Transmission d'entreprise : le pacte Dutreil est sauvé, pour combien de temps ?

Pierre angulaire fiscale de la transmission d'entreprises familiales, le Pacte Dutreil qui fête ses 20 ans a failli être supprimé dans la loi de finances pour 2024. Dans le cadre de la 3e édition du Family & Business Forum, organisée par La Tribune, qui s'est tenue le 5 décembre, les intervenants à la table ronde sur ce sujet ont déclaré en chœur vouloir préserver ce dispositif au nom de la défense de l'emploi, quitte à l'amender.
Pierre angulaire de la transmission d'entreprises familiales du fait d'une exonération fiscale, le dispositif a failli être supprimé au nom d'une gestion plus rigoureuse des finances publiques.
Pierre angulaire de la transmission d'entreprises familiales du fait d'une exonération fiscale, le dispositif a failli être supprimé au nom d'une gestion plus rigoureuse des finances publiques. (Crédits : La Tribune)

L'affaire a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Début octobre 2023, sur proposition de Daniel Labaronne, un député Renaissance, la commission des Finances de l'Assemblée nationale a voté la suppression, à horizon 2026, du pacte Dutreil. Depuis 2003, ce dispositif qui porte le nom du ministre des PME de Jacques Chirac, prévoit, sous certaines conditions, des exonérations fiscales à hauteur de 75% de la valeur des titres cédés lors d'une donation ou d'une succession, afin de préserver les entreprises familiales. Si l'élu d'Indre-et-Loire, économiste de formation, mettait en avant l'état des finances publiques et le lourd endettement de la France pour justifier l'élimination de ce qu'il considère comme des cadeaux fiscaux, d'autres parlementaires, ainsi que de nombreux dirigeants d'entreprises, se sont émus. Le pacte Dutreil est essentiel et a fait ses preuves. Il garantit non seulement la transmission mais aussi la pérennité de l'entreprise et des emplois, ont-ils argumenté.

Par ailleurs, le Conseil d'Etat avait rendu, à la fin septembre, un arrêt qui annulait la doctrine administrative excluant la location meublée des activités éligibles au pacte Dutreil. Une dérive par rapport à l'objet initial du pacte Dutreil, qui a renforcé les accusations d'optimisation fiscale dans l'utilisation de ce dispositif par des sociétés immobilières.

Clarifications

Depuis, les choses sont rentrées dans l'ordre. Le gouvernement, dans le cadre de l'examen du Projet de Loi de Finances pour 2024 a déposé, à la mi-octobre, un amendement qui précise et préserve le pacte Dutreil qui n'est donc pas menacé, pour l'instant tout au moins. Les conditions d'utilisation, elles, sont précisées : il est réservé aux sociétés exerçant principalement une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale (dites « opérationnelles »). En revanche, celles qui exercent une activité civile, notamment les sociétés patrimoniales gérant leur propre patrimoine financier ou mobilier, en sont exclues. Toutefois, cette exclusion ne s'applique pas aux sociétés opérationnelles ayant une activité civile de gestion de portefeuille ou d'actifs immobiliers.

Contrepartie

« Le pacte Dutreil fonctionne et l'essentiel des transmissions d'entreprises familiales s'effectue grâce à cela », souligne Jean-Godefroy Desmazières, directeur général du cabinet d'avocats d'affaires Fidal. Et « ce n'est pas un cadeau fiscal, renchérit Charles Robinet-Duffo, PDG de Henner, un groupe familial spécialisé dans la protection sociale collective depuis 1947. L'exonération vient, entre autres, en contrepartie d'un engagement de conservation des titres reçus pour une durée de six ans : pour le donateur pendant deux ans, puis par ses héritiers pendant quatre ans. »

Au-delà de vouloir la pérennisation du système - « sinon, les entreprises familiales seront toutes vendues ! », s'exclame-t-il -, Charles Robinet-Duffo propose de rendre les exonérations fiscales encore plus favorables, avec, en contrepartie, une conservation des titres reçus pour une durée plus longue. « Pourquoi pas dix ans ? », avance-t-il.

Partage de la valeur

Mais l'actuel engagement dans la durée n'est-il pas déjà de nature à geler le capital ? Christophe Deldycke, vice-président de France Invest, une association d'investisseurs, propose « d'œuvrer à la croissance des entreprises familiales en injectant des fonds extérieurs. » Si la France veut, comme elle en rêve depuis des années, ressembler à l'Allemagne en se dotant d'un Mittelstand, ces ETI qui font la richesse du tissu économique outre-Rhin, elle doit certes assurer la transmission des sociétés familiales, mais aussi leur développement. D'autant que les investissements nécessaires à leur transition numérique et écologique sont lourds. Or « il n'y a pas assez de dirigeants qui veulent faire grandir leur entreprise », tranche Christophe Deldycke.

Dans ces conditions, faut-il sanctuariser le dispositif Dutreil en l'état ou l'amender une fois de plus pour le rendre encore plus efficace ? Alors qu'au cours des vingt dernières années, le dispositif imaginé par Renaud Dutreil a été remanié, recentré, revisité à treize reprises, faut-il le faire encore évoluer, pour inclure, avec la notion de partage de la valeur, salariés et cadres de l'entreprise en tant qu'actionnaires, par exemple, d'autant que le pacte ne suppose pas de liens du sang ? C'est ce que préconise le vice-président de France Invest, tandis que le PDG de Henner voudrait, lui, faire évoluer les conditions d'éligibilité pour les étendre.

Toujours est-il que si le pacte Dutreil doit bien être préservé, puisque « les entreprises familiales créent de la richesse, insiste l'avocat Jean-Godefroy Desmazières, il est aussi important de le réévaluer périodiquement. » Une façon de le légitimer, dans une société qui s'inquiète de plus en plus des inégalités, de la reproduction sociale et de la captation de la richesse par certains.

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Commentaire 1
à écrit le 06/12/2023 à 17:29
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C'est ce type d'instrument qui permet à des milliardaires (typiquement Arnault) de faire (chaque Noël ?) des dons de plusieurs dizaines de millions d'euros, à leur progéniture, avec impôt minimum, au prétexte qu'ils sont (cette progéniture) dirigeant...

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