hésité à répondre ouvertement : "si je le faisais, je commencerais par le transmanche car ce serait immédiatement rentable pour moi". Après avoir salué la qualité d'Eurostar, il a souligné que de la concurrence pourrait être bénéfique pour la filiale de la SNCF (55 %), la Caisse de dépôt et placement du Québec (30 %) et Hermes Infrastructure (10 %) après avoir souffert fortement pendant la crise doublée du Brexit. Le dirigeant estime ainsi que l'arrivée de la concurrence pourrait générer une induction de trafic de l'ordre de 20 % par rapport au trafic pré-crise, soit 2 à 3 millions de passagers supplémentaires.

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Un pool de train à louer

Jacques Gounon a ainsi posé sur la table la possibilité de louer à d'autres opérateurs des rames homologuées pour voyager sous la Manche. Le coût d'investissement initial pour l'achat de matériel roulant constitue en effet l'un des freins majeurs à l'arrivée de nouveaux opérateurs. Les contraintes techniques pour rouler entre la France et le Royaume-Uni sont très spécifiques, avec par exemple l'obligation d'avoir des trains monolithiques de près de 400 m et équipés pour les différentes signalisations des pays traversés (en attendant la généralisation du système européen ERTMS). Le président de Getlink n'hésite d'ailleurs pas à parler de contraintes extravagantes.

Son groupe pourrait donc acheter une flotte de trains et les louer aux opérateurs au travers d'une "Rosco" (rolling stock company - société de location de matériel roulant). Convaincu de pouvoir compter des investisseurs, Jacques Gounon serait ainsi prêt à s'engager sur une flotte d'une dizaine de rames pour lancer un service initial "de qualité", soit un investissement de l'ordre de 400 millions.

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Un calendrier ambitieux

Des discussions ont d'ailleurs déjà commencé en ce sens au sein du conseil d'administration, mais le groupe doit d'abord retrouver la santé financière après avoir perdu 113 millions d'euros en 2020 et 229 millions en 2021. Il faudra tout de même plusieurs années pour que le projet se concrétise.

Jacques Gounon se plaît à évoquer un calendrier réduit au maximum : retour dans le vert de Getlink espéré cette année pour pouvoir réinvestir, puis proposition en conseil d'administration, lancement officiel et commande de rames d'ici fin 2023. Et après il faudra attendre : même en s'adressant à Siemens, dont les trains exploités par Eurostar sont déjà homologués, il y a un délai incompressible de trois ans entre la commande et la livraison. Les premières rames n'arriverait donc pas avant 2026, et cela semble très ambitieux. Il faudra également pouvoir recruter et former les conducteurs, denrée assez rare aujourd'hui et enjeu entre la SNCF et ses concurrents.

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Renfe en pole position pour concurrencer Eurostar

Et parmi les candidats possibles, Renfe apparaît en tête de liste. En octobre dernier, l'opérateur espagnol avait en effet fait part de ses ambitions de s'implanter sur le Paris-Londres en plus du Paris-Lyon. Et il avait engagé des contacts dans ce sens. Une manière de rendre la monnaie de sa pièce à la SNCF, venue s'immiscer avec Ouigo sur le marché domestique espagnol mais aussi d'élargir son bassin de clientèle.

A l'automne dernier, Renfe évoquait la possibilité de débuter avec un minimum de sept trains. Même si elle souhaitait alors exploiter son propre produit, la proposition de Getlink permettant de réduire largement le coût d'investissement initial semble s'avérer séduisante. Déjà intéressé à l'époque pour faciliter la venue de Renfe, Getlink confirme son attrait pour le projet espagnol et pourrait donc aller jusqu'à s'engager directement pour faciliter la mise en concurrence d'Eurostar.

Jacques Gounon se montre en tout cas confiant pour la réussite de Renfe à s'implanter, lui qui a vu la Deutsche Bahn (DB) s'échiner pendant des années pour se positionner sur le transmanche sans jamais arriver à obtenir sa licence ferroviaire auprès des autorités françaises. L'opérateur allemand semble d'ailleurs très loin de pouvoir remettre son projet au goût du jour.

Le dirigeant voit d'ailleurs l'arrivée de l'opérateur espagnol ouvrir la porte à d'autres concurrents. Il confesse d'ailleurs que des intérêts existent déjà, sans pour autant confirmer l'engagement de discussions.

Léo Barnier

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Commentaire 1
à écrit le 21/03/2022 à 8:47
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Quelle drôle de façon de présenter les choses. Tout ce que veut vraisemblablement Getlink, c'est plus de trafic et plus de clients. La concurrence n'est pas un mal en soi, même si les grandes dérégulations ont parfois déclenché des catastrophes, la...

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