La Normandie crée son propre marché du carbone

L’initiative est inédite à cette échelle. Pour la première fois en France, une région va se doter d’une structure qui opérera sur le marché de la compensation volontaire des émissions de gaz à effet de serre (GES). Sa vocation : proposer aux entreprises et aux collectivités d’acquérir des crédits carbone auprès d’un fonds voué à financer des projets de décarbonation à leur porte plutôt qu’à l’autre bout de la planète. Objectif : créer une boucle locale vertueuse.
La Région Normandie pense avoir trouvé un levier pour « monétiser » les crédits carbone qui sommeillent.
La Région Normandie pense avoir trouvé un levier pour « monétiser » les crédits carbone qui sommeillent. (Crédits : DR)

En France, seule une trentaine d'entreprises, représentant 80% des émissions de CO2, sont assujetties au marché européen des quotas carbone censé permettre une réduction des émissions de l'industrie dans l'UE. Mais quid des milliers d'autres, responsables de 20% d'émissions ? Elles ne sont, pour l'instant, soumises à aucune obligation règlementaire si ce n'est de s'acquitter, comme chacun d'entre nous, de la désormais célèbre "taxe carbone" dont le montant est gelé depuis la crise des Gilets Jaunes.

Cela étant, un nombre croissant d'entre elles cherchent à infléchir les émissions de gaz à effet de serre (GES) par l'entremise du mécanisme de la compensation volontaire. Comme son nom l'indique, celui-ci consiste à financer un projet de réduction ou de séquestration des émissions de GES dont on n'est pas directement responsable pour compenser ses propres émissions dès lors qu'elles sont incompressibles.

Bien que l'Ademe fasse état d'un intérêt de plus en plus marqué pour ce mécanisme, rares sont les entreprises qui passent à l'acte. En cause, la complexité du système. Malgré les dizaines d'intermédiaires, y compris des banques, apparus sur ce marché depuis dix ans il reste difficile, pour qui ne maîtrise pas les codes, de trouver son chemin dans la jungle des offres et la diversité des démarches. Trop lointaines (participer à la plantation d'une forêt sous d'autres latitudes par exemple), trop peu transparentes ou trop "usines à gaz", elles dissuadent plus d'une PME de se jeter à l'eau et de valoriser ses crédits carbone. En témoigne le succès encore très relatif du label Bas Carbone initié par l'Etat.

La compensation en circuit court

La région Normandie pense avoir trouvé un levier pour « monétiser » ces crédits qui sommeillent, dans l'idée de massifier la décarbonation. Elle s'apprête à créer son propre organisme d'intermédiation sur le marché de la compensation carbone. Sorte d'agrégateur, celui-ci permettra à des entreprises ou à des collectivités d'acquérir des unités de compte carbone (entre 15 et 30 euros la tonne) à la hauteur de ce qu'elles souhaitent. Puis il ré-affectera les fonds collectés à des projets de réduction d'émissions. Signe particulier ? Cette entité juridique autonome opérera exclusivement à l'intérieur des frontières régionales. Une première en France à cette échelle.

« C'est une bonne  échelle qui permettra d'avoir suffisamment de projets de compensation entrants et de projets sortants. Mais aussi, et ce n'est pas un détail, d'acculturer les entreprises à ce mécanisme encore mal connu des PME et des ETI », argumente Alexandre Wahl, directeur de l'Agence de Développement Economique de la Normandie (ADN). L'Agence jouera, en quelque sorte, le rôle de facilitateur et d'apporteur d'affaires pour Normandie Carbone. « Nos équipes qui sont en contact quotidien avec les entreprises seront formées à la démarche. C'est ce qui fait toute la pertinence d'une approche régionale » souligne son patron.

Garde-fous anti greenwashing

Pour garantir la crédibilité du dispositif, en clair éviter qu'il ne soit perçu comme un alibi pour pollueurs, la Région prévoit de mettre en place une batterie de garde-fous. Objectif ? Se garder du green washing : un reproche régulièrement adressé à ce type de démarche. Pas toujours à tort, convenons-en. Ainsi, ne pourront être admises à compenser que les entreprises ayant effectué au préalable des efforts significatifs de réduction de leurs émissions de GES : éco-conception, réduction de la consommation de carburant, recyclage des emballages... etc. Lesquels efforts seront dûment attestés par un organisme certificateur.

Quant aux projets financés via Normandie Carbone, ils seront sélectionnés et certifiés par un comité scientifique indépendant à partir d'une méthode élaborée par la société de conseil EcoAct, entité du groupe Atos, connue pour son expertise dans la stratégie de réduction des émissions carbone. Concrètement, il incombera au dit comité de calculer le tonnage de CO2 évité, de valider les impacts et le caractère pérenne des projets. « Un registre assurera que les crédits ne sont pas comptabilisés deux fois », complète Alexandre Wahl.

Originalité : là où la compensation volontaire finance le plus souvent des programmes de séquestration (reforestation et méthanisation agricole notamment), le dispositif normand ciblera en priorité  la mobilité, l'efficacité énergétique et la décarbonation des process industriels. Autant d'enjeux considérés comme clés sur ce territoire où un salarié sur cinq gagne encore son pain en usine.

« Séduisant mais compliqué »

« Il s'agit, avec cette AOC Carbone de partager une identité commune en matière d'évitement d'émissions de GES », résume Hervé Morin, président de la Région. Reste à convaincre les entreprises et les collectivités d'adhérer à la démarche ce qui n'est pas gagné d'avance à écouter cet entrepreneur, président de la CPME de l'Eure. « Je trouve séduisante cette espèce de chaîne de solidarité régionale avec un trait d'union financier mais je n'arrive pas à voir la réalité concrète. Je suis prêt à jouer le jeu mais à ce stade, le système me semble un poil compliqué », commente Christian Marquis.

On le voit, le succès dépendra pour beaucoup de la robustesse du processus et du pouvoir de persuasion des futurs ambassadeurs de Normandie Carbone. Verdict à partir de mars prochain, date probable de sa mise en orbite.

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Commentaires 2
à écrit le 22/12/2021 à 8:21
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On se sent l'âme d'un trader de Shanghaï ou de Wall street en Normandie ? 😁

à écrit le 21/12/2021 à 18:02
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La fumeuse "taxe carbone" dont la France c'est fait arnaquée d'un milliard et l'Europe de 5 milliards . Un montage financier réservé pour que la bourgeoisie s'en mettent plein les poches avec l'argent des citoyens ,un système tellement simple pour f...

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