Les conséquences de la crise sur la cuisine à Londres

Journaliste spécialiste des nouvelles technologies pour The Economist, Ludwig Siegele a travaillé pour Die Zeit et Le Monde.

Peu de temps avant que ne survienne la pire crise économique depuis la Grande Dépression, ma famille et moi avions quitté Berlin pour Londres, une grande ville bon marché pour l?une des plus chères. Comme c?était à prévoir, nous avons reçu un "sticker shock" comme disent les Américains, un choc provoqué par l?annonce d?un prix qui défie l?entendement !

Nous avions juré de ne jamais consacrer plus de la moitié de nos revenus à la location d?un appartement et un quart à une école privée. Mais le marché de l?immobilier à Londres et les modalités d?inscription dans le système scolaire nous ont forcés à le faire. Plus de voiture et de femme de ménage ! Marcher permet d?économiser les 3 euros d?un ticket de bus ; le chauffage n?est allumé que deux fois par jour. Bicyclettes et tricots sont de retour !

Ne nous plaignons pas, la majorité des Londoniens sont dans une situation financière pire que la nôtre. Plus embêtant, ils pensaient que c?était parfaitement normal, et supportable. Chacun semblait tenter sa chance avec sa propre chaîne de Ponzi, en particulier dans l?immobilier. Le jeu consistait à acheter à bas prix et à vendre (ou louer) à prix élevé. Comme tant d?autres, nos propriétaires avaient rénové la maison pour pouvoir exiger un loyer plus élevé : en aménageant les combles pour avoir de nouvelles pièces, en couvrant la cuisine d?acier laminé. Cette remise à neuf était cosmétique : nous sentons toujours le froid arctique traverser les fenêtres victoriennes, et les vieilles odeurs d?égouts.

Quel changement en quelques mois. Il y a aujourd?hui autant de panneaux "A vendre" que d?arbres dans notre voisinage. Les prix ont chuté de 20% au dernier trimestre. Tout le monde essaie de vendre, mais personne n?achète. La maison voisine, occupée jusqu?à la fin de l?année dernière par des travailleurs polonais, est désormais bien tranquille. Au Starbucks du coin, on n?attend plus pour prendre un café avant d?aller travailler. Les restaurants réputés du centre de Londres, où tout était réservé un jour à l?avance, voient à peine la moitié de leurs tables occupées. Même les rames de métro sont moins remplies et les conversations évoquent souvent le cas de quelqu?un qui vient d?être licencié.

Lorsqu?on lit les journaux londoniens, le pire est à venir. "Le gouvernement durcit le ton sur les grèves illégales", titrait récemment l?un d?entre eux. L?article alertait sur la vague de grèves sauvages déclenchées par le recours à la main-d??uvre internationale. "Les banques seront-elles nationalisées", s?interrogeait un autre après l?annonce par le gouvernement d?un deuxième plan de sauvetage alors qu?un troisième plan est déjà à l?étude. Pas un jour ne passe sans qu?un article évoque le risque que Londres ne devienne un Reykjavik-sur-Thames. Après tout, le Royaume-Uni est aussi une île avec une devise faible et un secteur bancaire surdimensionné.

Paradoxalement, je regarde tout cela avec amusement. D?un côté, je suis content de voir un retour à la parcimonie d?antan. C?était une correction nécessaire, même si je reconnais que des millions de personnes pâtissent de ce désastre. Ce n?est pas simplement mes racines souabes prônant la frugalité. En fait, je ne me suis jamais vraiment senti à l?aise avec la débauche de consommation de ces dernières années, que les Britanniques ont appelées fort à propos les "années zéro".

Quand je décris la situation outre-Manche à mes amis à Berlin ou à Paris, je note une joie non dissimulée sur leurs visages. Le "modèle anglo-saxon du capitalisme" a finalement été remis à sa place, et la Grande-Bretagne revenue à son véritable statut. Mais une telle réaction est déplacée. Les pays réputés pratiquer le "capitalisme rhénan" souffrent aussi, et pourraient connaître une situation pire que l?Angleterre. Par ailleurs, n?oublions pas que le boom économique a sorti de la pauvreté de nombreuses personnes dans les pays en développement.

Et puis, les "années zéro" ont eu un autre avantage majeur près de chez nous : elles ont amélioré la cuisine londonienne. Là où les "pub grub" régnaient sans partage, il y a désormais des "gastro-pubs", un croisement entre le traditionnel pub et un restaurant digne de ce nom. L?un se trouve juste au coin (à Acton Lane dans Chiswick), il s?appelle Le Cygne. Faites y un saut, cela les aidera à survivre en ces temps difficiles.

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