Dans un monde en pleine mutation, l'adaptation de nos systèmes fiscaux pourrait nous aider à atteindre nos objectifs climatiques

OPINION. Après des décennies de paix relative, l'impensable s'est produit cette année : la guerre a éclaté sur le sol européen. Alors qu'une catastrophe humanitaire se déroule en Ukraine, le reste du monde est aux prises avec les conséquences de l'utilisation politique de ses exportations alimentaires et énergétiques par la Russie. Les nouvelles réalités géopolitiques ont renforcé la détermination de l'Europe à accélérer sa transition énergétique, à développer son autonomie stratégique et à redoubler d'ambition dans la lutte contre le changement climatique. Par Gerassimos Thomas, irection générale de la fiscalité et de l'union douanière (DG TAXUD).
(Crédits : DR)

 L'UE s'est déjà engagée dans une trajectoire bien ciblée pour devenir un leader mondial de l'action contre le changement climatique. Notre pacte vert propose une combinaison de mesures réglementaires, fiscales et de tarification du carbone afin d'apporter les changements nécessaires à la réalisation de nos objectifs.

La première moitié de cette décennie sera décisive pour mettre en œuvre l'ensemble de ces mesures afin de relever le défi de la crise du climat et de la biodiversité. La fiscalité peut être un outil puissant pour encourager les changements de comportements et contribuer à la réalisation de nos objectifs politiques. Par exemple, on peut attribuer à nos politiques fiscales la réduction d'environ 40 % du tabagisme dans l'UE au cours de la dernière décennie, tandis qu'une réduction spectaculaire de l'utilisation des sacs de courses en plastique dans certains pays résulte de l'introduction de taxes sur le plastique.

Cependant, les recettes des taxes environnementales dans l'UE ont stagné à un niveau très bas au cours de la dernière décennie, s'établissant à environ 2,2 % du PIB en 2020. Par conséquent, étant donné l'impact comportemental et le potentiel de recettes de la fiscalité environnementale, cet instrument devrait être utilisé de manière beaucoup plus efficace.

Le cadre de l'UE pour les taxes sur l'énergie, qui constitue la forme la plus courante de la taxation environnementale, a été élaboré dans les années 1990 et n'a pas été mis à jour depuis 2003. Il est devenu totalement inadapté pour accompagner la nécessaire transition énergétique des années à venir. En 2021, la Commission européenne a proposé une refonte majeure de ces règles, en ajustant la manière dont les produits énergétiques et l'électricité sont taxés. Les règles proposées seront beaucoup plus cohérentes avec la transition verte : les combustibles fossiles les plus polluants seront les plus taxés, ce qui encouragera le passage à des combustibles plus propres, moins taxés, comme les énergies renouvelables ou les biocarburants avancés. Les règles deviendront également plus rationnelles, avec moins d'exemptions pour des carburants ou des utilisations spécifiques, comme l'aviation et le transport maritime. Dans l'ensemble, les mesures fiscales que nous proposons sont conformes à notre philosophie : le pollueur doit payer pour les dommages causés à l'environnement. Pour éviter un impact négatif sur la sécurité énergétique et l'inflation, des périodes de transition adéquates sont prévues, l'objectif final étant d'ajuster l'ensemble du cadre sur une décennie.

Bien sûr, la transition ne sera pas facile

Et elle doit être menée d'une manière qui soit équitable et qui protège les plus vulnérables. C'est pourquoi, par exemple, les récentes mesures d'urgence prises par l'UE pour répondre à la crise énergétique prévoyaient une contribution de solidarité du secteur des combustibles fossiles et un plafonnement des revenus pour limiter les recettes excessives des producteurs d'électricité. Ces fonds serviront à la fois à atténuer l'impact de la crise pour les ménages vulnérables qui sont les plus durement touchés, et à soutenir les investissements durables et écologiques.

Nos systèmes fiscaux doivent également être analysés à l'orée des besoins en recettes publiques pour les deux décennies à venir. Dans ce cadre, d'autres « mégatendances » doivent être prises en compte, comme l'évolution démographique, la mondialisation et la numérisation. Actuellement, dans l'UE, les recettes fiscales issues des impôts sur le travail et des cotisations sociales représentent plus de la moitié de nos recettes fiscales totales, tandis que les impôts sur le capital représentent moins de 20 %. Le déplacement de la charge fiscale du travail vers les revenus du capital, afin de rendre nos systèmes fiscaux plus résistants dans un contexte d'évolution démographique et technologique, ainsi que l'intensification de notre lutte contre l'évasion fiscale et la planification fiscale agressive, sont des priorités ancrées dans notre agenda politique, comme l'indique la communication de la Commission sur la fiscalité des entreprises de mai 2021. Alors que la numérisation et la financiarisation de l'économie rendent les bases d'imposition de plus en plus mobiles, la coordination fiscale au niveau de l'UE et au niveau mondial sera essentielle pour garantir des recettes fiscales durables, nécessaires aux investissements dans les infrastructures essentielles, par exemple dans le secteur de l'énergie.

Personnellement, je suis convaincu que nous devons en outre accroître considérablement le recours aux taxes comportementales dans les années à venir, alors que nous dirigeons nos économies vers une transition juste, verte et numérique. Des réformes dans le domaine la fiscalité environnementale, qui permettront de réduire les émissions dans un cadre favorable aux entreprises, pourraient constituer un outil puissant pour promouvoir l'investissement durable et réduire les taxes qui créent des distorsions, telles que celles sur le travail. Dans cet esprit, il faut avoir l'ambition d'au moins doubler les recettes des taxes environnementales en pourcentage des recettes fiscales totales de l'UE. Et tandis que certaines taxes environnementales, comme celles sur les carburants, produiront des recettes fiscales décroissantes dans les années 2030 en raison de l'évolution des comportements et d'une réglementation plus stricte, d'autres mesures de fiscalité verte plus innovantes pourront s'y substituer, comme l'utilisation de critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG).

Nous avons besoin d'une analyse solide et prospective afin de trouver la bonne combinaison pour nos politiques fiscales, pour un avenir plus vert et plus durable. Nous espérons lancer ce débat lors du symposium fiscal de l'UE, qui aura lieu le 28 novembre. Cette conférence sera l'occasion de dessiner une voie claire pour les actions que nos décideurs politiques devront entreprendre.

Alors que nous nous efforçons de faire face aux problèmes les plus urgents de notre époque, tout en jetant les bases d'un avenir plus stable et plus durable, les politiques publiques de taxation et notre mix fiscal sont devenus des sujets brûlants. Les gouvernements devront les examiner attentivement afin d'offrir les solutions pertinentes à leurs citoyens et à leurs entreprises, pour aujourd'hui et pour l'avenir. Nous devons nous retrousser les manches, nous mettre au travail rapidement, et réussir ce défi.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.