L'air du milliard

Par Valérie Ohannessian, directrice générale adjointe de la Fédération française bancaire (*), membre du bureau de Réforme et Modernité, gérante du groupe Revue Banque.

1 milliard ! Chiffre fantasmatique et provocateur. Car ce n'est pas le montant du tirage du loto ; ni le contrat publicitaire d'un "top" qui, malgré les sommes faramineuses amassées par sa seule plastique, continuera d'être qualifié de "modèle" puisqu'elle le vaut bien ; ni les tractations des Zidane du Mercato qui font rêver les gamins de banlieues et se commentent sans vergogne à la radio ; non, ce chiffre est, à l'origine, entaché de tous les vices, à commencer peut-être par le plus grave : il ne produit pas de désir...

Découvrant dans le film de Cukor "Let's make love" que celui qu'elle aime n'est pas un artiste mais un vrai milliardaire, Amanda-Marilyn fuit cette dégradante réalité... avant de conclure, ouf, que son c?ur "doesn't belong to Daddy anymore". Happy end. Mais il n'y a qu'au cinéma qu'on ose aller au-delà des apparences.

La révélation des provisions pour rémunérations variables des professionnels de marchés chez BNPP a suscité émotion et polémique. A l'heure de la transparence victorieuse, que ce chiffre ait pu sortir dans une presse même pas spécialisée n'aura pas été mis au crédit de la banque. Son effeuillage, pourtant très "G20 compliant", n'aura généré que suspicion et dégoût. Comment des spéculateurs peuvent-ils continuer de s'enrichir, coupables de la crise, aidés par l'État, mais promis à des sommes dépassant toutes les échelles de valeurs du commun des mortels salariés ?

Il faut un gros effort de rationalité pour résister à se faire plaisir en Technicolor en proposant de plafonner les bonus ou de les supprimer tout bonnement. Mais le refus des logiques de marché où l'appauvrissement des uns n'a jamais permis la vertu ou l'enrichissement des autres. Ce n'est pas en supprimant la production de richesse qu'on favorise sa plus juste répartition. En cassant la finance française, on prend aussi le risque de se disqualifier du jeu international et de se priver des moyens de faire valoir une autre vision, une autre culture, d'autres règles que celles imposées par la toute puissante finance américaine.

Or, la convergence constatée à travers le code français de février 2009 sur les rémunérations, les principes très récents proposés par la FSA britannique ou la BaFin allemande jette les bases d'une possible plate-forme européenne, à porter au niveau du G20, pour que la régulation mondiale du système veuille enfin dire quelque chose. Faire cavalier seul sonnerait la mort de la finance française... et du combat pour apporter davantage de sécurité et de "morale" aux marchés.

"Morale"... Le grand mot est lâché, dans la passion et la confusion. L'honnêteté et l'efficacité demanderaient pourtant qu'on distingue la "morale bancaire" et la "morale politique". Le "juste" pour la banque, c'est la "justesse" ; pour le politique, c'est la "justice". Même si elle ne se contente pas d'une "éthique de l'indulgence" consistant à se satisfaire de ce qui serait seulement possible, la banque ne peut aller au-delà de son devoir propre : produire et financer dans la plus grande sécurité. Certains modes de rémunération sont source de prises de risques condamnables pouvant aller jusqu'à mettre en péril l'entreprise financière, voire l'ensemble du système ; là réside l'immoralité bancaire. Les nouvelles mesures adoptées doivent y mettre un terme.

Ce raisonnement ne saura satisfaire les esprits français si volontiers égalitaristes et ne répond évidemment pas à la quête légitime d'un modèle équitable de répartition des richesses. Rappeler que la Banque de financement et d'investissement (BFI) est une expression du génie français et de son école mathématique, fer de lance du patriotisme économique et de l'indépendance du financement de nos entreprises, source d'emplois et d'impôt... ne suffit pas. Il faut une réponse politique à ce qu'elle éclaire d'une lumière si crue : l'inégalité de la répartition de la richesse produite.

Or, si les Etats, armés de la fiscalité, sont responsables de la justice sociale, ils sont aussi en concurrence sur ce terrain, et on sait qu'une taxation punitive strictement nationale produirait les mêmes effets d'éviction des élites et des richesses que des mesures unilatérales de plafonnement. Ce que révèle la crise, c'est que la globalisation ne touche pas que les marchés mais confronte aussi les politiques publiques. Nous sommes condamnés à avancer ensemble. C'est le défi du prochain G20 de Pittsburgh. Si la traduction française du film de George Cukor est "le Milliardaire", son titre original est "Let's make love"... Joli programme pourtant.

(*) L'auteur s'exprime à titre personnel.

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