Attention à cette nouvelle forme de climato-scepticisme

OPINION. Xavier Timbeau et Laurence Monnoyer-Smith, Coprésidents de l’Institut Open Diplomacy avec Thomas Friang, Fondateur et Directeur général de ce think tank nous mettent en garde sous une nouvelle forme de climato-scepticisme.
(Crédits : DR)

La publication du rapport sur les « incidences économiques de l'action  climatique » a donné lieu à des échanges riches... mais focalisés sur l'ISF vert ! Problème : ces débats se sont considérablement éloignés du cœur du rapport.

Partie d'une note de bas de page, ces discussions ont tourné à la controverse fiscale. Elles ont occulté les conclusions les plus importantes tirées par les chercheurs qui y ont travaillé.

Quitter les faux débats pour revenir aux vraies questions

Alors revenons aux principales leçons tirées par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz.

La première porte un constat sans appel : la transition écologique est une transformation économique profonde qu'il faut engager à marche forcée dès maintenant si l'on veut respecter les objectifs intermédiaires fixés pour 2030 ; et réussir la décarbonation nette de nos sociétés d'ici 2050.

La seconde est une bonne nouvelle : le coût net de cette transformation est tout à fait à notre portée. Il s'agit d'un investissement de 2 points du PIB par an. À titre de comparaison, le programme Apollo a coûté 0,5 point de PIB annuel aux États-Unis pendant presque 10 ans. Bref, sauver la planète Terre et le vivant tout entier coûte seulement quatre fois plus cher que d'envoyer quelques hommes (et aucune femme) sur la Lune !

La troisième est une source d'inspiration : les « gisements de réduction des émissions de GES » sont quasiment atteignables en l'état actuel de nos connaissances techniques, même si d'importants efforts sont à réaliser en termes de sobriété et d'organisation sociale.

Itinéraires de la planification écologique

Impératif catégorique, ambition économique, opportunités technologiques : voici les trois conclusions majeures de ce rapport sur l'action climatique.

Ce qui nous amène à une discussion bien plus intéressante que les controverses qui viennent d'avoir lieu : comment concevoir et déployer des politiques publiques réellement efficaces pour atteindre ces objectifs dans un souci de justice sociale ?

C'est là que la planification écologique joue un rôle majeur. Car tant que nous considérons ces défis sans changement de paradigme politique, nous risquons de rater la cible.

La planification a donc un objectif simple : nous débarrasser des instruments mal conçus, mal compris, ou mal calibrés. La taxe carbone nous aura servi de leçon. Mais le défi demeure : il s'agit de construire les instruments de la transition, nécessaires pour provoquer des changements en profondeur.

Prenons l'exemple du  Diagnostic de Performance Énergétique (DPE) qui se révèle assez édifiant à cet égard. C'est l'outil principal de la rénovation énergétique du secteur résidentiel qui est un pilier du plan « Fit for 55 » de l'Union européenne pour devenir le premier continent neutre en carbone. À elle seule, la rénovation énergétique des bâtiments doit contribuer à hauteur de 15 % de la réduction complète des émissions d'ici à 2030.

Créé en 2006, le DPE est supposé mesurer la consommation énergétique des logements pour empêcher la location des passoires thermiques (classes F et G) et flécher les crédits d'impôts vers les efforts pour atteindre les meilleurs scores (classes A et B). Depuis qu'il a été réformé en 2021, plus de 3 millions de DPE ont été réalisés, soit un coût total de 300 millions d'euros par an. Mais...

Il semble que le DPE soit un outil peu fiable. L'analyse d'Hello Watt à ce sujet est frappante : il n'y a pas de corrélation claire entre le DPE et la consommation énergétique mesurée effectivement au compteur. Certains biens de classe A ont une consommation énergétique digne d'une passoire ; inversement, seulement la moitié des biens classés F ont une consommation effectivement supérieure à 330 kWh par m2 par an.

Deuxième problème : les DPE sont réalisés par des évaluateurs indépendants, très nombreux et très difficiles à contrôler. Or il y a tant d'incitations financières associées au diagnostic qu'il est difficile d'imaginer que personne ne cherche, d'une façon ou d'une autre, à influencer son diagnostiqueur pour améliorer son DPE.

Enfin, les aides fiscales indexées au DPE ne font pas l'objet de conditionnalité. L'aide « MaPrimRenov' » augmente si l'on change de classe thermique... mais ce n'est pas une condition nécessaire. Les artisans qui réalisent les travaux n'ont aucune obligation de résultats. Rien n'empêche alors les effets de rebond, ces effets pervers liés en particulier à l'agrandissement des logements ou à la recherche accrue de confort. L'Université de Cambridge a documenté ce qu'elle a appelé « l'effet véranda » et mis en évidence l'absence de gain de consommation énergétique suite aux rénovations.

Avec un instrument politique aussi peu fiable que le DPE, nous risquons de subir un désastre : la France va dépenser des dizaines de milliards d'euros d'argent public, et autant d'épargne privée, sans la certitude de réduire les 45 millions de tonnes de CO2  escomptées à la clef.

Leçons d'une fausse route

Le cas du DPE nous rappelle les éléments clés d'une transition bien pilotée : construire les bonnes incitations, grâce aux bons contrôles, avec des responsabilités clairement attribuées.

Faute de quoi, nous raterons la cible de réduction des émissions de 2030. Nous aurons alors creusé le déficit public inutilement et nous aurons probablement beaucoup de responsables à blâmer dans un contexte démocratique encore plus polarisé par l'anxiété écologique.

Voilà malheureusement le résultat de l'état actuel du débat public : nous nous enfonçons dans une impasse écologique complexe à force de traiter des débats économiques annexes... Tout le défi est de revenir à la question des nouveaux systèmes politiques, et aux outils administratifs et fiscaux afférents, qui vont déclencher les véritables mutations socio-économiques attendues.

Il est donc urgent de se saisir des apports de fonds de ce rapport,  d'entamer une discussion sérieuse sur les propositions qu'il énonce, et de mobiliser toutes les compétences disponibles pour accompagner la planification écologique.

Au fond, une nouvelle forme de climato-scepticisme apparaît : le refus de la complexité économique n'est-elle pas le double maléfique du déni de réalité climatique ?

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Commentaires 7
à écrit le 11/07/2023 à 14:38
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Je suis climato sceptique lorsqu'on se rappelle qu'il y a 60 millions d'années, une écorme météorite a dévasté la Terre, engendré une disparition des Dinosaures et de toute espèce qui se trouvait à ce moment, une période glaciaire aussi, donc qui peu...

à écrit le 10/07/2023 à 18:35
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Je me suis arreter a think tank .. c etait deja trop..

à écrit le 09/07/2023 à 12:43
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Je ne vais pas noter Timbeau et Monnoyer comme à l'école, mais tout de même !. Même si les trois postulats (il faut faire, on a les moyens de faire et on sait faire) sont un encouragement décisif à se lancer dans cette transition profonde, ce n'est p...

à écrit le 08/07/2023 à 9:15
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Voilà l'exemple type, d'une "adaptation" médiatique de l'économie sur l'écologie, qui aboutira à une réforme afin de préserver les intérêts de certain ! ;-)

à écrit le 07/07/2023 à 11:15
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Quand on entend que: "La transition écologique est une transformation économique profonde" on voit le bout d'une réforme pour ne sauvegarder que certain intérêt, et non pas, un appel à s'adapter... quitte à "revenir en arrière" !

à écrit le 07/07/2023 à 9:24
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Cet article est complètement à côté de la plaque

à écrit le 07/07/2023 à 9:08
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En cherchant à convaincre des milliards de gens plutôt que de forcer des milliers de propriétaires de capitaux et d'outils de production notre classe dirigeante expose qu'elle ne veut rien faire et qu'après elle le déluge. D'autant qu'en plus ces thè...

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