Sept ans après le Rana Plaza, les salariés du textile lâchés face au Covid-19

À cause de la baisse des ventes liées à l'épidémie, plusieurs grandes marques de vêtements refusent de payer leurs fabricants asiatiques, tant pour les matières premières déjà commandées que pour les articles déjà confectionnés. Des millions d'employés et d'employées de la "fast fashion" se retrouvent sans revenus.
Giulietta Gamberini
Les ONG appellent les grands groupes de la mode à respecter leurs obligations en matière de droits humains.
Les ONG appellent les grands groupes de la mode à respecter leurs obligations en matière de droits humains. (Crédits : Reuters)

Le 24 avril 2013, au Bangladesh, la tragédie du Rana Plaza faisait prendre conscience à la planète entière des abus de la "fast fashion". Près de la capitale du pays, Dacca, l'effondrement d'un immeuble en mauvaises conditions tuait plus de 1.100 ouvriers, qui produisaient des articles de mode pour des marques internationales. Sept ans plus tard, une nouvelle catastrophe s'abat sur les salariés de l'industrie textile en Asie. Et les abus de nombreuses multinationales en sont encore une fois la cause, dénoncent des défenseurs des droits humains.

Confrontées à une baisse de leurs ventes à cause de la crise sanitaire du coronavirus, plusieurs entreprises de distribution de vêtements ont en effet non seulement suspendu du jour au lendemain leurs commandes auprès de leurs fabricants asiatiques. Souvent, elles refusent aussi de payer pour les matières premières déjà commandées, voire pour les articles déjà confectionnés, alerte notamment Human Rights Watch (HRW). "Beaucoup font un usage douteux des clauses générales de force majeure pour justifier leurs violations des termes du contrat", précise dans une enquête menée au Bangladesh le Workers Rights Consortium (WRC) de la Penn State University.

2, 27 millions de salariés affectés au Bangladesh

Ainsi, au Bangladesh, 3,17 milliards de dollars de commandes destinées à l'exportation ont été suspendues ou annulées à cause du Covid-19, calcule la BGMEA, l'association des fabricants et exportateurs de vêtements du pays. 1.145 usines sont affectées. À court de trésorerie, frappées par les conséquences du confinement, elles se retrouvent dans l'impossibilité de rémunérer leurs salariés. 2,27 millions d'employés du secteur textile - sur un total de 4 millions - sont concernés.

Au Cambodge - où l'industrie textile emploie plus de 800.000 personnes sur 16 millions d'habitants, et représente 80% des exportations du pays - une centaine d'entreprises du textile ont déjà arrêté leurs activités, bien que travailler soit toujours autorisé. Plusieurs autres centaines pourraient être contraintes à faire de même avant la fin du mois, rapporte le journal américain Los Angeles Times. Dans le district de Tiruppur, en Inde, quelque 10.000 usines textiles peinent à continuer de payer leurs employé.e.s, selon The New Indian Express. La Birmanie, le Pakistan, les Philippines, le Sri Lanka, sont quelques-uns des autres pays où les fabricants de vêtements se retrouvent confrontés aux mêmes difficultés - auxquelles s'ajoutent parfois celles liées au confinement.

Des marques reculent, d'autres assument

Si certains de ces pays ont pris des mesures ou prévu des aides afin de soutenir les entreprises et/ou les particuliers, elles restent largement insuffisantes pour compenser les pertes de revenus. Les pratiques plus ou moins légales des grands groupes occidentaux viennent donc exacerber les effets de la crise liée au coronavirus sur des millions de travailleurs - en majorité des travailleuses -, déjà souvent très pauvres, dépourvus de toute forme de protection sociale, parfois même de contrats de travail écrits, et pourtant responsables de la survie de plusieurs membres de leurs familles, s'inquiètent les experts du secteur. Sans compter la détresse particulière des employés migrants, qui se retrouvent sans revenus et confinés dans des pays étrangers.

Certes, pointées du doigt, quelques marques se sont empressées de répondre. C'est le cas de H&M, Next, Marks & Spencer, Tesco, Zara, qui se sont engagées à payer les factures pour les commandes passées à leurs fournisseurs au Bangladesh. D'autres assument. Cité par le Los Angeles Times, Gap Inc., propriétaire de Banana Republic et de Old Navy, affirme ainsi devoir prendre des "mesures proactives et prudentes" afin de pouvoir "continuer de passer des commandes auprès de ses fournisseurs" après la pandémie.

Cité par The Guardian, Primark a également déclaré n'avoir "pas d'autre choix" que d'annuler les commandes passées auprès de ses fournisseurs, en évoquant "une action sans précédent pour des temps sans précédent et franchement inimaginables".

La chaîne irlandaise a ensuite annoncé la création d'un fonds visant à indemniser les pertes de salaire dues aux annulations de ses commandes déjà en cours. Mais cette décision est considérée comme insuffisante par de nombreux acteurs, puisque Primark veut ajuster la compensation en fonction du soutien public alloué aux salariés. Selon Clean Clothes Campaign, le 9 avril, plusieurs autres marques telles que C&A et Uniqlo maintenaient "leur décision de ne pas payer pour des commandes déjà en cours ou terminées".

Un déséquilibre endémique

Plutôt que le résultat d'une situation exceptionnelle, d'ailleurs, selon les ONG, ces pratiques sont la manifestation d'un déséquilibre endémique. Les grandes marques connaissent la précarité des salarié.e.s des pays où elles sous-traitent la fabrication de leurs vêtements, souligne Aruna Kashyap, avocate et conseillère juridique pour HRW. Pourtant, selon le WRC, face à la crise du Covid-19, quasiment aucun des fabricants du Bangladesh ne s'est vu offrir de l'aide financière pour payer les frais de mise en congé ou les indemnités de licenciement.

Bien avant cette crise, en outre, très peu de ces marques acceptaient d'assumer "un quelconque risque commercial lors de la commande", selon HRW. En profitant de leur position dominante - et à la différence de marques plus petites -, elles "imposaient généralement tous les termes et conditions de paiement sans marge de négociation", "n'effectuaient pas de paiements anticipés et avaient des délais de paiement plus longs après l'expédition des marchandises", témoigne notamment l'ancien directeur d'une usine cambodgienne, cité par l'ONG.

À cela s'ajoutent des formes de pression sur les prix et les délais de livraison, documentées dans un rapport de l'ONG de 2019, qui tirent vers le bas les salaires et la protection sociale des salariés. Le déséquilibre économique retient d'ailleurs les fabricants comme les employés de faire valoir leurs droits, afin de préserver de bonnes relations avec les employeurs et les clients.

Un appel au respect du devoir de vigilance

Human Rights Watch appelle alors les multinationales à respecter leurs responsabilités en matière de droits humains, décrites notamment dans les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme, ainsi que dans le Guide OCDE sur le devoir de diligence applicable aux chaînes d'approvisionnement responsables dans le secteur de l'habillement et de la chaussure. L'ONG invite également "les bailleurs de fonds et les institutions financières internationales" à élaborer et mettre en oeuvre des "plans visant à atténuer immédiatement la détresse économique et sociale des travailleuses licenciées", ainsi que des "mesures à plus long terme pour leur fournir une protection sociale".

"Les gouvernements des pays producteurs de vêtements doivent immédiatement s'engager à établir et à améliorer les régimes nationaux de sécurité sociale pour les rendre conformes aux normes de l'OIT, notamment en matière de chômage, d'accident du travail et d'assurance maladie. Cela devrait être fait en coopération avec les fabricants et avec la contribution des marques par le biais de mécanismes de partage des coûts transparents et traçables", ajoute Clean Clothes Campaign.

Une relance respectueuse des droits humains

Le réseau suggère à ces mêmes gouvernements de saisir l'occasion de cette crise pour réformer leur droit commercial, "obliger légalement les entreprises à respecter les droits humains dans leurs opérations et chaînes d'approvisionnement", et les poursuivre "si elles ne font pas preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l'homme".

Toutes les ONG soulignent enfin la nécessité de veiller à ce que, lorsque le travail reprend ou continue, les salariés bénéficient d'une protection sanitaire adéquate : que ce soit pour produire masques, gants, blouses sanitaires ou de vêtements de prêt-à-porter. Et une idée de construire un meilleur "monde d'après", y compris dans la fast fashion, se fraie un chemin. Les fonds publics alloués dans le cadre des plans de sauvetage de l'économie face à la pandémie devraient prévoir des conditions de respect non seulement de l'environnement, mais aussi des droits de l'homme, propose la European Coalition for Corporate Justice.

Giulietta Gamberini

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Commentaires 9
à écrit le 26/04/2020 à 18:30
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Il y en a marre de ces crèves la faim de pays sous développés... Ils n'ont pas de boulot, ils se plaignent... On leur donne du boulot, ils se plaignent encore... On les laisse tranquilles, ils se plaignent toujours... Mais qu'il se débrouillent donc ...

à écrit le 24/04/2020 à 17:45
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Lisons et relisons le livre de Jean Raspail " Le camp des saints" (1973)..

à écrit le 24/04/2020 à 12:14
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Est-ce que c'est que cette écriture monstrueuse ? C'est insupportable !

à écrit le 24/04/2020 à 10:11
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cette.CE ecriture.-E c'est tres penible c'est bien de nous parler des coutieries.RIERS pakistanaises.NAIS et de leur pauvrete.-E, mais on ne voit pas en quoi le feminisme.homminisme a quelque chose.-E a voir la dedans ( avec un -E exclusif pour mas...

le 24/04/2020 à 10:26
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Entièrement d'accord! Que les medias cessent de supporter une réforme dont personne ne veut, qui est insupportable au quotidien et qui n'aura aucune conséquence sur la véritable problématique des relations hommes-femmes. Mais un peu de bon sens que ...

le 24/04/2020 à 10:40
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100 % d'accord avec churchill et DD. Cette écriture, délire de quelques hors sol, est extrêmement désagréable et pénible à lire. Elle n'apporte rien à qui que ce soit, et les media ne devaient pas l'utiliser

le 26/04/2020 à 11:02
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Cette reforme de l'ecriture est effectivement particulièrement pénible et dessert la cause qu'elle est sensé défendre. S'il faut faire une réforme alors faisons comme en anglais : supprimons le genre des noms communs. Cela simplifiera la langue fran...

à écrit le 24/04/2020 à 8:57
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Mourir pour une illusoire prospérité, il vaudrait peut-être mieux que les bangladais retournent dans les champs que la montée des océans réduit peu à peu, la mondialisation s'est fondée sur la maladive cupidité des dragons célestes de ce monde généra...

le 24/04/2020 à 16:01
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Désolé, vous avez comparez ces deux vies de misére pour être aussi affirmatif? J'aimerais que l'on sorte les pays du tiers monde de leur misére. Cependant cela semble compliqué et la recette magique n'a pas été inventée. Alors je ne vais pas me pl...

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