Rachel Picard, la transfuge du rail

L’ancienne DG de Voyages SNCF revient dans le monde ferroviaire avec son propre projet de train à grande vitesse reliant les grandes villes de la façade atlantique à Paris.
Rachel Picard à Paris, le 6 juin 2024.
Rachel Picard à Paris, le 6 juin 2024. (Crédits : © LTD / ALBERT FACELLY POUR LA TRIBUNE DU DIMANCHE)

Rachel Picard est du genre méticuleux. Pendant quatre ans, la cheffe d'entreprise a écumé les trains de France et d'Europe pour en connaître les moindres détails. Chaque wagon, chaque siège, chaque tablette a fait l'objet de mesures compactées dans un fichier. Son travail de terrain a également servi à prendre le pouls des voyageurs français. Elle en a tiré un constat. « La demande explose, je n'ai jamais vu ça, observe la quinquagénaire. On est dans une situation incroyable où des passagers restent à quai. » Quand elle nous reçoit, vêtue d'une robe jaune pétard caractéristique du style Rachel Picard, la dirigeante ne fait pas de complexe.

« Je suis convaincue qu'on peut continuer à faire la promotion du train et qu'on peut aller chercher de nouveaux clients différemment », affirme-t-elle dans les luxueux locaux du fonds d'infrastructures qui l'accompagne dans ce projet concurrent de la SNCF. Elle nous tend un verre d'eau. Avant de s'apercevoir qu'il n'est pas tout à fait propre. Alors, elle s'empresse de le faire changer. « J'ai bossé dans l'hôtellerie, c'est hors de question ! » s'exclame-t-elle. Elle est décidément méticuleuse.

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« Madame Oui »

C'est surtout dans le secteur ferroviaire que Rachel Picard s'est distinguée. Entrée en 2004 à la SNCF, elle gagne rapidement du galon au sein de l'entreprise ferroviaire française et prend la tête de la plateforme de réservation Voyages-SNCF.com, désormais connue sous le nom de SNCF Connect. Très vite, elle collabore avec Guillaume Pepy, nommé président de la SNCF en 2008. L'ancien dirigeant la nomme successivement aux postes de directrice des gares, puis de Voyages SNCF. Rachel Picard devient alors la patronne des trains à grande vitesse de la compagnie française. « Elle a occupé les trois postes les plus stimulants de la SNCF », insiste Guillaume Pepy pour souligner sa connaissance du secteur.

Certains rappellent que c'est elle qui a amorcé la baisse du nombre de TGV lorsqu'elle était en poste

En seize ans passés dans la maison, Rachel Picard découvre les secrets du TGV à la française. Elle apprend aussi à comprendre les cheminots. « Ils ont le métier chevillé au corps, au cœur », loue-t-elle. Et tombe amoureuse du secteur. « Elle est extraordinairement exigeante, mais c'est une manageuse à 360 degrés, vante Guillaume Pepy. Elle est stratège, exploitante, communicante, c'est très rare. »

Au cours de son passage à la SNCF, un surnom surgit : « Madame Oui ». Référence aux marques qu'elle lance dans l'entreprise. Il y a d'abord le lancement de Ouigo, la marque low cost de la compagnie. Puis la transformation de Voyages-SNCF.com en Oui.sncf et le développement de TGV Inoui. « Rachel a été à l'origine de progrès considérables pendant dix ans », affirme Guillaume Pepy. En mars 2018, quand le PDG annonce qu'il ne sollicitera pas un nouveau mandat au sein de l'entreprise, plusieurs médias misent sur elle pour la succession de son mentor. Il n'en est rien, ce sera Jean-Pierre Farandou qui est nommé par l'Élysée à ce poste.

Objectif : 10 millions de billets par an

En 2020, le tandem quitte la présidence et la direction de la SNCF. Leurs chemins se séparent. Guillaume Pepy n'a depuis plus jamais rouvert un dossier ferroviaire. Devenue présidente du comité de direction de Criteo - une entreprise de marketing -, elle s'adonne à ses centres d'intérêt. La native de Lyon passe du temps dans les stations de ski alpin. Et se prend de passion pour la plongée sous-marine. « C'est une formidable manière de se ressourcer », dit-elle. Ces années qui la tiennent éloignée de la SNCF lui permettent de mûrir un plan dans l'ombre. Profitant de l'ouverture du rail à la concurrence, elle imagine un projet alternatif de train à grande vitesse avec son associé Tim Jackson. Son intention est claire : créer la première compagnie française indépendante avec des trains qui relient Bordeaux, Nantes, Rennes et Angers à la capitale. Le projet ambitionne de lancer 12 trains, élaborés par le constructeur français Alstom, sur le rail et vendre près de 10 millions de billets par an à l'horizon 2028. Proxima sert de prête-nom au projet, la marque étant encore tenue secrète.

J'ai quatre idées à la minute tous les matins en me levant

Rachel Picard

Dans le secteur, la concurrence est rude. L'opérateur Railcoop, qui ambitionnait de relancer des lignes abandonnées par la SNCF à bas prix, a annoncé sa liquidation il y a deux mois. Les opérateurs étrangers Renfe et Trenitalia s'implantent peu à peu. Pas de quoi effrayer Rachel Picard : « J'adore écrire de nouvelles pages. L'inconnu a toujours été un moteur pour moi. » La cheffe d'entreprise refuse de parler de revanche vis-à-vis de la « grande sœur », la SNCF. « Ce n'est pas de la langue de bois, affirme-t-elle. Notre véritable adversaire, c'est la voiture. » Pas question non plus de parler de concurrence. L'ancienne dirigeante considère que, avec la demande exponentielle de billets de train et la hausse de la conscience écologique, il y a de la place pour tout le monde sur le marché français.

Avant d'annoncer son projet, Rachel Picard a pris le soin de prévenir ses anciens camarades. En interne, certains détracteurs rigolent de la voir proposer de créer de nouvelles rames, et rappellent que c'est elle qui a amorcé la baisse du nombre de TGV lorsqu'elle était en poste. Questionnée aussi sur le créneau qu'elle choisira, elle botte en touche. Ni low cost ni haut de gamme, le train à grande vitesse façon Proxima trouvera sa place autrement. Mais il est encore trop tôt pour en parler. « Étape par étape », scande-t-elle. Après avoir assuré des financements pérennes pour sa nouvelle entreprise, Rachel Picard réfléchit déjà au design intérieur de ses trains. « J'ai quatre idées à la minute tous les matins en me levant », rigole-t-elle. La dernière ? Créer des cabines téléphoniques dans chaque wagon. « Le bruit est un sujet important pour les voyageurs. » Mais sa soif d'innovation passera après l'impératif de sécurité, incontournable dans un moyen de transport lancé à plus de 300 km/h.

Les chiffres clés du projet Proxima

12 Nombre de trains à grande vitesse qui doivent sortir des usines Alstom

2027 Date des premiers essais dynamiques

10 millions Quantité de billets que l'entreprise souhaite mettre à la vente chaque année

1 milliard d'euros Investissement débloqué pour la première phase du projet : achat et maintenance du matériel, coût de lancement

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Commentaires 2
à écrit le 09/06/2024 à 8:16
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Encore un TGV !? N'importe quoi... "Si vous ne trouvez plus rien cherchez autre chose" Brigitte Fontaine

le 09/06/2024 à 8:46
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