Changement climatique : 216 millions de personnes pourraient être obligées de quitter leur lieu d'habitation d'ici à 2050

A moins que des mesures drastiques ne soient prises pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, le changement climatique pourrait pousser plus de 200 millions de personnes à quitter leur foyer au cours des trois prochaines décennies, alerte la Banque mondiale dans une étude publiée le 13 septembre. Mais contrairement aux idées reçues, ces migrations seraient en grande majorité internes, c’est-à-dire d’une région à une autre dans un même pays. Et leurs conséquences peuvent encore être contenues, à condition de bien les anticiper, avance l'institution financière.
Marine Godelier
Sans surprise, ce sont les régions les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont sous la plus grande menace des effets du changement climatique, au risque d'anéantir les progrès en matière de développement qui avaient été réalisés ces dernières décennies, affirme la Banque mondiale.
Sans surprise, ce sont les régions les plus pauvres et les plus vulnérables qui sont sous la plus grande menace des effets du changement climatique, au risque d'anéantir les progrès en matière de développement qui avaient été réalisés ces dernières décennies, affirme la Banque mondiale. (Crédits : Reuters)

Parmi toutes les conséquences désastreuses du changement climatique, celui-ci pourrait être moteur d'un phénomène démographique inquiétant : la migration massive de centaines de milliers de personnes. Si la perspective n'est pas nouvelle, elle est souvent abordée sous le prisme des déplacements internationaux et de leurs répercussions sur les Etats d'accueil. Pourtant, elle concernerait en fait bien plus les flux infra-nationaux, c'est-à-dire entre régions d'un même pays. C'est en tout cas ce qu'affirme la Banque mondiale, qui alerte sur cette nouvelle « menace pour le développement » dans un rapport publié le 13 septembre.

« Sur quatre migrants dans le monde, trois sont en fait internes. Il est essentiel de comprendre ces dynamiques régionales, plutôt que de ne s'occuper que du franchissement de la Méditerranée », commente François Gémenne, chercheur spécialiste des questions de géopolitique de l'environnement .

Jusqu'à 216 millions d'individus pourraient ainsi se voir contraints de quitter leur lieu d'habitation d'ici à 2050 pour des raisons environnementales, forcés de se déplacer vers des terrains moins touchés par les désastres, pointe l'institution de Washington. Un chiffre qui tranche avec l'estimation publiée en 2018 par la Banque mondiale de 143 millions de déplacement dûs au changement climatique d'ici à 2050.

« S'il a été revu à la hausse, ce n'est pas parce que la situation a empiré, mais parce que le périmètre de l'étude a été élargi », explique François Gémenne. En effet, le premier rapport s'était focalisé sur trois régions du monde, l'Afrique subsaharienne, l'Asie du Sud et l'Amérique latine. Celui-ci le complète en intégrant trois autres zones dans le champ d'analyse : l'Asie de l'Est et le Pacifique, l'Afrique du Nord et la partie regroupant Europe de l'Est et Asie centrale. Le but : dépeindre « une estimation mondiale » pour les pays pauvres, selon Juergen Voegele, vice-président de la Banque mondiale chargé du développement durable.

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Une migration économique

Concrètement, le manque d'eau disponible poussera les populations des zones non côtières et de l'intérieur à partir, « ralentissant la croissance démographique dans les points chauds et migration climatique », expliquent les auteurs de l'étude. Sont notamment concernés la côte nord-est de la Tunisie, la côte algérienne, l'Ouest et le sud du Maroc, et les contreforts centraux de l'Atlas, déjà soumis à un stress hydrique. Mais le phénomène touchera aussi les zones littorales, confrontées à une élévation du niveau de la mer. En Égypte, ce sont ainsi les parties occidentale et orientale du delta du Nil qui pourraient devenir des lieux majeurs de départ des populations.

Ainsi, au global, à l'horizon 2050, l'Afrique subsaharienne pourrait enregistrer jusqu'à 86 million de migrants climatiques internes ;  l'Asie de l'Est et Pacifique, 49 millions ;  l'Asie du Sud, 40 millions ; l'Afrique du Nord, 19 millions ; l'Amérique latine, 17 millions ; et l'Europe de l'Est et Asie centrale, 5 millions. Et pour tous ceux-là, les motifs migratoires s'entremêlent et s'influencent mutuellement, fait valoir François Gémenne.

« En Afrique subsaharienne, un ménage sur deux dépend de l'agriculture de subsistance, qui est extraordinairement vulnérable aux pluies et aux températures. Avec le changement climatique, la perte de la récolte signifiera une perte de revenus pour les populations locales. Leur départ sera à la fois une migration environnementale, mais aussi économique - ce qui revient à la même chose pour les populations qui dépendent directement de ces ressources », développe le chercheur.

Stratégies d'adaptation

Seulement voilà : les régions d'accueil risquent d'être mal préparées au fait de recevoir de nombreux migrants supplémentaires. « Aujourd'hui, les programmes d'adaptation sont essentiellement centrés sur les régions d'origine des migrants, avec pour but d'empêcher les déplacements en amont, en permettant une vie sur place qui ne les rendra pas nécessaires », explique François Gemenne. Jusqu'à en oublier d'accompagner les régions de destination des migrants en cas d'échec de ces politiques. « La plupart ne disposent pas des moyens pour faire face à des afflux inévitables, aussi bien en termes d'infrastructures et d'emplois que de biens et services de base », regrette le chercheur.

Pour y remédier, il est certes nécessaire d'agir directement sur les émissions mondiales de gaz à effet de serre, puisque leur réduction immédiate et drastique pourrait « diminuer l'ampleur des migrations climatiques internes de 80 % » selon la Banque mondiale. Mais il faut aussi - et c'est tout le sens de son rapport - mettre en place des politiques d'adaptation dans les futures régions d'accueil.

« Toutes les migrations ne peuvent pas être évitées. [...] Mais si elles sont bien gérées, les changements dans la répartition de la population peuvent faire partie d'une stratégie d'adaptation efficace, permettant aux gens de sortir de la pauvreté et construire des moyens de subsistance résilients », affirme Juergen Voegele.

« Ce n'est pas un hasard si c'est la Banque centrale qui est à l'origine de ce rapport. Concrètement, elle envoie ainsi aux pays en développement un message clair : ils peuvent lui demander de l'argent pour financer des programmes d'adaptation dans des zones de destination des migrants », analyse François Gémenne. Une position à contre-courant du discours tenu par les Etats européens, estime le chercheur, ceux-ci tentant plutôt de « faire en sorte que les populations restent là où elles sont ».

Marine Godelier

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Commentaires 4
à écrit le 15/09/2021 à 12:33
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Non. 216 348 222 personnes. Je sais j'ai compté. En fait on en sait rien d'ici 30 ans, tant de choses vont se passer avec des risques de conflits beaucoup plus sanglants.

à écrit le 15/09/2021 à 10:02
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Si l'on prend des mesures drastiques, comme vous dites, c'est se mettre au niveau des 216 millions de personnes qui vont partir de chez eux et qui donc n'y on plus intérêt! Nous seront a la même enseigne!

à écrit le 15/09/2021 à 9:15
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En effet ya pas de si, les conséquences de la pollution humaine se feront ressentir de toutes façons puisque notre classe dirigeante savait depuis au moins 40 ans et n'a strictement rien fait ne faisant toujours rien d'ailleurs.

à écrit le 14/09/2021 à 19:35
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"A moins que ..." : Il n'y a pas de "A moins que", 216 millions de personnes seront obligées de quitter leur lieu d'habitation d'ici à 2050, c'est une certitude. Reste la question de savoir si l'Europe doit les accueillir ou non. Doit-on privilégier ...

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