France-Allemagne, le retour du moteur de l'Union européenne ?

La crise mondiale met à rude épreuve la cohésion de l'Union européenne, en particulier la relation entre l'Allemagne et la France. Leur coopération reste pourtant une condition essentielle d'une UE active. En particulier sur trois chantiers : améliorer la gouvernance du capitalisme mondial, régler les difficultés de la zone euro, enfin protéger et améliorer la compétitivité de son système productif, estiment Jacques Mistral et Henrik Uterwedde, respectivement professeur de sciences économiques et directeur d'études à l'Ifri (Institut français des relations internationales) à Paris, et professeur de sciences politiques et directeur adjoint du DFI (Deutsch-Französisches Institut, Ludwigsburg).

La crise financière mondiale ne constitue pas seulement un choc économique et social, elle met à nouveau en relief les difficultés de l'Union européenne à définir les réponses adéquates. Ce n'est certes pas la première fois que la construction européenne fait face à une situation critique. Mais l'un des traits marquants de la présente crise, c'est qu'elle s'est ouverte dans un contexte où la qualité de la relation franco-allemande n'était clairement pas à la hauteur. On a vu la résurgence de vieilles querelles (comme celles sur le gouvernement économique, les déficits ou la banque centrale), un évident défaut de concertation, des initiatives qui ont fait naître un climat de méfiance.

Dans un monde imprévisible et dangereux, il vaut mieux, comme dans le passé, reconnaître combien nos destins sont liés parce que nos intérêts sont si proches : faire fonctionner une économie de marché régulée et garantissant la cohésion sociale ; assurer un avenir à l'industrie européenne ; ?uvrer en faveur d'une gouvernance mondiale capable d'assurer un développement économique durable. De même que lors d'épisodes passés, il faut transformer cette vision commune en communauté d'action, voici quelques pistes.

D'abord la gouvernance mondiale. Le sommet européen de Berlin a permis d'avancer ; c'est une très bonne chose, il ne faut pas en rester là. Le président Sarkozy a eu le mérite de lancer une initiative ambitieuse qui doit être approfondie. Car le G20, évidemment, n'est pas une super-réunion de ministres des Finances, c'est une réunion des principaux leaders du monde, ils doivent poser en termes politiques la question de la gouvernance mondiale. C'est la perspective dans laquelle se situe la proposition, récemment soutenue par la chancelière Merkel, consistant à créer une sorte de "Conseil de sécurité économique" pour donner à la globalisation une véritable architecture politique : affinons ensemble une proposition de ce type car sans cela, sans surprise, les architectes du nouveau capitalisme mondial seront américains et chinois.

Deuxièmement, la zone euro. Ses dix ans ont été l'occasion de célébrer un grand succès : le comportement de la Banque centrale européenne (BCE) dans la crise a été exemplaire et salué par tous. Mais maintenant, la zone euro est soumise à des pressions sans précédent du fait de la dégradation de la situation financière de certains Etats membres ; les pays d'Europe centrale se trouvent aussi dans une situation financière précaire.

Imagine-t-on le Fonds monétaire international (FMI) débarquer à Athènes (comme il l'avait fait à Londres en 1976) pour remettre le pays sur les rails ? Ce serait un échec indélébile pour l'eurozone ! Travaillons dès maintenant aux propositions qui permettront d'assurer un meilleur fonctionnement monétaire et financier de nos économies. Il y a un immense intérêt commun à ce que ces problèmes européens soient réglés par les Européens, et c'est une occasion, même involontaire, d'aller de l'avant.

Troisièmement, l'industrie, la compétitivité internationale. L'Europe ne saurait se désintéresser de l'avenir de ses systèmes productifs. Mais cessons les querelles de doctrine à ce sujet ! Au-delà de la rhétorique, en effet, nos approches sont bien plus complémentaires qu'opposées. Le volontarisme industriel est utile, mais gardons-nous des solutions de facilité : la compétitivité européenne passe par des politiques de l'offre misant sur la capacité d'innovation, le tissu d'entreprises, des marchés concurrentiels...

Oui, il est légitime ? qui le nie ? d'intervenir pour ne pas voir disparaître des entreprises, des sites de production ; mais toute forme de repli national n'est qu'une illusion, la plus dangereuse de toutes aujourd'hui. Les efforts nationaux n'auront d'efficacité que concertés et autant que possible appuyés par des actions communautaires. Et ceci vaut aussi dans l'hypothèse où il faudrait prendre de nouvelles initiatives pour soutenir le secteur financier, les solutions non coordonnées de l'automne ont montré leurs dangers.

Appeler à un renforcement de l'action en commun ne conduit certainement pas à gommer nos différences (les concepts de politique industrielle et d'Industriepolitik recouvrent par exemple des approches, des systèmes d'acteurs, des relations Etat-entreprises très différents), ni à sous-estimer la concurrence que nos entreprises se livrent en permanence, et c'est tant mieux. Mais face à la crise économique la plus grave depuis les années 1930, l'Allemagne et la France ont une nouvelle fois le devoir de rechercher ensemble les solutions : un climat politique éclairci depuis plusieurs mois est une bonne base de départ, à nous de savoir maintenant mener un débat franc voire vif, mais constructif et décidé à aboutir, l'Europe en a besoin.

Et qu'on ne dise pas à notre génération que c'est impossible ou inutile, nous savons le contraire, et ce n'est pas seulement une question d'amitié : c'est une leçon de l'expérience !

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