La crise financière bouleverse les méthodes d'évaluation des entreprises

Par Pierre Astolfi, associé chez Ricol, Lasteyrie et Associés.

La crise financière actuelle a ébranlé bon nombre de certitudes, au nombre desquelles celle consistant à considérer que la valeur d'une société (hors banques et assurances) est correctement appréhendée par les méthodes classiques d'évaluation. Rappelons que les méthodes d'évaluation sont, habituellement, classées en deux catégories : les méthodes analogiques, d'une part, et les méthodes intrinsèques, d'autre part. Or, le contexte actuel doit nous conduire à nous interroger sur la pertinence de ces deux grandes familles.

Les méthodes analogiques, et notamment celles fondées sur les comparables boursiers, sont au c?ur de l'un des fondements essentiels de la théorie financière moderne : l'efficience des marchés qui doit en effet permettre d'assurer la validité des modèles d'évaluation. Cependant, alors que cette approche avait résisté à "l'exubérance irrationnelle" des marchés (décrite en 1996 par Alan Greenspan), saura-t-elle se reconstruire alors que ceux-ci semblent actuellement souffrir davantage de folie que d'irrationalité ? En effet, le contexte de marché actuel se traduit notamment par une volatilité des cours de bourse très supérieure à celle à laquelle les évaluateurs étaient habitués. Cette volatilité affecte la pertinence des méthodes analogiques, un cours coté pouvant enregistrer des variations quotidiennes de 10% voire 15%.

Tant que les marchés n'auront pas retrouvé la sérénité qui leur fait défaut aujourd'hui, la prudence semble donc de rigueur. S'il ne faut pas bien sûr exclure le modèle, il est impératif de lui apporter quelques ajustements majeurs.

Par exemple, la volatilité actuelle des marchés financiers peut affecter la pertinence de la méthode du cours de bourse ; il est alors recommandé d'allonger la période de référence (par exemple, en calculant une moyenne des cours de bourse sur plusieurs mois). De même, la valeur d'une entreprise est fréquemment calculée en multipliant le résultat d'une société comparable (ou d'un panel de sociétés comparables). Cette méthode ne pourra plus être retenue dès lors que les résultats de la société comparable (ou du panel) sont négatifs.

L'utilisation d'une méthode intrinsèque n'est pas non plus sans soulever quelques difficultés.

En effet, la principale méthode intrinsèque consiste à considérer que la valeur d'une entreprise est égale à la somme des résultats futurs (retraités de certains éléments, tels que les investissements) que celle-ci est susceptible de générer. La valeur actuelle est obtenue en actualisant les flux ainsi anticipés sur la base d'un taux d'actualisation, taux qui est censé refléter le niveau de rentabilité exigé par un investisseur à une date donnée.

Ainsi, en s'appuyant sur les anticipations de revenus, la méthode des flux futurs actualisés permet, au moins en partie, de s'affranchir quelque peu des comportements erratiques des marchés. Pourtant, elle nécessite de recourir à un certain nombre d'hypothèses. Parmi elles, la construction d'un plan d'affaires peut relever aujourd'hui, dans bon nombre de cas, de l'exploit.

Face à la crise actuelle, une solution consiste à prendre en considération plusieurs scénarios, parmi lesquels une hypothèse de dérive exceptionnelle. C'est ainsi qu'il sera souhaitable d'apprécier la valeur non seulement sur la base d'un scénario central de revenus futurs, mais également en tenant compte de scénarios alternatifs : un scénario de bulle financière et un scénario de récession économique sévère.

En effet, l'évaluateur ne doit pas oublier que, contrairement aux affirmations les plus radicalement libérales, les dérives des marchés, et donc des valeurs, font bien partie intégrante du marché lui-même. John Kenneth Galbraith, brillant économiste iconoclaste disparu en 2006, n'aura pas eu le temps de constater à quel point il avait raison : "l'épisode spéculatif où la hausse provoque la hausse est interne au marché lui-même. Et le krach, son point culminant, l'est aussi ..." . Dans ce contexte, l'approche par les scénarios multiples devient sans doute un bon outil.

Une autre piste, peut-être plus simple, pourrait consister à réintroduire, en fonction du secteur auquel appartient l'entreprise évaluée la notion de cycle d'activité. L'évaluateur pourra ainsi apprécier dans quelle mesure la valeur d'une entreprise est plus ou moins impactée par la longueur et la profondeur des cycles du secteur concerné.

Toutes ces contraintes doivent-elles nous amener à nous détourner du futur, en écartant ces méthodes prospectives ? En aucun cas. D'ailleurs, cela n'est pas souhaitable, dans la mesure où la capacité de projection dans le futur fait partie du patrimoine génétique de l'entrepreneur et de l'investisseur. Cependant, l'évaluateur devra parfois admettre qu'il faut apprendre à apprivoiser le futur, en supportant ses caprices et ses "spasmes".

De même, il est probable que l'évaluateur soit amené à faire preuve de davantage de vigilance en ce qui concerne les conditions et la date de réalisation des projections (il faut veiller à travailler sur la base d'hypothèses les plus récentes possibles). En toute hypothèse, la prise de recul et le professionnalisme doivent, plus que jamais, accompagner l'évaluateur dans son quotidien.

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Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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erk, il parait que les analystes financiers expérimentés ne comprennent plus (tout à fait) les comptes des banques, on est bien barrés

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
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voici la solution!!!www.notaliaratings.com

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