Non au protectionnisme, oui à la dé-globalisation !

A vouloir tout globaliser et financiariser, on en vient à se résigner à ne plus rien contrôler. C'est l'un des grands enseignements de la crise financière. En lieu et place d'un libre-échange intégral, il serait temps d'étudier les possibilités d'une croissance moins externalisée, plus économe pour l'environnement, avec moins de gaspillages, estime Henri Bourguinat, professeur émérite à l'université Bordeaux IV (dernier ouvrage paru: "L'Arrogance de la finance", en collaboration avec Eric Briys, Editions La Découverte, 2009).

Pour conjurer la crise, une chose paraît sûre?: on ne doit pas renouveler l'erreur majeure des années 1930 et tenter d'élever de hautes barrières douanières (tarif Smoot-Hawley aux Etats-Unis) ou, en réplique, de fixer de stricts contingentements à l'entrée, pour le reste du monde. Le résultat, on le sait, fut tout simplement catastrophique. De 1932 à 1938, le commerce mondial fut, en valeur, divisé par trois. Instruit par l'expérience, on ne devrait pas, cette fois, se tromper de stratégie?: on sait pertinemment que "mendier son chômage auprès de son voisin" ("Beggar my Neighbour Policy", comme le disaient hier les keynésiens), n'est pas, tant s'en faut, la solution. Faut-il, pour autant, profiter de la crise pour tenter, comme le voudraient certains, de débloquer les négociations commerciales multilatérales et s'ouvrir encore davantage sans précaution aucune??

S'en tenir à cela reviendrait à oublier l'une des leçons principales de la débâcle financière récente?: celle-ci est elle-même la conséquence directe de l'ouverture à tout va, financière mais aussi commerciale. A vouloir tout "globaliser" et "financiariser", on en vient à se résigner à ne plus rien contrôler. Et c'est donc par une réflexion de fond sur la gestion de cette ouverture qu'il convient de commencer. Sans aller vers le repliement qui serait lui-même une impasse, il est désormais urgent de substituer à la fuite en avant, une voie alternative, celle de la recherche d'une autodétermination ouverte des économies nationales ou régionales.

La crise financière elle-même nous y incite directement. C'est parce que les banques ont poussé jusqu'à ses extrémités le modèle d'un risque à "compacter et à fractionner" toujours plus avant, que l'on en a perdu le contrôle. Résultat?: la traçabilité du risque a disparu et bientôt, nul ne savait plus exactement qui portait les brins de celui-ci, disséminés d'un bout à l'autre de la planète.

Dès lors, comment ne pas voir, si on veut sortir de l'impasse et réformer la régulation de la finance, qu'il faut commencer par amener les banques à gérer elles-mêmes une partie significative du risque qu'elles créent?; également, comme vient de le faire la Suisse, par prévoir des obligations de fonds propres différentes pour les prêts domestiques. Sans cela on ne manquera pas de retrouver demain ces dérives tout à fait choquantes de Dexia, des Caisses d'épargne ou de bien d'autres établissements français allant à l'excès sur un marché américain du subprime qu'ils maîtrisaient mal. On sait ce qu'il en coûta (2 milliards d'euros de garantie pour l'Etat français dans le cas de Dexia). Recommencera-t-on à laisser demain les banques, notamment celles du secteur mutualiste, succomber aux mirages de quelque nouvel eldorado, fût-il, cette fois, situé en Chine, en Inde, au Brésil ou quelque part ailleurs??

C'est d'ailleurs la même ardente obligation qui devrait prévaloir pour les échanges internationaux et les capacités de production. Certes, il est hors de question de prétendre en revenir aux murailles de Chine en forme de tarifs et de contingentements dissuasifs. Les représailles ne tarderaient pas. Mais pour autant, on ne pourra assister encore longtemps au délitement constaté de notre tissu industriel (la moutarde Amora fabriquée ailleurs qu'à Dijon et les chantiers de l'Atlantique en voie de devenir coréens)?; pas davantage au creusement de notre déficit commercial (7 milliards d'euros en octobre et, pour l'année entière sans doute 56).

Le moment n'est-il pas venu pour la France et pour l'Europe, de commencer à faire entendre une autre petite musique en matière de philosophie des relations économiques internationales?? En lieu et place du libre-échange intégral et de la financiarisation sans limites, ne conviendrait-il pas d'étudier les possibilités d'une croissance un peu moins externalisée, plus économe pour l'environnement, avec moins de gaspillage pour le transport et l'énergie et une utilisation au plus près des ressources locales, tant financières qu'humaines??

Certains moyens existent (fiscalité, fonds publics d'intervention, pôles de compétitivité, normes sociales ou environnementales, etc.)?; d'autres, sans doute plus nombreux, seront à inventer et à évaluer. Tous auront à être conçus sur la base du principe de réciprocité et négociées?: ne seront envisageables que ceux que nous admettrions nous-mêmes de nos partenaires. L'objectif serait d'aboutir certes à un objectif reconnu de spécialisation internationale mais qui permettrait à chacun de conserver ce "minimum incompressible de complexité" hors duquel on ne peut envisager de croissance stable. A ceux qui hausseraient les épaules et opposeraient à cet aggiornamento maints arguments, répétons qu'on ne peut guère continuer sur la lancée antérieure qui aboutit à un cancer qui mine notre tissu industriel.

La première crise financière globale vient de nous donner clairement à entendre qu'en l'absence de tout réel pouvoir de régulation à l'échelle mondiale, il faut, sans agressivité inutile mais avec opiniâtreté et si possible intelligence, étudier les voies et moyens d'un ancrage territorial fort.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 2
à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
Je suis tout à fait en accord avec ce retour, même honteux, à la préférence communautaire. Mais, l'UE étant passée d'un objectif de construire une communauté de destin à celui de créer une simple zone de libre-échange ouverte sur la planète par l'OM...

à écrit le 09/10/2009 à 13:41
Signaler
La globalisation ne peut se faire qu'entre partenaires qui sont sur la même longueur d'onde sur le plan humain et envirronnemental: protection sociale des salariés, abolition de l'esclavage, absence d'atteintes irréversibles contre l'environnement co...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.