La Cour des comptes s'inquiète de l'avenir des aéroports français

Après deux ans d'une crise sanitaire brutale, la situation des grands aéroports français est fortement détériorée, rapportent les magistrats de la Cour des comptes. Ils pointent les fragilités du modèle économique des plateformes aéroportuaires et du système de régulation, mises en lumière par l'effondrement de 70% du trafic et donc des revenus et la hausse de la dette. La sortie de crise pourrait être délicate.
Léo Barnier
Les grandes plateformes aéroportuaires françaises sont en difficulté : les finances ont été mises à mal et le trafic est encore loin d'un retour à la normale. Surtout, la crise pourrait avoir mis à nu des défaillances structurelles jusque-là masquées par la croissance du trafic,
Les grandes plateformes aéroportuaires françaises sont en difficulté : les finances ont été mises à mal et le trafic est encore loin d'un retour à la normale. Surtout, la crise pourrait avoir mis à nu des défaillances structurelles "jusque-là masquées par la croissance du trafic", (Crédits : Reuters)

Une chute de 70% du trafic qui passe de 180 millions à 54 millions de passagers, un chiffre d'affaires divisé par deux à 1,7 milliard d'euros, un bénéfice d'exploitation de 1,1 milliard qui laisse la place à une perte de près de 700 millions d'euros... C'est le lourd bilan dressé par la Cour des comptes dans son rapport public annuel 2022 pour les dix principaux aéroports français entre 2019, année de référence, et 2020, année de la crise. Après deux ans marqués par la pandémie du Covid-19, les grandes plateformes françaises sont donc en difficulté : les finances ont été mises à mal et le trafic est encore loin d'un retour à la normale. Surtout, la crise pourrait avoir mis à nu des défaillances structurelles "jusque-là masquées par la croissance du trafic", qui nécessiteraient une évolution du modèle économique et une réforme de la régulation.

La juridiction financière salue tout de même plusieurs éléments positifs dans la réaction des aéroports face à la crise, dont la flexibilité opérationnelle, avec une réorganisation rapide des capacités tout en maintenant la continuité de ce qu'elle nomme le "service public aéroportuaire" (SPA), l'accompagnement des prestataires, évitant ainsi la plupart des faillites, et le respect scrupuleux des mesures sanitaires. Le rapport note aussi les "plans d'économies d'une ampleur sans précédent", qui ont permis aux dix aéroports étudiés de réduire de 27,5% leurs dépenses d'exploitation hors amortissements, soit plus de 660 millions d'euros, tout en maintenant 95 % des effectifs grâce au recours à l'activité partielle.

Le trafic est encore loin du compte

Cela n'empêche pas la Cour des comptes de s'inquiéter sur plusieurs aspects. En premier lieu, elle note que la reprise du trafic est vive dès que les mesures sanitaires s'allègent, mais reste partielle. D'après Thomas Juin, président de l'Union des aéroports français (UAF), dans une interview accordée à La tribune, la baisse était encore d'au moins 60 % en 2021 et devrait être de 30 % en 2022.

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Le rapport indique ainsi les incertitudes persistantes liées à la circulation du virus et au manque de visibilité sur les restrictions imposées par les États. Au travers de leurs deux seules recommandations formelles, les Sages de la rue Cambon appellent d'ailleurs, en cas de risque, à mieux définir les indicateurs d'alerte et les mesures graduées à mettre en œuvre et à renforcer la coordination des dispositifs dans l'espace aérien européen.

De fait, le rapport estime que "la date du retour du trafic à son niveau de 2019 est incertaine. La reprise pourrait, en outre, ne pas être totale pour certains segments de clientèle comme les voyageurs d'affaires, compte tenu du fort développement du travail à distance."

L'hypothèse d'une reprise du trafic en "V" a laissé la place à une courbe en "U". Et ce chapitre prévient que "la crise perdure et la courbe du trafic sera peut-être en L", faisant référence à l'hypothèse la plus pessimiste d'Eurocontrol d'une récupération du trafic d'avant crise après 2027 (les autres scenarii tablant sur début et fin 2023).

Un niveau de dette problématique

Mais ce qui inquiète le plus la Cour des comptes, c'est la capacité des aéroports à rebondir. En dépit des mesures d'économie, elle note que les exploitants aéroportuaires ont dû recourir à l'emprunt pour absorber le choc de la crise, couvrir leurs dépenses mais aussi celles des missions régaliennes financées habituellement par le trafic.

Le niveau d'endettement des dix aéroports étudiés a ainsi atteint 5,5 milliards d'euros fin 2020, soit une hausse de 14 % en un an. Si ce montant est acceptable sur une année d'exploitation normale, il est beaucoup plus lourd dans cette période de résultats dégradés et "atteint désormais, pour beaucoup d'entre eux (les aéroports), un niveau problématique".

Un modèle économique trop dépendant de la croissance du trafic

Au-delà de ces problèmes conjoncturels, cette capacité à rebondir pourrait être mise à mal par des faiblesses structurelles jusque-là masquées dans le modèle économique des aéroports, "fondé sur la forte croissance du trafic et d'importants investissements", et le système de régulation. Le rapport met en cause la (trop) forte sensibilité de ce modèle à l'évolution des recettes, ne pouvant être pérenne en cas de baisse du trafic. Et il ajoute que celui pourrait être aussi profondément affecté par les évolutions sociétales avec le renforcement des contraintes environnementales.

La Cour des comptes pointe donc le débat nécessaire entre les aéroports et l'Etat sur deux points. Le premier concerne la demande de certains exploitants d'une compensation par la puissance publique des baisses de recettes, conformément au cahier des charges des concessions en raison "d'un bouleversement économique suite à un événement imprévu". S'ils obtiennent gain de cause, cela pourrait se traduire par un allongement de la durée de concession ou via des subventions. Cette dernière solution semble peu probable au vu du refus jusqu'ici de l'Etat d'accorder des aides pour financer les dépenses de sûreté et sécurité, se contentant de délivrer des avances.

Sans trafic, la sûreté est en faillite

Le deuxième point porte justement sur ces missions régaliennes. Elles sont aujourd'hui quasiment entièrement dépendantes du trafic car financées par le biais de la taxe d'aéroport "assise sur le nombre de passagers et le tonnage de fret transportés". Pour la Cour des comptes, la crise a donc exposé "la fragilité de ce dispositif" dont les recettes, de près de 1 milliard d'euros par an en temps normal, se sont effondrées avec le trafic.

Les Sages de la rue Cambon notent également que le choix de l'Etat d'accorder des avances plutôt que des subventions pour couvrir le financement de ces missions de sûreté-sécurité "reporte sur les futurs passagers la charge d'un service régalien". Ils jugent que cela "va peser sur la compétitivité des aéroports dans les prochaines années et paraît difficilement prorogeable sans nuire à leur capacité à aborder la reprise dans de bonnes conditions."

Pour l'instant, ces avances sont estimées à 700 millions d'euros pour 2020, 21 et 22, mais dans son interview à La Tribune, Thomas Juin évoquait près d'un milliard d'euros à rembourser avec les intérêts entre 2024 et 2030, en plus du retour à la normale des coûts. "La taxe additionnelle qui en résultera à compter de 2024, a été estimée par la DGAC à près de 0,80 euros par passager", avertit le rapport. Cela pourrait être davantage si le trafic reprend plus lentement que prévu.

La Cour des comptes estime donc que "l'État devra rester attentif aux effets de ce mécanisme et anticiper d'autres modalités à mettre en œuvre".

Mission impossible pour le régulateur

Dans ce contexte, la Rue Cambon soulève la difficulté croissante de la mission de l'Autorité de régulation des transports, déjà rendue complexe par les évolutions du secteur aérien avant crise. Elle déclare ainsi que l'impact financier de la crise rend impossible l'application des principes de régulation, à savoir la juste rémunération des capitaux investis par l'exploitant, le rapport entre le produit des redevances et le coût des services rendus, et la tenue des commissions consultatives économiques (CoCoEco). Seule la modération tarifaire semble encore théoriquement applicable, mais le rapport note les oppositions des exploitants aéroportuaires à ce concept jamais défini précisément.

Cette situation devrait donc conduire à remettre sur la table les réflexions autour de l'évolution du modèle aéroportuaire et de la régulation, préexistantes à la crise. Une demande qui a d'ailleurs déjà été formulée à plusieurs reprises par Thomas Juin, qui estime que les aéroports sont désormais des entreprises à part entière.

Le rapport rappelle ainsi l'existence d'une réflexion menée par la DGAC en 2019, et restée en suspens depuis, en vue d'une "réforme du modèle de régulation pour le rendre plus pragmatique et inciter les aéroports à davantage de performance".

Celle-ci prévoyait notamment de prendre en compte les apports du transport aérien à l'économie des commerces aéroportuaires, ce qui vient se heurter au principe de séparation comptable des activités aéronautiques et extra-aéronautiques, dit de "double caisse", voulu par certains aéroports et dénoncé par les compagnies aériennes. La réforme devait apporter en contrepartie de la visibilité aux aéroports dans leurs plans d'investissements.

Le gouvernement acquiesce, l'ART pose ses conditions

Sans formuler de recommandation formelle, la Cour des comptes semble ainsi appeler à la résurrection de ce plan. Elle semble d'ailleurs avoir été entendue par Jean Castex, le Premier ministre lui ayant répondu que "les réflexions lancées avant la crise sanitaire notamment sur les modalités d'encadrement et de régulation de la rémunération des exploitants constituent des chantiers à poursuivre."

Reste à savoir si cette déclaration peu contraignante satisfera les Sages, qui jugent que "pour accompagner (les aéroports) vers la reprise, l'État aurait intérêt à clarifier ses attentes et à mettre l'accent sur l'efficience de la gestion et la sobriété des investissements", quitte à prendre des décisions difficiles.

Pour sa part, l'ART semble valider, sur le principe, aussi bien la clarification du cadre de régulation avec la réforme initiée par la DGAC, que la demande d'efficience et de sobriété. Bernard Roman, son président, y pose néanmoins des conditions. Sur l'évolution de la régulation, il souhaite ainsi disposer d'un rôle consultatif dans la détermination du modèle de caisse des aéroports, arguant que celui-ci est "essentiel dans le calcul des redevances".

Le patron de l'ART verrait d'ailleurs d'un bon œil d'étendre ce droit de regard à tous les sujets ayant trait à la régulation. Il vise tout particulièrement "les investissements retenus dans les projections tarifaires des aéroports" afin de juger de leur niveau ou de leur opportunité. Le régulateur veillerait ainsi au respect de la demande d'efficience et de sobriété formulée par la Cour des comptes et disposerait, accessoirement, de pouvoirs accrus.

Léo Barnier

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Commentaires 4
à écrit le 17/02/2022 à 7:22
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le plus grave est que ce personnage quand il etais ministre se finances a eu le plus gros deficit et pour recompense il vu sa promotion a bruxelles ou la il fut l'artisan de penalise la france et une deuxieme recompense il est nomme a la cour des ...

à écrit le 16/02/2022 à 10:05
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C'est l'économie des winners mais des années 50 ! De ce fait la classe dirigeante contente de se déplacer au dessus des gens certainement, son complexe de supériorité qui détruit l'humanité, a imposé aux finances publiques de plébisciter ce moyen de ...

le 16/02/2022 à 11:55
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D'accord à 100% pour la dernière phrase.Et ces ignares de politiciens ( de gauche ou de droite) s'offusquent de la montée des extrèmes...

le 17/02/2022 à 9:26
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Oh ils ont pas l'air de s'en offusquer beaucoup tous hein.

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