A Rennes, Fruggr aide les entreprises à combattre la pollution numérique

La pollution digitale des entreprises est en passe de devenir l’un des grands combats du XXIe siècle. En cause, les heures de travail passées devant l’écran, mais pas seulement. Les outils numériques sont eux aussi pointés du doigt. Pour lutter contre ce fléau écologique, la start-up rennaise Digital4Better a créé Fruggr, un logiciel qui analyse l’impact environnemental des activités digitales des entreprises. Objectif : diviser par deux leur empreinte carbone numérique. (Cet article est issu de T La Revue de La Tribune - N°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?", actuellement en kiosque)
(Crédits : Istock)

D'après l'Agence de la transition écologique (Ademe), le numérique représenterait aujourd'hui 3 à 4 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) dans le monde. Toujours selon l'Ademe, du fait de la forte augmentation des usages digitaux, cette part pourrait doubler d'ici à peine trois ans. Face à ces chiffres alarmants, pas moins de trois lois « anticarbone » visant les acteurs du numérique viennent d'être promulguées en France : la loi AGEC, dites « antigaspi », la loi climat et tout dernièrement, la loi REEN sur la réduction de l'empreinte du numérique. Encouragées par cette pression écolo-réglementaire, les entreprises se mobilisent pour modifier leurs pratiques.

Problème : les outils d'aide à l'évaluation et à la réduction de l'impact environnemental du numérique sont encore rares. « Des leviers pour agir, il y en a », affirme Frédérick Marchand, CEO et cofondateur de Digital4Better, la start-up à l'origine du logiciel Fruggr. Mais pour les mettre en place, « encore faut-il que les entreprises puissent mesurer leurs facteurs d'impact. Sans cela, il leur est tout simplement impossible d'améliorer efficacement l'empreinte des applicatifs IT. »

Tout est parti d'un constat de terrain pour Frédérick Marchand et ses associés, tous anciens cadres dans de grandes entreprises du numérique. Début 2020, quand ils lancent Digital4Better, start-up spécialisée dans la conception de plateformes numériques responsables, Frédérick Marchand, Jérôme Lucas, Stefan Cosquer et Ronan Robe se rendent vite compte qu'un outil primordial manque à leur arsenal. Pour matérialiser auprès de leurs clients l'empreinte positive de leurs travaux, il leur faut une solution logicielle capable de mesurer précisément les facteurs d'impact de leurs activités digitales. « Au départ, cet outil n'était destiné qu'à notre usage interne, se souvient le PDG. Mais quand nos clients l'ont vu fonctionner, beaucoup se sont montrés très intrigués. Et quelques-uns sont ensuite venus nous demander des licences afin de l'utiliser pour évaluer leurs applications préexistantes. »

Tout va alors très vite. Plusieurs clients testent l'outil pendant sa phase de pré-lancement, puis Fruggr sort en avril 2021. Adapté à l'usage des entreprises, le logiciel leur offre la possibilité d'analyser de manière automatique et récurrente (toutes les trois semaines) l'impact de leurs plateformes numériques internes et de leurs dispositifs web externes (e-commerce, site institutionnel...). Concrètement, l'outil collecte un inventaire de données qu'il interprète selon plus d'une centaine de critères s'appuyant sur divers acteurs et modèles de référence tels que l'Agence Internationale de l'Énergie, l'Agence européenne pour l'environnement ou encore Base Carbone®, la base de données de l'Ademe... Il délivre ensuite une cinquantaine de notes, portant, entre autres, sur les dépenses en électricité et en eau, les émissions de gaz à effet de serre, l'épuisement des ressources abiotiques (fossiles et minérales) ou encore les radiations ionisantes. Un module d'aide à la décision fournit ensuite des recommandations pour améliorer ces scores.

« S'ils suivent toutes nos recommandations, nos clients parviennent à baisser leur empreinte environnementale de 30 % », rapporte Frédérick Marchand. À terme, Fruggr ambitionne de pouvoir diviser par deux l'empreinte carbone numérique d'une entreprise. La promesse en a déjà séduit plus d'un ; l'outil est actuellement utilisé par quelques grands noms des secteurs de la banque, de l'assurance et de l'énergie, comme Enedis, CBP et la Banque populaire. Fait remarquable, le logiciel a également été choisi par l'Agence de la transition écologique pour mesurer son empreinte de ses systèmes informatiques.

Alléger les outils numériques pour allonger leur durée de vie

 « En dix ans, le poids moyen des pages est passé de 651 KB à 2173 KB, soit une augmentation de 233 %. On digitalise à tout va, sans se poser de question. Résultat : non seulement on consomme plus que nécessaire, mais la durée de vie des appareils est de plus en plus courte ». Ce sont les deux axes sur lesquels Fruggr permet d'intervenir, explique Frédérick Marchand. « Le logiciel permet d'alléger les outils, ce qui, à terme, permet de ne pas avoir à les remplacer aussi souvent. » Car, ce n'est pas tant l'utilisation des services Internet qui pèse lourd dans la balance environnementale. La pollution numérique provient pour les trois quarts de la fabrication de terminaux tels que les ordinateurs portables, les smartphones, les box Internet ou encore les écrans. Selon l'Ademe, ces appareils électriques à forte composante électronique mobilisent en moyenne 50 à 350 fois leur poids en matières premières, soit par exemple 800 kg pour un ordinateur portable. L'extraction, le transport et les procédés de raffinage de ces matériaux, dont une grande part de minerais et métaux (cobalt, cuivre, manganèse, graphite...), sont extrêmement gourmands en énergie, notamment fossile, et donc très polluants.

 Ce n'est pas le seul effet pervers du numérique. Digital4Better s'intéresse à une autre conséquence négative du digital : l'empreinte sociale. « Soyons transparents, 90 % de nos clients utilisent Fruggr pour l'analyse de leur impact environnemental. Mais il y a un autre intérêt à notre logiciel, un aspect qui nous tient très à cœur : l'accès de tous au digital. » Nous ne sommes pas tous égaux face au numérique. Les causes d'exclusion prennent diverses formes : illectronisme, handicaps moteurs, malvoyance, dyslexie, daltonisme... « Les plateformes sont rarement conçues de manière à prendre en compte toutes ces personnes. Fruggr permet d'identifier les facteurs de rupture et propose des solutions souvent assez simples à mettre en place. »

Une entreprise de l'ESS labellisée ESUS

 Pour donner corps à cet engagement, Digital4Better a choisi le cadre de l'économie sociale et solidaire (ESS). Car pour Frédérick Marchand « il n'y a pas assez de start-up de l'ESS. On a besoin d'acteurs ambitieux, dont le but n'est pas de combattre les grands groupes, mais de travailler avec eux ». Chez Digital4Better, le fonctionnement interne et les activités sont fondés sur un principe de solidarité et d'utilité sociale. 50 % des bénéfices sont reversés sur les fonds propres de l'entreprise. Quant à l'autre moitié, elle revient soit aux salariés, soit elle est utilisée à des fins sociales en lien avec la mission de l'entreprise. Une démarche qui a permis à Digital4Better d'obtenir l'agrément Entreprise Solidaire d'Utilité Sociale (ESUS). Entre autres conditions d'éligibilité, le statut implique de justifier d'une gouvernance démocratique et participative ou d'un écart de salaire maximum de dix entre le salaire conventionnel le plus bas, et la moyenne des cinq rémunérations les plus élevées.

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Article issu de T La Revue n°9 "Travailler, est-ce bien raisonnable?" - Actuellement en kiosque et disponible sur kiosque.latribune.fr/t-la-revue

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