La contre-attaque du transport aérien se poursuit contre l'interdiction des liaisons aériennes domestiques en cas d'alternative de transport en moins de 2h30, édictée dans le cadre de la loi Climat et résilience. Le Syndicat des compagnies aériennes autonomes (Scara), qui regroupe une dizaine d'opérateurs français, a déposé plainte auprès de la Commission européenne début novembre. Cette action à Bruxelles fait suite à une première initiative portée par l'Union des aéroports français et la branche européenne du Conseil international des aéroports (ACI Europe) en octobre. Tous semblent ainsi bien décidé à faire tomber cet article 145 qu'ils jugent contraire au droit communautaire.
Jean-François Dominiak, président du Scara et directeur général d'ASL Airlines France, dénonce « une approche punitive et exagérée de ce qu'il faut faire en matière d'environnement ». Tout comme l'ACI Europe et l'UAF, la plainte du syndicat de compagnies aériennes dénonce une discrimination et une distorsion de concurrence par rapport autres modes de transports, en particulier le ferroviaire. Ce qu'il juge « contraire aux principes européens ».
Une mesure encore à justifier
Cette interdiction est normalement permise au titre de l'article 20 du règlement européen CE n° 1008-2008, « lorsqu'il existe des problèmes graves en matière d'environnement ». Comme le président de l'UAF Thomas Juin avant lui, Jean-François Dominiak dénonce l'absence d'étude d'impact suffisamment conséquente pour justifier ce recours à l'article 20. Il s'appuie pour cela sur un avis consultatif du Conseil d'Etat, faisant état « d'insuffisances notables de l'étude d'impact en ce qui concerne certaines mesures du projet de loi ».
De même, le patron du Scara explique que l'Etat français se doit de justifier ce recours à l'article 20 devant la Commission européenne mais aussi les Etats membres, qui pourront demander la suspension de ces mesures de restriction s'ils les jugent non conformes.
Un impact possiblement limité
Le Scara dénonce également une disproportion des mesures, « exagérément répressives » par rapport aux bénéfices attendus, d'autant que la loi Climat et résilience impose la compensation des émissions de CO2 des vols intérieurs métropolitains à hauteur de 50% en 2022 et 100% en 2024. Le syndicat juge ainsi que le bilan carbone de cette interdiction sera probablement nul, estimant qu'une partie des passagers se reportera sur la voiture.
De même, il souhaite que le bilan écologique de la construction de la ligne à grande vitesse (LGV) Paris-Bordeaux - principale ligne affectée par la mesure - soit pris en compte. Selon Jean-François Dominiak, celui-ci serait équivalent à 10 vols par jour pendant 25 ans, sans prendre en compte les autres impacts comme l'utilisation de pesticides pour désherber les voies.
Le président du Scara pointe enfin le fait que la mesure ne soit pas imitée dans le temps, ce qui est pourtant l'une des conditions de l'article 20. Il s'agit aussi pour lui d'un déni des efforts engagés par l'industrie du transport aérien pour diminuer son empreinte environnementale, en réduisant et en compensant ses émissions de CO2.
Le Scara n'est pas directement touché
L'engagement du Scara peut paraître étrange, étant donné qu'aucune des compagnies qu'il représente n'opère sur l'une des lignes concernées. Pour Jean-François Dominiak, il s'agit d'éviter un précédent. Il rappelle ainsi que la mesure avancée initialement par la Convention citoyenne pour le climat portait sur les liaisons disposant d'une alternative de transport jusqu'à quatre heures, et que l'association Greenpeace pousse pour favoriser le train jusqu'à six heures de trajet en Europe. Il affirme ainsi qu'il s'agit d'un « combat pour le transport domestique européen ».
Jean-François Dominiak semble confiant, affirmant que la procédure a suscité immédiatement l'intérêt des fonctionnaires européens. Ces derniers ont ainsi conduit un entretien avec le Scara dans les deux semaines qui ont suivies le dépôt de plainte. Il ne dispose pas encore de visibilité sur la suite des événements, ni le calendrier. La procédure devrait se dérouler en parallèle de celle de l'UAF et de l'ACI Europe.
La Fédération nationale de l'aviation et de ses métiers (Fnam), syndicat majoritaire pour les compagnies aériennes à travers la Chambre syndicale du transport aérien (CSTA), n'a pas pris part directement à cette action juridique jusqu'à présent (l'UAF est membre associé de la Fédération). Interrogée, la Fnam s'est néanmoins déclarée opposée à cette mesure, voulant encourager la complémentarité entre le train et l'avion mais laisser le choix au passager. Comprenant notamment Air France dans ses rangs, elle souhaite également que cette mesure n'affecte pas les vols en correspondance sur les hubs en France, ce qui n'est pas le cas jusqu'à présent.
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