Alimentation : les ONG plaident pour une stratégie européenne verte et sociale

L'Union européenne doit publier mercredi sa stratégie "de la fourche à la fourchette", censée dessiner la transition vers une alimentation plus durable. Préoccupées par les faiblesses du système alimentaire européen, mises à nu par la crise du Covid-19, les ONG espèrent qu'elle sera ambitieuse et à la hauteur des enjeux.
Giulietta Gamberini
Des mesures assurant que des options alimentaires saines et durables soient largement accessibles sont incontournables, selon les ONG.
Des mesures assurant que des options alimentaires saines et durables soient largement accessibles sont incontournables, selon les ONG. (Crédits : Reuters)

Après deux reports et beaucoup d'inquiétudes, le moment attendu par de nombreuses ONG semble enfin venu. Ce mercredi 20 mai, la Commission européenne s'apprête à publier sa stratégie dénommée "de la fourche à la fourchette": une feuille de route censée dessiner la transition de l'Union européenne vers une alimentation dans son ensemble plus durable. Composante du Pacte vert européen, elle devait être présentée, avec une stratégie complémentaire sur la biodiversité, dès la fin du mois de mars. La pandémie a retardé les travaux, et réveillé les organisations agricoles opposées au projet, qui ont demandé de la différer ultérieurement.

Bruxelles a fini par en reconnaître le caractère prioritaire. "Ce sera une proposition forte", a même promis le vice-commissaire Frans Timmermans début mai, en confirmant que la stratégie "de la fourche à la fourchette" sera adoptée par la Commission le 20 mai, en même temps que celle sur la "biodiversité". À la veille de sa publication, les ONG espèrent que le niveau d'ambition initial sera maintenu voire dépassé, et que les leçons de la crise liée au Covid-19 seront retenues.

Des faiblesses mises à nu par la crise du Covid-19

Selon le projet d'avant-crise, dans leur ensemble, les stratégies "de la fourche à la fourchette" et "biodiversité" devraient notamment renforcer les objectifs de réduction des pesticides chimiques, des engrais et des antibiotiques dans l'Union européenne. La presse avait également évoqué des mesures visant à réduire l'utilisation des anti-microbiens dans l'élevage, à augmenter les terres européennes consacrées à l'agriculture biologique, à lutter contre l'obésité, à limiter le gaspillage alimentaire, à garantir le bien-être animal, à accroître la production de protéines alternatives, à favoriser les circuits courts de distribution, etc. Les actions prévues pourraient impliquer de nouvelles propositions législatives (en matière d'étiquetage nutritionnel sur les emballages par exemple) voire la révision de législations déjà en vigueur (notamment en matière de pesticides), avait prévenu Bruxelles.

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Or, un tel changement de modèle se révèle d'autant plus nécessaire à l'aune de la pandémie, ont souligné lors d'une conférence de presse, le 8 mai dernier, plusieurs ONG préoccupées par les faiblesses du système alimentaire européen mises à nu par la crise du Covid-19. Célia Nyssens, chargée de mission "agriculture" au Bureau européen de l'environnement (BEE), met notamment l'accent sur "une agriculture trop spécialisée, des filières - surtout dans l'élevage - en situation de sur-production chronique, et une forte dépendance des matières premières comme de la force de travail étrangère".

Ces faiblesses contribuent d'ailleurs aux externalités négatives chroniques de la production alimentaire, déjà bien documentés: en France, le secteur agricole était responsable en 2018 de 19% des émissions de gaz à effet de serre du pays, dont 49% étaient dues à l'élevage. Elles aggravent aussi les effets du réchauffement climatique, qui menace aussi l'agriculture: outre-Alpes, selon la fédération professionnelle italienne Coldiretti, il a déjà coûté au secteur quelque 14 milliards d'euros en dix ans.

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La clé de voûte: l'agroécologie

L'enjeu de la stratégie doit ainsi être de "soutenir ce qui a été mis en place spontanément pendant la crise: des modèles de production davantage bénéfiques pour l'environnement, mais aussi pour le travail et la santé humaine", résume Célia Nyssens.

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Côté environnement, il s'agit notamment de miser "sur une production plus diversifiée et sur une alimentation davantage locale et nutritive", précise-t-elle. La clé de voûte est la construction d'"un nouveau récit basé sur l'agroécologie", estime notamment Eric Gall, directeur adjoint de la Fédération européenne des organisations promouvant l'agriculture biologique (IFOAM EU). À cette fin, il insiste sur la nécessité de former et d'accompagner les agriculteurs, pour "passer d'un système intensif en capital à un système intensif en connaissances". Des mesures assurant que des options alimentaires saines et durables soient largement accessibles sont également incontournables, souligne Célia Nyssens.

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Les travailleurs agricoles, maillon essentiel

Mais la stratégie européenne se doit également d'être socialement équitable, insistent les ONG.

"Pendant le confinement, on a découvert que les travailleurs agricoles, normalement considérés comme "jetables", sont essentiels. La crise a dévoilé leurs bas salaires, leurs conditions de travail déplorables, à l'origine de la dépendance du secteur agricole de la main-d'oeuvre étrangère et donc de pénuries quand les frontières sont fermées", note Enrico Somaglia, secrétaire général adjoint de la Fédération européenne des syndicats de l'alimentation, de l'agriculture et du tourisme (Effat).

Des problèmes qui devront être traités non seulement à court, mais aussi à moyen terme, en reconnaissant le rôle de ces travailleurs dans la transition alimentaire, selon Effat. L'ONG préconise ainsi que ces travailleurs bénéficient de formations, qu'ils soient mis au courant des pesticides avec lesquels ils entrent en contact, et que les consommateurs soient informés aussi des conditions sociales de production des aliments qu'ils achètent.

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Miser sur l'agroécologie, qui permet d'augmenter la part de valeur ajoutée retenue par les agriculteurs, et qui favorise l'emploi local, contribuera d'ailleurs aussi à cette justice sociale, note Célia Nyssens. Et c'est aussi le cas de "la mise en place de chaînes d'approvisionnement les plus courtes possibles, qui facilitent l'instauration à long terme de relations directes avec les fournisseurs", ainsi que de "la promotion de modèles économiques coopératifs, plus attentifs à une distribution équitable de la valeur ajoutée dans la production et la distribution", souligne Giulia Tarsitano, responsable politique alimentaire pour la Communauté européenne des coopératives de consommateurs (Euro Coop).

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La PAC, rendez-vous incontournable

Mais si l'adoption des stratégies "de la fourche à la fourchette" et "biodiversité" seront essentielles afin de dessiner la feuille de route alimentaire de l'UE, les ONG savent bien que leur application dépendra étroitement des contenus de la future politique agricole commune (PAC), en cours de négociations. C'est en effet dans ce cadre - qui réunit 40% du budget européen - que seront alloués les moyens financiers nécessaires à la transition.

Craignant que les propositions de réforme de la PAC aujourd'hui présentées par la Commission ne soient pas à la hauteur des objectifs environnementaux, l'EEB appelle ainsi le Parlement européen à en corriger les faiblesses. Effat propose que le respect de l'environnement, mais aussi du droit social et de la santé des travailleurs, figurent désormais parmi les conditions d'obtentions de subventions allouées aux agriculteurs -voire que ce respect soit inclus dans le droit de la concurrence européenne, afin d'éviter toute distorsion tirant la chaîne alimentaire vers le bas.

"Il faut également intégrer de nouveaux acteurs dans les discussions autour de la PAC", met en garde Célia Nyssens: "Ses enjeux vont désormais bien au-delà de la question agricole".

Giulietta Gamberini

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Commentaires 8
à écrit le 20/05/2020 à 11:15
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Rien ne sera crédible tant que son credo sera la compétitivité, le productivisme et la concurrence sans faire confiance dans les acteurs! Car ce sont eux qui ont généré l'initiative que l'administration bruxelloise a freiner jusque là et qu'elle récu...

à écrit le 20/05/2020 à 10:12
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Ce n'est pas avec des potagers bio plantés entre deux barres de béton dans les villes pour les bobos qu'on va nourrir 8 milliards d'être humains sur la planète. Il faut arrêter la fumette, produire mieux est souhaitable et possible mais tout est une ...

à écrit le 19/05/2020 à 19:54
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Le bio, le sain, le durable, couplé aux circuits courts a montré ses vertus, sa souplesse, ses produits de gde qualité avec la vente directe chez le producteur, au marché paysan local et même ds les gdes surfaces que l'on a encouragé à se fournir loc...

à écrit le 19/05/2020 à 17:30
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La transparence sur les modes de productions est nécessaire. Une fois ceci posé, et les choix donné avec sincérité au consommateur, que chacun prenne ses responsabilités. Personnellement, je ne souhaite pas manger du pain bio (je préfère des traces d...

à écrit le 19/05/2020 à 17:11
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Quand on nous prépare un avenir c'est pour nous imposer une façon de vivre bien rémunératrice pour une minorité!

à écrit le 19/05/2020 à 13:20
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Des carottes Portugal y a 1 mois chez Lec*, sans doute que les nôtres ne pouvaient être récoltées ni transportées. A moins qu'on n'en cultive plus (?). Y a pas eu une sorte d'organisation de l'UE où tel pays fournit tel produit, tel autre le lait, t...

à écrit le 19/05/2020 à 11:34
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Si c’est Bruxelles qui s'en mêle c'est mort, l'agro-industrie remportera la mise et nons continuerons à bouffer du cancer. Mais confier ce dossier capital à nos politiciens nationaux qui ne sont que des pions du consortium européen financier serait ...

le 19/05/2020 à 18:18
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@ multipseudos: "Le problème n'est absolument pas Bruxelles: c'est les français eux-memes. Manger local et de qualité, c'est nettement plus cher. " Encore une contradiction, cela ne dépend donc pas des gens, selon ta phrase, cela dépend des salai...

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