Rachida Dati  : du « coup politique » au « coup de grâce porté à la politique »

De la nomination de Rachida Dati au ministère de la Culture il ne reste d'ores et déjà que le « formidable coup politique », le « subtil coup de com' ». Tant pis, semble-t-il, si ces « coups » plébiscités par les commentateurs et noyés dans le cynisme portent un énième « coup de grâce » à la culture, à la politique, et à la démocratie.
Rachida Dati
Rachida Dati (Crédits : BENOIT TESSIER)

Images et sons ont fait le tour des réseaux sociaux, mais il est nécessaire de les rappeler. Car lire imprime bien mieux que voir ou écouter distraitement. « Les élus En Marche à l'Assemblée nationale, ca va être des canards sans tête » (...) « A chaque fois ils essayent de nous braquer avec des pistolets en plastique ou de grimper sur notre porte-bagage ». (...) « Tous ceux qui ont fait des alliances avec En Marche aux municipales ont perdu. En Marche, c'est le baiser de la mort ». (...) « Vous savez comment se finit la droite chewing-gum ? Collée sous la semelle des marcheurs. Or quand vous avez un chewing-gum sous votre chaussure vous n'avez qu'une envie, c'est de vous en débarrasser ». (...) « Emmanuel Macron envoie les pires symboles aux femmes victimes de violence en confiant systématiquement les postes clés de l'administration et du gouvernement à des hommes issus de la même bourgeoisie d'Etat, et en considérant qu'une suspicion de viol, de harcèlement et d'abus de confiance ne serait « pas un obstacle » à diriger le pays ». « La France est fracturée, c'est le bilan des cinq ans du mandat d'Emmanuel Macron. (...) Elle est sans cap, sans projet, sans direction. Emmanuel Macron n'a pas de ligne politique », déclarait-elle au lendemain des législatives de 2022. Avant de conclure par un catégorique « pas de participation [des LR] au gouvernement ». Enfin, le meilleur pour la fin : « En Marche c'est quoi ? Des traitres de gauche et des traitres de droite » (21 juin 2021).

Et puis plus rien

Ce petit florilège - non exhaustif - des anathèmes proférés par Rachida Dati aurait dû provoquer une incommensurable colère lorsqu'elle a été nommée le 11 janvier au ministère de la Culture. Incommensurable colère reflet de l'incompréhension, de l'absurdité, du défi moral que soulève l'exhumation de ces déclarations. Non. Ce qui a polarisé les plateaux de télévision noyés de « commentateurs » - rivés depuis plusieurs jours sur le compte à rebours des supputations et rivalisant de pronostics péremptoires censés crédibiliser leur présence -, c'est le « formidable coup politique » et le « redoutable coup de com' » que constitue cette « prise de guerre » nimbée d'une « popularité » et d'une « énergie » qui consolideront la « marque Attal ».

De l'exhibition des fourvoiements de la maire du 7e arrondissement, que reste-t-il ? Pendant une poignée de jours, un peu de moquerie, des sourires narquois. Un spectaculaire discrédit dissous dans un cynisme qui n'épargne personne, pas même ceux chargés d'éclairer l'obscurité. Et puis plus rien. Le chapitre est refermé, aussi vite qu'il s'est ouvert. L'époque de l'immédiateté le dicte. Ni l'amoralité ni les indicibles incohérences ne semblent choquer. Plus grave : l'absence de colère signe l'édulcoration du discernement, le renoncement, et même l'abdication. Les pires symptômes de la disparition de la confiance.

Depardieu, un avant-goût

L'acceptation d'un tel camouflet s'enchérit d'autres résignations qui ne sont pas moins inacceptables. Sa légitimité aux manettes de la Culture (et de l'audiovisuel) est invisible ? Après tout, depuis 1995, de Philippe Douste-Blazy à Roselyne Bachelot en passant par Fleur Pellerin ou Franck Riester, les nominations incongrues à cette prestigieuse fonction sont récurrence. « Elle n'est donc ni la première ni la dernière », tempère-t-on en substance.

Elle est mise en examen depuis 2021 pour « corruption passive », « trafic d'influence passif » et « recel d'abus de pouvoir » relativement à 900 000 euros de prestations de conseil effectuées auprès de Carlos Ghosn alors président de l'Alliance Renault-Nissan ? La présomption d'innocence, au nom de laquelle pendant la durée des instructions le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin (accusé de viol, non-lieu) et celui de la Justice Eric Dupond-Moretti (prise illégale d'intérêts, relaxe) ont été maintenus à leur poste, est censée taire le débat. Or les situations ne sont pas comparables ; nommer un nouveau ministre empêtré dans une mise en examen antérieure relève de la provocation.

Le soutien inconditionnel en faveur de Gérard Depardieu qu'il avait exprimé le 20 décembre sur le plateau de C à vous n'était pas qu'une erreur politique ; ce jour-là Emmanuel Macron avait de nouveau déçu le monde de la culture - déception proportionnelle aux espérances suscitées par la victoire en 2017 du disciple de Paul Ricoeur. Il avait aussi donné un avant-goût de sa conception de l'exemplarité qui a profité quelques semaines plus tard à Rachida Dati.

Disparition de la confiance

Disparition de la confiance donc, elle-même cause première du dépérissement politique. Du désintérêt citoyen. Et donc du délitement démocratique. Peu de principes moraux semblent pouvoir dominer aujourd'hui les injonctions (ou le goût) de la communication. Imagine-t-on Lionel Jospin, au nom d'un stratagème politicien visant à affaiblir le camp rival et à saturer l'espace médiatique et public, désigner rue de Valois Patrick Balkany - dont Rachida Dati loue d'ailleurs la « générosité », comme le rapportent Gérard Davet et Patrice Lhomme dans La Haine, les années Sarko (2019, Fayard) ? Imagine-t-on un conseil d'administration nommer au poste de directeur général le dirigeant d'un groupe concurrent coupable dans le passé récent de mots et de maux à l'endroit de l'entreprise ? Imagine-t-on un PDG promouvoir au comité de direction un collaborateur qui a sali sa réputation et a ourdi contre lui ?

La pratique efficace de l'autorité - et de la gouvernance qui en découle - convoque sinon l'exemplarité au moins la cohérence (intellectuelle, comportementale) et l'alignement moral chez celle/celui qui l'exerce et chez celle/celui qui la reçoit. En faisant fuiter l'annonce de sa nomination plusieurs heures avant l'officialisation par le secrétaire général de l'Elysée Alexis Kholer afin de créer un moment médiatique, en rappelant la prééminence de son véritable combat - le 17 janvier, au lendemain de la conférence de presse d'Emmanuel Macron assurant que le sujet "n'avait même pas été abordé" entre eux, elle déclamait que "mon [son] projet était la Ville de Paris" -, Rachida Dati a fait d'emblée coup double : défier l'autorité de son premier Ministre, relativiser et même minimiser l'envergure de sa nouvelle responsabilité.

Une épine devenue douceur dans la dot de l'extrême-droite

Bien sûr il ne s'agit pas de juger l'action de la successeure de Rima Abdul Malak avant même qu'elle ne l'ait entamée. Après tout, elle ne serait pas le premier ministre à se révéler dans la fonction, et son « poids politique », ses « talents de politique », et son expérience ministérielle sont susceptibles de bonifier l'exercice de sa responsabilité. Mais « l'événement Dati » est la démonstration que seul compte le coup politique. Tant pis pour le coup asséné à la politique. Cette péripétie politique n'est, évidemment, qu'anecdote au regard des enjeux climatiques, environnementaux, géopolitiques, militaires, démographiques qui agitent la planète. Elle est toutefois une épine de plus dans la crise morale de la politique française et dans la crise de défiance des citoyens envers leur démocratie. Une épine qui ne griffe pas tout le monde. Elle se transforme en douceur « de plus » dans la dot de l'extrême droite.

Lire aussiRachida Dati, un détour par le ministère de la Culture

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Commentaires 10
à écrit le 05/02/2024 à 10:58
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L'épisode Dati démontre, s'il en était besoin, la profonde décadence du secteur politique en France. Il fût un temps où le politique était porteur d'idées, de convictions. Aujourd'hui, l'homo politicus n'est porteur que d'ambition. D'ambition pour ...

à écrit le 31/01/2024 à 11:21
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Alors, Garde des Sceaux et ayant fait fermer plusieurs tribunaux, Madame Dati présenta ainsi ses vœux " Je souhaite que les Français se rapprochent de leur Justice " (!?) Les humoristes...

à écrit le 17/01/2024 à 11:03
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Bien sûr il y a toujours eu des soutiens et des alliances pour les élections municipales mais accepter en 2024 un poste de ministre dans le gouvernement Macron en échange d’un soutien pour les prochaines élections municipales de Paris en 2026 est une...

à écrit le 16/01/2024 à 13:46
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Quelque soit le ministre de la culture le ministère reste aux mains de petits baronnets parisiens inteligencia auto proclamée qui ne vivent que de subventions et n'imposent que ce qui leur plait à eux et rejettent tout le reste et ce qui existe au de...

à écrit le 16/01/2024 à 11:11
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Quel bonheur de vivre si loin de cette chienlit.

à écrit le 16/01/2024 à 9:57
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Comme l a si bien dit Rachida elle meme, LREM c est des "traitres de droite et des traites de gauche". Mais qu elle aille au ministere de la culture est au final un moindre mal, elle ne peut pas faire trop de degats la bas et au mieux elle pourra mem...

à écrit le 16/01/2024 à 7:57
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Si cela permet de reprendre Paris à une majorité qui multiplie les chantiers, la saleté et les rats, alors c'est bien joué. LR ferait mieux d'imposer ses idées, même partiellement, dans un gouvernement de coalition, plutôt que de laisser le champ l...

le 16/01/2024 à 8:56
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@Britannicus ' - Vous pensez sérieusement que Rachida Dati va se préoccuper de la propreté et des rats dans Paris? Vous regretterez rapidement Hidalgo! Dati, c'est les années fric, le "bling-bling", le niveau Zéro de la politique et de la culture, l...

le 16/01/2024 à 12:45
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@Valbel Dati, c'est sûr, ce n'est pas une bonne affaire pour Paris. Par contre, regretter Hidalgo !!! L'otage des zézécolos ! Et la "caresseuse" (dans le sens du poil) des bobos du centrte. Ceux qui ne possèdent pas de voiture, et ne se déplacent qu'...

à écrit le 16/01/2024 à 7:55
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Merci pour le rappel à Paul Ricoeur on ne le dit pas assez mais au final son admiration pour Ricoeur explique la nomination de Dati à la culture non ? C'est comme l'admiration de Mélenchon pour Adolphe Thiers explique son amitié avec Serge Dassault. ...

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