Le temple de l'élitisme républicain tremble sur ses bases : Sciences Po vient d'annoncer la suppression en 2021 de son sacro-saint concours d'entrée. Fini le stress des épreuves d'histoire, de culture générale ou d'anglais qui favorisaient les élèves les mieux préparés au bachotage, souvent issus des catégories les plus aisées...
Un contexte politique hyper-favorable
Même si son directeur, Frédéric Mion, y travaillait depuis deux ans, la décision tombe dans un contexte politique hyper-favorable : la crise des « Gilets jaunes » a aggravé le divorce entre les Français et les « élites », et dans la foulée de la réforme de l'ENA, la ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a invité les grandes écoles à revoir leurs procédures de sélection. Après Richard Descoings qui, en 2001, avait ouvert Sciences Po à des élèves issus des quartiers populaires, l'école se devait de rester pionnière dans la disruption éducative.
En privilégiant désormais le parcours plutôt que le concours, Sciences Po s'inscrit dans les pas d'autres grandes institutions étrangères comme la London School of Economics ou Harvard. En réalité, Sciences Po avait déjà renoncé au concours pour la sélection de la moitié de ses élèves issus de la procédure internationale ou des conventions d'éducation prioritaires (CEP). L'école va aussi, dès 2020, intégrer Parcoursup pour briser l'autocensure qui fait que nombre d'élèves talentueux n'osent pas s'y présenter.
Diversifier les talents
En faisant sauter ce « plafond de verre », Frédéric Mion espère diversifier les talents en basant la sélection sur « des critères d'excellence unifiés ». Unifiés mais pas moins exigeants, souligne-t-il, conscient du risque de voir la marque Sciences Po se déprécier. La procédure, qui tiendra compte du parcours académique depuis la seconde, des notes obtenues au bac et du dossier de candidature, mettra en avant l'ouverture d'esprit, l'inventivité, l'engagement et la ténacité, souligne Frédéric Mion. Que l'on se rassure : Sciences Po conservera un oral d'admission pour celles et ceux qui auront franchi la barre d'admissibilité, mais il ne comptera que pour un quart de la note finale.
Bien sûr, de nouveaux biais pourraient survenir : les parents les plus aisés s'adapteront en payant des cours de soutien à leurs enfants plus tôt dans leur parcours scolaire, une bonne nouvelle pour les prépas spécialisées. Les lecteurs de Bourdieu savent que lutter contre la prédétermination sociale est un exercice qui doit se réinventer en permanence. Mais en réservant 15% des places aux élèves issus des lycées partenaires dans le cadre des CEP et en se fixant un objectif de 30% de boursiers, Sciences Po assume faire de la « discrimination positive » et met la pression sur les grandes écoles de commerce, qui n'ont pas, ou du moins pas encore, renoncé au concours d'entrée.
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