Automobile : le haut de gamme français est-il un pari impossible ?

Après la Citroën DS Numéro 9, Renault dévoile l'Alpine A 110-50. Ce ne sont, pour l'instant que des concepts de salon. Mais l'industrie tricolore annonce qu'elle veut réattaquer le haut du marché automobile. Une rude gageure, après tant d'échecs.
De gauche à droite : le prototype de la DS Numéro 9 de Citroën, qui préfigure une future limousine de série - Le prototype de l'Alpine A 110-50, héritière de la légendaire berlinette Renault Alpine / DR

Alpine, Initiale Paris, DS Numéro 9 ? Les noms évocateurs ne manquent pas pour recréer un haut de gamme automobile français. Éternel fantasme ! Parfums, mode, maroquinerie, vins, alcools, partout dans le monde, la France est synonyme de luxe et d'art de vivre. Sauf... pour les voitures. Rien n'y fait. Pourtant, les constructeurs tricolores ne déclarent pas forfait. Renault vient de dévoiler la Renault Alpine A 110-50, un véhicule de salon arborant une superbe carrosserie en carbone, agressive à souhait. La GT française dispose d'un moteur V6 3,5 litres en position centrale arrière, qui développe la bagatelle de 400 chevaux, digne d'une Porsche ! Renault l'a puisé chez l'allié nippon Nissan. Officiellement, il s'agit d'un exercice de style. Il n'empêche. La décision concernant une relance de la marque sportive Alpine sera prise « avant la fin de l'année », avec un objectif de commercialisation d'ici « trois à cinq ans », a annoncé Carlos Tavares, DG délégué de Renault, à la veille du Grand Prix de Monaco.
La firme au losange souhaite relancer un nom, qui eut son heure de gloire en remportant le Championnat du monde des rallyes au début des années 1970 avec la célèbre berlinette, mais qui fut sacrifié deux décennies plus tard. Passionné d'automobile, Carlos Tavares voudrait faire de l'Alpine un label sportif à part entière. Et ce n'est pas fini. Le DG a un deuxième projet en tête pour vendre des voitures plus chères et prestigieuses : créer une vraie marque... de luxe, baptisée « Initiale Paris ». Un nom qui existe déjà, mais dans la plus grande discrétion. Il se borne à désigner aujourd'hui les versions les plus équipées de certaines Renault de grande série (Twingo, Clio, Latitude).

La perte de légitimité des constructeurs français

Renault a promis de remplacer son Espace vieillissant et feu la limousine Vel Satis, à l'horizon 2014-2016, sur une plateforme de l'Alliance Renault Nissan. Cette dernière sera-t-elle commercialisée sous le label Initiale Paris ? Ou bien Renault attendra-t-il un modèle encore plus luxueux, déjà prévu au programme, pour lequel l'Allemand Mercedes fournira sa plateforme, dans le cadre des accords passés en mars 2010 ? Ce modèle devrait arriver entre 2014 et 2016. Renault ne pourrait développer seul une telle plateforme. En effet, il peut à peine tabler sur quelques milliers d'exemplaires annuels. Trop peu...
Côté PSA, Citroën veut muscler sa gamme « distinctive » DS, avec un vrai navire amiral de haut de gamme. Il a ainsi dévoilé au salon de Pékin, en avril dernier, un prototype de salon, la DS Numéro 9, qui préfigure ce futur véhicule haut de gamme made in China, qui devrait être réexporté vers l'Europe, notamment la France. Même chose pour un 4 x 4 DS.
En attendant, le haut de gamme français est aujourd'hui réduit à sa plus simple expression, avec la limousine Citroën C6, lancée fin 2005 et assemblée au compte-gouttes dans l'usine de Rennes (moins de 1?000 exemplaires par an). La grande Peugeot 607 n'a pas eu de remplaçante. La Renault Vel Satis non plus à ce jour, si l'on excepte la fantomatique Renault Latitude, une simple Laguna rallongée et fabriquée en Corée.
Le problème pour les constructeurs tricolores, c'est qu'ils ne sont plus légitimes dans le haut de gamme depuis longtemps. Il faut remonter à la Renault R25 des années 1980 pour retrouver des modèles de cette catégorie à succès. Et encore, dans l'Hexagone uniquement ! La R25 (1983-1992) s'est vendue à 135 000 unités dans sa meilleure année (1985), sa remplaçante, la Safrane (1990-1999), à 65 000 (1993), la Vel Satis (2001-2009) à... 20 700 (2002) seulement. Renault a écoulé 780 000 R25 au total, mais à peine 62 200 Vel Satis. Ces chiffres illustrent la dégringolade du haut de gamme français.
Plusieurs raisons expliquent cette chute. Tout d'abord, les pouvoirs publics ont une part importante de responsabilité, avec le matraquage fiscal historique des fortes cylindrées. N'oublions pas le seuil des 8 chevaux fiscaux à partir duquel la vignette doublait, pénalisant les simples berlines familiales. Mais aussi, pendant des décennies, la super vignette frappant les véhicules de plus de 16 chevaux, dont le lointain avatar est de nos jours un malus prétendument écologique et une taxe sur les véhicules de société dissuasifs. La lourde fiscalité sur les carburants, tout comme la limitation de vitesse généralisée, a aussi entravé le haut de gamme. Et ce, alors que la politique menée par les gouvernements allemands successifs a, au contraire, favorisé les Mercedes, BMW, Audi. Il ne faut du coup pas s'étonner que les constructeurs tricolores se soient, logiquement, spécialisés dans les petites voitures ! Le segment « H » (haut de gamme) représente en effet 5 % à peine du marché auto français actuellement, contre 12 % en moyenne en Europe occidentale.

Fortes marges, en principe

Le hic, c'est que le haut de gamme génère en principe... les meilleures marges. Ces véhicules à prix élevés sont, en outre, évidemment, moins sensibles à des coûts de production élevés, le client acceptant de payer le prix. Ce n'est pas pour rien que la marge opérationnelle de Porsche s'affiche à 17,5 % (au premier trimestre 2012), celle de BMW à 11,6 %. Renault n'en était qu'à 2,6 %, PSA à -0,2 % (division automobile), en 2011. Mais, dans le haut de gamme, encore faut-il des volumes conséquents ! Sinon, impossible de rentabiliser l'investissement ! Renault est tellement en échec aujourd'hui dans les gammes moyennes supérieures et hautes (Laguna, Espace, Latitude), qu'il perd même de l'argent sur ce créneau ! En France, sur un segment H réduit, les groupes tricolores ne sont d'ailleurs parvenus à écouler que 250 Citroën C6 et 650 Renault Latitude (sur cinq mois 2012), alors que BMW immatriculait 2 000 Série 5 et Mercedes 2 200 Classe E. À force de ne pas investir, les Français se retrouvent bien démunis dans le haut de gamme, même sur leur propre marché. Le manque de fiabilité des produits (Vel Satis) laisse en outre des séquelles dans les esprits.

Le haut de gamme reste (aussi) lié à la taille

Les Français ont-ils la capacité de rebondir ? Le groupe Renault peut puiser dans l'arsenal technologique bien fourni de ses alliés Nissan et Mercedes. Déjà ça. PSA est plus limité avec Opel (GM), qui a déserté le haut de gamme il y a plusieurs années ! Certes, PSA développe avec BMW ses futurs systèmes hybrides, indispensables sur les gros véhicules pour réduire les consommations à l'avenir. Mais la coopération avec le bavarois ne s'étend pas aux gros moteurs.
Certes, PSA explique que le luxe automobile, ce n'est plus forcément de longues limousines, mais des véhicules petits et compacts genre DS3 et DS4. Bof, l'acception apparaît un peu spécieuse ! Audi ne doit sa notoriété intercontinentale qu'à ses « grosses » A6, A7, A8, Q7... qui lui permettent aussi d'écouler des A1 ou A3 ! Idem pour BMW ou Mercedes. Pour un Chinois, un Américain, un Russe, mais aussi un Allemand, le haut de gamme reste lié à la taille (sauf pour les modèles sportifs), la puissance et l'onctuosité des moteurs, le niveau technologique et la qualité de la finition. C'est d'ailleurs pour cela que PSA veut finalement lancer une DS9... Quoi qu'il en soit, avec un tel passif historique, le pari sera difficile à gagner pour les Français.

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