Depuis leur mise en oeuvre, les 35 heures font l'objet de critiques péremptoires. Au mépris de la réalité, certains soutiennent que les lois Aubry ont créé un carcan rigide bridant les besoins de flexibilité des entreprises, et sont responsables des difficultés économiques de notre pays. Il nous paraît utile de rappeler quelques faits et réalités.
La durée légale n'est qu'un seuil de déclenchement de rémunérations majorées. La majoration peut, en cas d'accord de modulation, être appréciée sur la moyenne de l'année. Le taux réglementaire de 25 % des majorations peut, par simple accord d'entreprise, être réduit à 10 %. Le volume des heures supplémentaires doit demeurer dans les limites d'un contingent, qui n'a cessé d'augmenter depuis 1982. Ce contingent (aujourd'hui de 220 heures par an) peut être augmenté par voie conventionnelle. L'autorisation administrative requise au-delà a même été supprimée ainsi que le repos compensateur de 50 % au-delà de la 41e heure.
Souvent conventionnelles dans d'autres pays, les dispositions relatives aux heures supplémentaires sont réglementaires dans certains, comme les États-Unis où le Fair Labor Act de 1938 fixe à 40 heures impérativement appréciées par semaine le seuil de déclenchement de majorations salariales de surcroît d'un minimum de 50 %. En restant sur le seul aspect quantitatif de la durée du travail, la France, comparée aux autres pays industrialisés, se situe dans une position intermédiaire. La durée annuelle moyenne du travail des employés (1.554 heures en 2009, selon l'OCDE) y est plus longue qu'en Belgique (1.550), Allemagne (1.390)... De même pour la durée hebdomadaire de travail réelle.
La condamnation habituelle de rigidités relatives aux 35 heures est peu fondée. Les modalités de répartition et d'aménagement des horaires sont par excellence, depuis l'ordonnance des 39 heures, le domaine de la dérogation. C'est un facteur de gains de productivité, en permettant le remplacement de normes réglementaires par des normes conventionnelles adaptées à chaque contexte. Or, les lois Aubry ont contribué à accroître le champ et l'amplitude de l'autonomie du tissu conventionnel. Un effort de simplification s'y est en outre manifesté, par exemple en unifiant les différentes formes d'annualisation des horaires. Elles ont introduit une approche plus réaliste de la notion de durée du travail, avec par exemple l'instauration de la possibilité du forfait jours pour les cadres, qui correspond davantage qu'un décompte en heures à la réalité de leur temps de travail. Plus de 10 % des salariés sont actuellement au forfait jours.
Les accords 35 heures ont généralement fait un tout indivisible de la réduction à 35 heures de la durée effective du travail, de l'adaptation des normes aux caractéristiques de l'entreprise, de la modération salariale, de l'augmentation des effectifs. Cela explique la réticence de nombreux chefs d'entreprise à remettre à plat tout cela.
Il est inexact que les 35 heures ont dégradé la compétitivité. Au demeurant, la dynamique des coûts unitaires du travail a été en France, sur la période de mise en oeuvre des 35 heures, plus modérée que dans la zone euro hors France et hors Allemagne. Elle n'a été plus ralentie en Allemagne que du fait d'une forte modération salariale spécifique à ce pays. Soulignons par ailleurs que l'Allemagne est le pays dans lequel la durée hebdomadaire habituellement travaillée dans le secteur de la métallurgie, axe fort de la compétitivité de ce pays, est la plus faible : 35 heures.
Si les effets sur l'emploi de la réduction du temps de travail sont incertains sur le long terme, ils sont généralement positifs à court et moyen terme s'ils n'entraînent pas de dérapage des coûts de production. En témoignent les expériences réussies de nombreuses entreprises, par exemple le sauvetage de Volkswagen en 1993 par le passage aux 29 heures hebdomadaires, ou les dispositifs réglementaires de chômage partiel existants dans de très nombreux pays, dont la France et l'Allemagne. En France, diverses études montrent que les 35 heures auraient eu un effet favorable sur l'emploi d'environ 300.000 à 400.000 postes dans les deux à cinq ans suivant leur mise en oeuvre.
Le droit de la durée du travail est, depuis 1982, le laboratoire de toutes les innovations en France. C'est parce qu'on y a inventé la technique de dérogation qu'a été abandonnée la représentativité de droit des organisations syndicales au bénéfice d'une exigence de légitimité liée à leur audience. Il a permis, par la négociation collective, de mieux concilier efficacité économique et protection des travailleurs. Les lois Aubry ont joué un rôle dans cette évolution qui s'est continuée au-delà. Alors, plutôt que réclamer la suppression - impossible pour de nombreuses raisons - de toute durée légale, mieux vaudrait s'intéresser à la modernisation du droit du travail en s'inspirant du modèle de celui de la durée du travail.
(Les auteurs ont publié récemment "Refonder le droit social", La Documentation française, 2011)
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