La crise comme conséquence d'une économie mondiale sans tête

Dans "The Leaderless Economy", publié par les éditions de l'université de Princeton, Peter Temin et David Vines montrent que la crise actuelle est une "crise de transition" après la fin de l'hégémonie américaine.

 La grave crise économique qui frappe le monde depuis 2007 a donné naissance à un nombre incalculable d'ouvrages qui tentent d'en comprendre l'origine, d'en décrire le déroulement, d'en trouver une issue. Sans compter ceux qui se livrent au bien périlleux exercice de la prédiction… S'il fallait n'en lire qu'un, sans doute, The Leaderless Economy, paru en fin d'année dernière aux Etats-Unis aux Editions de l'université de Princeton, devrait être celui-là. Issu de la collaboration entre Peter Temin, professeur d'histoire économique au MIT, et David Vines, économiste britannique à l'Université d'Oxford, cet ouvrage présente la crise que nous vivons dans un contexte historique, géographique et théorique des plus larges.

Déséquilibres globaux

Le fondement de la réflexion des auteurs réside dans la nécessité de comprendre les déséquilibres économiques dans leur globalité. Autrement dit, en faisant en permanence le lien entre les déséquilibres internes des pays ou des grandes régions économique et leurs déséquilibres externes. Les auteurs montrent avec brio combien les décideurs économiques avaient perdu de vue cette réalité avant la crise actuelle, autant qu'avant celle de 1929. Et combien ceux qui doivent trouver une sortie à cette crise n'y songent pas davantage aujourd'hui qu'ils ont pu y penser durant les années 1930.

Crise de transition

Mais alors comment expliquer que, à certains moments de l'histoire économique moderne, ces déséquilibres aient pu non pas disparaître, mais du moins être gérés afin de favoriser la croissance, la stabilité et la prospérité ? La réponse des auteurs est celle du leadership. En 1945, comme avant 1914, l'économie mondiale disposait d'une puissance hégémonique, le Royaume-Uni puis les Etats-Unis, qui était capable d'imposer « ses » solutions aux différentes crises et d'établir ainsi une cohérence mondiale.

Les grandes crises s'expliquent alors, selon les auteurs par une phase de transition où l'ancien leader n'est plus suffisamment fort pour imposer ses choix et où le futur leader n'est pas assez fort encore pour faire de même. « Le changement d'hégémonie est difficile : une nouvelle puissance hégémonique prend souvent du temps pour s'imposer après le déclin de l'ancienne. La grande crise de 1929 fut une de ces récessions de fin de régime, la crise actuelle en est une autre », expliquent les auteurs.

Deux après-guerres différentes

D'où la différence frappante entre les deux après-guerres. En 1919, le Royaume-Uni ne peut plus être hégémonique. Ses actifs mondiaux ont été dépensés durant la guerre, ses grands marchés (textile, aciers...) ont été perdus au profit du « nouveau monde. » Londres ne peut plus dicter sa loi au monde comme il le faisait depuis 1815 par l'intermédiaire du Gold Standard. Pour autant, les Etats-Unis, devenue première puissance économique du monde, sont encore timides et refermée sur elle-même. Elle refuse l'entrée dans la SDN et est surtout le spectateur des crises qui secouent l'Europe des années 1920. Lorsque survient la crise, chacun tente alors de se sauver lui-même. En dévaluant ou, au contraire, en comprimant sa demande pour améliorer sa compétitivité. Il s'en est suivi le chaos, la spirale déflationniste, la guerre des changes, le protectionnisme… En 1944, les Etats-Unis se reconnaissent enfin comme puissance hégémonique. Pour éviter le même chaos que celui des années 1920, ils imposent leur solution : le plan Marshall. Ils favorisent l'intégration européenne et mettent sur place un système de change stable : Bretton Woods.

La crise actuelle

Depuis le début des années 1970, la puissance américaine est en recul. Et aucune véritable puissance économique hégémonique n'a véritablement émergé. Les Etats-Unis ont conservé une influence notable, mais pas suffisante pour imposer le retour au calme, comme la crise de 2007-2008 l'a prouvé, tandis que les éventuels candidats à sa succession, Allemagne ou Chine, rechignent - ou refusent, ou sont incapables - d'assumer ce rôle. Les auteurs expliquent comment la crise de la zone euro s'est aggravée faute de la volonté allemande d'imposer une véritable solution globale, n'acceptant - à reculons - que des solutions partielles qui réglant des déséquilibre externes de la zone euro, ne réglait pas les déséquilibres internes, notamment la trop forte compétitivité allemande. En 1948, les Etats-Unis avaient utilisé leur puissance pour relancer la demande intérieure des pays d'Europe de l'ouest… De même, les auteurs expliquent comment la Chine, en raison de ses déséquilibres, peine à assumer son rôle d'hégémonie naissante.

Méthode originale

L'ouvrage est brillant et décrit une forme de tectonique des plaques de l'économie mondiale depuis un siècle avec une grande clarté. La méthode utilisée est également des plus originales, par sa capacité à mener analyses d'actualité, réflexions historiques et importance des théories. Le dernier chapitre baptisé « utiliser la théorie pour apprendre de l'histoire » développe l'idée que l'histoire économique doit être lue au regard des théories afin de pouvoir être pleinement utile dans des conditions historique différentes. Une vision que, se lamentent avec raison les auteurs, les politiques du monde entier ignorent. Se contentant de gérer les urgences, signe supplémentaire d'une économie mondiale qui court comme un canard sans tête. Cinq ans après la chute de Lehmann Brothers, la lecture de cet ouvrage, qui propose aussi des solutions de gestion du monde actuel, demeure urgente.

 

Peter Temin & David Vines, The Leaderless Economy , édité par University Press of Princeton, 315 pages, 29,99 dollars.

 

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Commentaires 2
à écrit le 17/09/2013 à 17:37
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mais bien sûr, il nous faut un super pouvoir mondial, un big brother, c'est évident ...

à écrit le 16/09/2013 à 23:54
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En économie comme en politique, le monde va retrouver son équilibre historique de long terme. La domination de plusieurs puissances régionales. Les Occidentaux oublient que leur domination n'a été qu'une parenthèse dans l'Histoire. Ce qu'ils vivent c...

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