Immobilier : accepter de perdre pour gagner plus

Pendant la crise, les prix de l'immobilier ont peu baissé en France. Le signe d'un dysfonctionnement du marché immobilier, en raison d'un défaut d'information.
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Des prix à nouveau orientés à la hausse et une activité en forte progression : le rebond du marché de l'immobilier français semble confirmé. Ceux qui comptaient sur la crise économique pour voir les prix s'effondrer, faire de bonnes affaires ou du moins se loger plus facilement, en sont pour leurs frais. Avec une baisse inférieure à 10 %, les prix de l'immobilier français ont, contrairement aux pays voisins, incroyablement bien résisté à la crise. C'est le signe, ne nous y trompons pas, d'un marché qui fonctionne mal. En effet, sur un marché efficace, une baisse des prix entraîne une hausse du nombre des transactions. Or, elle a abouti pour l'essentiel à une rétractation du marché pendant deux ans, à un niveau d'activité inférieur de 25 % à celui de la dernière décennie. La faute à une diminution de l'offre qui a freiné la baisse des prix et bloqué l'activité.

Plusieurs travaux d'économistes permettent d'expliquer ce phénomène lié à un biais psychologique des propriétaires, soucieux de ne pas vendre à perte. Attendre pour ne pas perdre d'argent, telle est leur ligne de conduite. Un comportement irrationnel, car accepter de vendre à perte, sur un marché orienté à la baisse, est en réalité une stratégie souvent gagnante. La vente permet en effet de racheter dans les mois qui suivent un bien plus grand ou de meilleure qualité que celui qu'on possédait, pour peu que l'on dispose d'une épargne ou que l'on ait accès facilement au crédit, ce qui est aujourd'hui le cas. On perd à la vente, pour ensuite gagner davantage à l'achat suivant...

Victime d'une sorte d'« illusion monétaire », les propriétaires pensent souvent différemment. Ils accordent à leurs biens un prix, proche de celui auquel ils les ont achetés, et ne tiennent pas compte de l'évolution de leur pouvoir d'achat. En épluchant les offres de vente et les transactions effectuées entre 1990 et 1997 à Boston, les auteurs d'une étude publiée dans le "Quarterly Journal of Economics" ont ainsi mis en évidence que les propriétaires susceptibles de vendre à perte proposaient leurs biens à un prix 25 % à 35 % plus élevé que les autres et, lorsqu'ils vendaient, le faisaient in fine à un prix légèrement plus élevé (de 3 % à 18 %) et en contrepartie d'une attente beaucoup plus longue.

La théorie des perspectives, développée par le Prix Nobel Daniel Kahneman, se nourrit de la recherche en psychologie pour comprendre de tels biais comportementaux. La notion d'aversion aux pertes y est cruciale et est étroitement liée à celle d'un "point de référence", qui est une situation subjective en fonction de laquelle l'individu évalue l'impact de ses décisions. Concernant le marché de l'immobilier français, une étude expérimentale, publiée en 2009 dans la "Revue française du marketing", souligne l'impact que peut avoir la connaissance d'un prix intermédiaire (indicateur du marché, avis d'experts...) sur le processus de formation du point de référence d'un propriétaire et, donc, sur son comportement.

Fin mars, après la remise du rapport du Conseil national de l'information statistique (Cnis) dénonçant un manque d'accès à des données locales, la présence de gisements d'informations inexploitées et une difficulté de lecture des sources privées, Benoist Apparu, le secrétaire d'État au Logement, a déclaré avoir comme ambition à terme "de proposer des statistiques à l'échelle d'une rue". Un instrument fiable, publié en temps réel par un acteur crédible et impartial, est effectivement primordial pour favoriser l'adaptation du point de référence et garantir l'équité des transactions.

La création récente de l'indicateur « Dinamic » du Conseil supérieur du notariat et de la Chambre des notaires de Paris va dans le bon sens, car il sera actualisé de manière rapprochée. Mais il ne répond pas à toutes les exigences. Aujourd'hui comme hier, un propriétaire ne parvient pas à se faire une idée précise de la valeur de son bien. Davantage d'informations sont nécessaires et un indicateur émanant d'une autorité impartiale. Ceci seul permettrait de réguler le marché de l'immobilier, pour un coût modeste, comparé aux 10 milliards d'euros dépensés chaque année sous forme d'aides fiscales. Mais cela signifie aussi aller contre l'intérêt des acteurs du marché qui tirent parti de son opacité.

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