Reporting de durabilité des entreprises : « Il est capital d'adopter le texte européen cette année » (Robert Ophèle)

ENTRETIEN. A quelles obligations les entreprises vont-elles devoir se plier pour établir leur rapport de durabilité ? Celles-ci se précisent, alors que la Commission européenne a rendu public son projet sur les normes générales qu'il faudra appliquer. Plusieurs modifications ont été apportées par rapport à la proposition émise initialement par l'EFRAG (Groupe consultatif européen sur l'information financière), qui ne sont pas sans conséquences pour les entreprises de toutes tailles. En attendant le texte final, Robert Ophèle, président de l'Autorité des Normes Comptables, décrypte les décisions de la Commission.
Robert Ophèle, président de l'Autorité des Normes Comptables.
Robert Ophèle, président de l'Autorité des Normes Comptables. (Crédits : Banque de France)

LA TRIBUNE - En quoi le texte qui vient d'être publié par la Commission européenne et soumis à consultation publique est-il important pour les entreprises ?

ROBERT OPHÈLE - Le contenu des rapports de durabilité que devront progressivement réaliser chaque année quelque 8.000 « grandes » entreprises françaises et 50.000 entreprises de l'Union est en train d'être précisé par un règlement de la Commission européenne, règlement pris en application de la directive dite CSRD. Concrètement, l'EFRAG a proposé la mise en place de 12 normes générales qui concerneront toutes les entreprises soumises à CSRD, elles représentent environ 1.200  informations quantitatives et qualitatives à fournir par l'entreprise. Ce projet a été retravaillé par la Commission, qui vient de mettre son texte en consultation publique, et devrait publier un texte final dans les prochains jours. Le moment est donc important pour les entreprises, car cela signifie qu'à partir du mois de septembre, elles pourront commencer à travailler sur leur rapport de durabilité, certaines ayant pour obligation d'en produire un dès l'exercice 2024.

Certains se sont inquiétés de l'ampleur du travail à fournir pour répondre aux 12 normes proposées par l'EFRAG. La Commission a-t-elle apporté des changements significatifs au projet présenté par ce dernier ?

La Commission a en effet réalisé deux changements majeurs : elle introduit une plus grande progressivité dans le calendrier d'application, ainsi qu'un principe de matérialité. La progressivité permet un report d'un à deux ans pour les entreprises de moins de 750 salariés, grâce à ce nouveau seuil de taille instauré par la Commission. Rappelons qu'à terme, toutes les sociétés de plus de 250 salariés, cotées ou non, devront produire un rapport de durabilité, soit environ 50.000 en Europe. Les sociétés européennes qui comptent entre 250 et 750 salariés ne sont pas moins de 30.000, et cela leur offre donc un temps de préparation plus long.

La notion de matérialité consiste à dire qu'une entreprise a la possibilité de ne pas fournir certaines informations dans son reporting, si elle peut démontrer après analyse que ce champ ne la concerne pas. Ce principe de matérialité n'est pas discrétionnaire et sera vérifié par un auditeur externe.

Quel regard portez-vous sur ces deux modifications ? Elles font l'objet de certaines critiques...

Certains acteurs trouvent en effet que les normes restent trop contraignantes, tandis que d'autres critiquent ce qu'ils voient comme un recul, c'est par exemple le cas de certaines ONG ou d'acteurs financiers qui préfèreraient disposer des mêmes informations pour toutes les entreprises. De notre côté, à l'Autorité des Normes comptables, nous sommes favorables à ces deux initiatives. Remplir des cases qui ne les concernent pas n'apporte rien aux entreprises. Néanmoins, nous souhaiterions qu'un certain nombre d'indicateurs relatifs au climat, s'ils sont déclarés comme non matériels, fassent l'objet d'une explication dans le rapport de durabilité, et non simplement auprès de l'auditeur externe. Quant au principe de progressivité, il conduira le processus de reporting de durabilité à être totalement achevé d'ici la fin de la décennie, ce qui nous semble raisonnable pour un chantier de cette ampleur.

Vous l'avez dit, le principe de matérialité ne sera pas discrétionnaire : à quel point ces rapports de durabilité engagent l'entreprise ?

Ces rapports seront audités par des tiers de confiance externes. Dans un premier temps, ils devront donner une assurance limitée sur la qualité du reporting, avant d'aboutir à une assurance raisonnable d'ici 2028/2029, c'est-à-dire un niveau d'assurance équivalent à ce qui est attendu aujourd'hui sur les données financières. Ce sera donc véritablement engageant. Évidemment, la question de l'uniformité de ces audits à travers l'Union européenne se pose, d'autant qu'en attendant une norme européenne d'ici deux ans, des normes nationales sont utilisées. Il ne faudrait pas créer des pratiques inégales entre les pays. Le H3C, qui supervise les commissaires aux comptes en France et, demain, les auditeurs en durabilité, vient de publier un avis technique sur ce qui est attendu en matière de responsabilité limitée. Là encore, tout est fait pour que les entreprises puissent commencer à travailler dès septembre. Il faut également que les sociétés prennent conscience que ces audits de durabilité auront un coût élevé, notamment la première année.

Les conditions vous semblent-elles réunies pour avoir un texte clair et engageant en matière de reporting de durabilité ?

C'est le moment de vérité ! L'Union européenne doit s'embarquer effectivement dans ce processus ; procrastiner serait catastrophique. Il est capital que ce texte structurant soit adopté cette année, avant la coupure liée aux élections européennes. Un accord contre nature entre les partisans d'un texte moins contraignant et ceux qui veulent des conditions plus engageantes pourrait créer un blocage. Ce texte nous parait pourtant indispensable, tant pour encourager les entreprises à faire évoluer leurs pratiques que pour flécher les investissements, les allocations, les aides publiques, en direction des entreprises qui participent à la transition.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 1
à écrit le 25/07/2023 à 16:15
Signaler
Arrêtez de parler universel quand le problème est local a moins de vouloir construire un empire commercial avec l'actionnariat collaborateur!

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.